L’influence du fait religieux dans les relations internationales

Ecole de guerre

Paris, Promotion P19

Denis Viénot, 5 mai 2012



Puisque la porte d’entrée de cette réflexion sur l’influence du fait religieux dans les relations internationales est le concept d’humanitaire et sa mise en œuvre, quelques précisions de vocabulaire s’imposent :

Humanitaire : forme d’aide, de solidarité destinée aux populations pauvres.

Homme : un individu masculin ou féminin sexué de l’espèce homosapiens

Humanité : l’ensemble des hommes ou le caractère de ce qui est humain.

Droits de l’homme : visent l’individu dans ses droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels.

Droit de l’humanité : vise la globalité de l’espèce humaine.


Ainsi le concept d’humanité est fondamental car il a atteint un stade planétaire. Il est essentiel que l’humanité soit considérée comme un sujet englobant la vie internationale et un sujet du droit international. Quelques exemples de traités qui lui reconnaissent une existence :

traité sur l’Antarctique de 1959 : «Il est de l’intérêt de l’humanité tout entière que l’Antarctique soit à jamais réservé aux seules activités pacifiques »

traité sur l’espace de 1967 : « L’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique (…) sont l’apanage de l’humanité tout entière ».

Il faut développer et faire reconnaître le droit de l’humanité. Déjà dans les années 1970, le Club de Rome avait abordé une problématique mondiale avec quatre axiomes :

« Nous avons tous à nous éveiller à une conscience du monde telle que chacun s’y considère comme membre de la communauté mondiale »

« Il faut définir de nouvelles règles de conduite pour l’utilisation des ressources naturelles, et tendre à un mode de vie compatible avec l’ère de restrictions qui s’annonce »

« Dans nos rapports avec la nature, nous devons tendre à l’harmonie et non à la domination »

« Pour assurer la survie de l’espèce humaine, nous devons apprendre à nous identifier aux générations futures, et prendre en considération leurs intérêts au même titres que les nôtres. »


Droits de l’homme, droit humanitaire et droit de l’humanité sont au confluent de trois démarches complémentaires, celle des droits de l’homme, celle de l’écologie et celle du développement durable. Et si de divers côtés islamistes et asiatiques particulièrement hindouistes en Inde, on dit qu’il s’agit d’une problématique occidentale, certaines grandes voix viennent les défendre, comme Aung San Suu Kyi : «  Les Birmans ont du mal à croire que leurs valeurs traditionnelles puissent s’opposer à ces concepts qui accordent aux humains une dignité naturelle et des droits égaux et inaliénables. Si les idées et croyances devaient perdre leur valeur dès lors qu’elles sortent de leurs frontières géographiques et culturelles d’origine, le bouddhisme serait lié à l’Inde du Nord, le christianisme à une bande étroite du Moyen-Orient et l’islam à l’Arabie ».

Enfin Benoît XVI, dans son Message pour la Journée mondiale de la Paix 2010 dit la même chose : « Nous sommes tous responsables de la protection et du soin de la création. Cette responsabilité ne connait pas de frontières. (..) Toute personne a donc le devoir de protéger l’environnement naturel pour construire un monde pacifique. (…) C’est aussi une opportunité providentielle pour offrir aux nouvelles générations la perspective d’un avenir meilleur pour tous ».



Par qui est fait l’humanitaire ?

Le plus évident dans l’imaginaire collectif, ce sont les ONG, mais qui en plus de l’aide humanitaire, peuvent avoir une fonction de médiation, plus ou moins en lien avec le retour de réfugiés, la réorganisation de services publics, l’eau, la santé, les écoles, l’agriculture etc. Avec toutes les dérives possibles quand l’humanitaire rentre dans des domaines non habituels. Sans compter qu’il leur faut rester neutre dans la gestion des dons et des aides en évitant les violences. Elles doivent conduire des actions équilibrées : le cas classique est de soutenir la population locale chez laquelle sont installés des camps de réfugiés. Elles font ce que l’Etat ne fait pas, vont là où il ne va pas, proposent une alternative, sont des structures légères et ont donc le beau rôle car elles n’ont pas à gérer les contradictions d’une puissance publique.

Deuxième type d’acteurs : des personnalités politiques de stature mondiale, d’anciens chefs d’Etats comme Jimmy Carter, des hauts fonctionnaires, des financiers philanthropes comme George Soros, Bill Gates, des artistes. Ainsi George Clooney a mis en place le « Satellite Sentinel Project » pour prévenir tout crime de guerre au Sud-Soudan où des référendums d’autodétermination ont eu lieu en janvier 2011 : « Nous voulons que les auteurs potentiels de crimes sachent que nous les observons » ce qui se fait en utilisant des satellites commerciaux pour surveiller la région.

Troisième type d’acteurs : les forces religieuses dont l’efficacité apparait dans la médiation des conflits intra-étatiques :

Par la dimension du pardon et les caractéristiques religieuses.

Par leurs possibilités d’observation, de dénonciation des violations des droits de l’homme, de la violence, car ils ont des réseaux capillaires.

Par l’appel à la conscience, par la défense des plus faibles, la transformation des structures sociales inégalitaires.

Par leur capacité à rapprocher les parties pour obtenir un accord.

Par leurs atouts dans l’éducation et la diffusion des mécanismes de paix.

On peut penser au rôle d’évêques locaux, Mgr Ruiz au Chipas, le Cardinal Sin aux Philippines ou San Egidio au Mozambique.



Quatrième type d’acteurs : les médias ; en 2010, quand un tiers de la population d’Haïti est frappée de plein fouet par un tremblement de terre, une secousse d’une autre nature bouleverse le monde : l’humanitaire et les médias s’assimilent et se confondent au lieu de faire alliance. Ainsi a-t-on pu voir sur le terrain des chaines de télévision venir avec leur propre équipe de secours.



Enfin et surtout ( !), les pouvoirs publics : les Etats qui ont un devoir incontournable dans l’action humanitaire. Car parmi les fonctions d’un Etat légitime, la fonction de répartition a pour but d'influer sur les inégalités. Ces politiques sont liées à des notions d' HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quit%C3%A9" \o "Équité" équité, de HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/Justice_sociale" \o "Justice sociale" justice sociale. Les collectivités locales aussi qui sont proches de la population. Les organisations internationales jouent un rôle important d’action et de coordination : le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies, l’Organisation mondiale de la santé, même le FMI ou la Banque mondiale dont les orientations orientent les conditions de vie des populations.



D’où vient l’humanitaire?

Les origines idéologiques

Six courants idéologiques au moins traversent l’humanitaire et s’entrecroisent. Au risque de la caricature, on peut identifier :

La solidarité républicaine : Au XVIII° siècle, les philosophes et les révolutionnaires pensent que l’Etat doit prendre sous sa responsabilité les réponses à la misère des peuples. Toute action devant être fondée en Raison, et pouvant se transformer en Loi, l’individu dépend de l’interdépendance qu’il entretient avec les autres citoyens. Cette valeur de la socialisation (L’être social) est à l’origine de la création d’un droit social qui fonde l’idée de solidarité, seule compatible avec les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité. C’est l‘époque de la naissance des Droits de l’homme.

La bienfaisance libérale : Pour les libéraux, tout homme est responsable de sa condition. La société doit intervenir pour donner au pauvre la force qui lui manque pour échapper à son sort. La bienfaisance prend alors la forme d’une relation individuelle, ponctuelle, et généralement limitée aux seuls besoins primaires : la faim, le froid. L’inégalité entre les hommes étant « dans l’ordre des choses », on peut agir pour en corriger les effets, mais sans prétendre intervenir sur les causes. « Je ne te promets pas le grand soir, mais simplement à manger et à boire » clame la chanson des Enfoirés à la création des Restos du Cœur. Enfin la garantie du bonheur se substitue au « salut de l’âme » car « ça fait du bien de faire le bien ! »

L’humanitarisme : L’humanitarisme des années 1970 se construit en réaction aux idéologies. On ne donne pas pour son salut, son bonheur ou par devoir d’entraide, mais par urgence, par sympathie immédiate à la souffrance des hommes quels qu’ils soient et où qu’ils puissent se trouver. La solidarité de l’émotion et de la souffrance supplante la solidarité pour la justice. L’humanitarisme est d’abord une sensibilité exacerbée, irrépressible. Le premier droit de l’homme, c’est de vivre. Il faut donc assurer ce droit minimum pour tout être humain. On ne raisonne pas. On réagit.

La planète équitable : Face aux évolutions économiques, le monde est devenu un village. Devant les menaces qui pèsent sur la planète : désordres écologiques, développement désordonné, perte de sens, ce qui est en jeu c’est tout simplement l’avenir de l’humanité. Les rencontres du forum social mondial cherchent à mettre en œuvre une « utopie », une autre façon d’analyser et d’agir, un « autre lieu », avec un sens aigu de valeurs éthiques partagées sur et par tous les continents, au nom de la primauté de notre humanité commune. « La démocratie participative » devient un mode d’intervention dans la gestion des affaires publiques pour le plus grand bien de tous et non de quelques uns.

La Charité anticipatrice : Pour les membres de ce courant qui partagent un regard de Foi, Dieu est à l’origine de toute vie. Plus encore, il se communique lui-même et, scandale des scandales, il prend visage d’homme pour révéler sa divinité. Par son incarnation et son message d’Amour, le Christ partage avec tous la vie même de Dieu en surabondance. Par l’Eucharistie, la communion entre les hommes est don de soi. Le pauvre devient image de Dieu et frère de tous. Dès lors, chaque élément de richesse porte en lui une destination universelle au service du bien commun. La Charité ainsi vécue se veut anticipatrice, annonciatrice d’une justice qui reste à mettre en œuvre dans les lois des pays et dans les rapports internationaux. D’un Martin de Tours partageant son manteau à Jean XXIII abandonnant la tiare, en passant par nombre de congrégations religieuses au service des souffrants aujourd’hui pris en charge par la plupart des Etats, c’est toujours la même histoire, le même bon qualitatif qui va marquer durablement les rapports entre les hommes et entre les peuples.

La mise en œuvre des principes coraniques, la zakat aumône obligatoire et la sadaqa, aumône complémentaire volontaire. La zakat est destinée :

aux pauvres et aux indigents,

aux administrateurs qui ont la responsabilité des affaires de la zakat,

à toute personne susceptible de se convertir à l’Islam si on lui fait un don (ce qui permet aux ONG islamiques de justifier leur prosélytisme),

à l’affranchissement des esclaves,

aux personnes endettées de façon licite,

à ceux qui luttent pour le jihad (ce qui permet de financer les combattants même riches, Algérie, Afghanistan, Hezbolllah, en armes, transports, nourriture, vêtements),

aux voyageurs dont les déportés ou les réfugiés même riches qui possèdent de l’argent mais ne peuvent en faire usage, et auxquels s’ajoutent les SDF, les enfants trouvés et les orphelins



Ces idéologies fondatrices, même si elles ne s’interdisent pas d’aller chercher des références dans les autres familles, vont d’elles même induire bien des pratiques différentes en matière de projet, d’organisation, d’action, de communication, de rapport au politique.



Les origines chronologiques

Toujours avec le risque de la caricature, on peut distinguer plusieurs générations de l’humanitaire récent.

La première génération vient en réaction aux conditions et conséquences des guerres de deux derniers siècles : Solferino pour Henri Dunant et la Croix Rouge, la guerre d’Espagne pour le Secours rouge qui deviendra quelques années plus tard le Secours populaire, et deuxième guerre mondiale pour le Secours Catholique en France. Tous trois portent dès l’origine une attention particulière aux personnes et proposent leur concours pour participer aux efforts de reconstruction de l’époque. Ils ont plusieurs points en commun : une idéologie fondatrice forte, la primauté du bénévolat, la participation à des réseaux internationaux qu’ils reçoivent d’entrée, réseaux d’Etats pour la Croix Rouge, politiques et syndicaux pour le Secours populaire, ecclésiaux pour le Secours Catholique. Qu’une crise survienne, chacun d’entre eux bénéficie de partenaires locaux qui sont là avant, pendant et qui resteront chez eux après la catastrophe. En cas de crise, la question n’est pas de savoir s’ils vont partir ou pas, mais d’apprécier dans quelles conditions ils vont poursuivre leur action. Autres spécificités, ils ont su évoluer, se développer et passer de la distribution de biens en tous genres à la promotion des personnes. La pauvreté dans les pays riches a été pour eux la provocation qui leur a permis de passer d’un statut de généraliste de l’action caritative à celui de multi spécialiste.



La deuxième génération prend appui sur l’expansion économique au Nord qui rend d’autant plus urgente l’interpellation sur le scandale de la faim dans le monde. En pleine période des « trente glorieuses », au cours des années 60, à l’appel de la FAO et des Eglises, nait la génération des « développeurs ». Ils reprochent à la génération précédente l’absence d’analyse économique et politique sur les questions de sous développement. C’est la création du « CCFD », de « Frères des hommes », de « Terre des hommes » et des premières campagnes pour un commerce équitable. Cette génération saura allier une action de terrain avec une animation de l’opinion et de groupes locaux à partir d’exemples emblématiques.

Mais avec le blocus du Biafra en 1967 on atteint sans doute un des paroxysmes de la souffrance humaine. Selon le troisième courant qui va alors émerger, à quoi bon parler du développement s’il ne rend pas impossible ce genre de massacre ? Le développement reste « un échec ». La seule urgence est de pouvoir accéder aux victimes, d’intervenir de façon rigoureuse et professionnelle, d’avoir le courage de témoigner et de dénoncer les responsables de pareils massacres, d’assurer un lobbying politique, d’être fortement présents dans les médias, tant il est vrai que les évènements et les situations n’existent que parce qu’on les a vus… à la télé. Ce sera la naissance de tous les « sans frontières ».



Plus près de nous, l’humanitaire hésite. La coopération décentralisée conduite par les villes, les conseils généraux, des entreprises, des groupes de particuliers qui refusent la collaboration avec « les – supposées - grandes machines humanitaires » justifient leur choix par la proximité, le concret, le contrôle direct (espéré) et le bénéfice pour … le donateur. De l’autre côté, la crise de la représentation dans les sociétés occidentales puis mondiales provoque l’émergence de mouvements de chômeurs, de sans papiers, de sans logements, de sans terre, et des ONG du Sud. Ce dynamisme témoigne du développement des associations et de la volonté d’expression directe dans le débat public.



Par ailleurs les ONG musulmanes ciblent clairement les Musulmans comme bénéficiaires. Ayant vu le jour dans les années 70 -80 en réaction à la perception d’une menace - perte d’identité, pouvoir, dérive morale, misère grandissante – qui explique les quatre stratégies qu’elles conduisent les unes et les autres :

les partisans de l’action subversive voudront s’attaquer aux intérêts américains et sionistes et associerons donc action caritative et si besoin action violente

pour ceux qui veulent maintenir la pureté territoriale de l’Islam, la lutte territoriale sera liée à l’action caritative

pour les tenants de la conciliation on développera des relations avec les autres ONG « car c’est au contact de l’ennemi qu’on le neutralise »

pour les caméléons il faut séduire ou terrasser.



Quelques mots sur le parallèle Chrétiens – Musulmans. Les ONG chrétiennes suscitent la défiance des ONG islamiques, car

Elles sont fréquemment politisées, influencée par les Etats-Unis, le Vatican ; Caritas suivrait la politique du Vatican, World Vision est proche de la ligne du gouvernement américain. Des très nombreuses ONG ont des financements publics de leurs Etats, de l’Union européenne.

Elles ont souvent des objectifs prosélytes. La Lutheran World Federation écrit qu’elle « cherche à renforcer les liens des fidèles avec leur communauté et à mieux diffuser le message du Christ ». Cet objectif de prosélytisme vient butter contre l’objectif d’islamisation des ONG islamiques en terre de mission d’Islam, Sud Soudan, Tchad, Nigéria, Cameroun, Kenya, Ouganda, Philippines, Thaïlande, Etas Unis, Balkans, Caucase, Palestine, Bangladesh, Afghanistan.

Dans « Le temps de l’Afrique », Jean Michel Sévérino & Olivier Ray, à propos des néoconservateurs islamiques et chrétiens  écrivent : « Une fois de plus la similitude est flagrante entre certaines organisations non gouvernementales islamiques venues du golfe ou de Grande-Bretagne et leurs équivalentes chrétiennes nord-américaines. »

Grâce à leur puissance financière les ONG chrétiennes s’installent durablement en pays musulmans. Les ONG protestantes sont les plus prosélytes. World Vision, la plus grosse ONG du monde, est critiquée même par des cardinaux …



Quelques différences entre les ONG chrétiennes et islamiques :

Dans le monde judéo-chrétien les ONG laïques peuvent rivaliser avec les religieuses ; dans le monde musulman les ONG islamiques ont le monopole.

L’éclosion des ONG islamiques est liée à une effervescence religieuse susceptible de faire acte de violence ; ce n’est pas le cas des ONG chrétiennes.

Certaines ONG internationales chrétiennes ont pris des distances avec leurs gouvernements, ce qui est rarement le cas des ONG islamiques transnationales

Le discours des ONG chrétiennes s’est assoupli, modernisé alors que celui des ONG islamiques reste souvent attaché au leitmotiv du danger chrétien.



Les logiques des pays sont différentes :

La Chine lie clairement aide, commerce et achat de matières premières

Le Brésil a une tradition historique avec l’Afrique et pousse au partage de technologies entre un pays et un continent liés par des contextes environnementaux ayant beaucoup de points communs. Il s’allie à l’Inde pour négocier les conditions d’achat des Rafales français !

Les USA ont multiplié par quatre de l’aide à l’Afrique au cours des huit dernières années après les attentas de septembre 2001 : fonds spécial Sida, soutien aux pays qui s’engagent sur les voies de la démocratisation et de la libéralisation ; percée des ONG évangélistes

L’Europe chante toujours un peu la même chanson d’un partenariat démenti par la pratique, telle la stratégie conjointe Europe - Afrique de 2005. Ainsi les banques françaises sont – elles passées d’une participation de 80% à 33% dans le système financier africain en dix ans. « Là où Washington parle à l’Afrique d’intérêts géopolitiques, où Pékin d’échanges commerciaux gagnant-gagnant, l’Europe l’entretient d’objectifs de développement.» La nouvelle politique d’aide de l’Union européenne cible, la sécurité sociale, la démocratie et enfin à nouveau l »agriculture.

Et que dire des promesses non tenues des sommets internationaux, G8 et G20 ?


Quelques pratiques de l’humanitaire


On peut décrire cette action sous six formes :

Forme 1 : Augmentation globale du nombre de crises nécessitant des interventions humanitaires d’urgence. L’apparition de nouvelles situations d’urgence complexe est plus importante que le nombre de celles aboutissant à une solution. Globalement le nombre de théâtres d’opérations nécessitant des interventions humanitaires est en croissance et leur accès pour les ONG humanitaires de plus en plus difficile.

Forme 2 : Utilisation de façon effective du droit international. Le droit international est utilisé comme un outil essentiel de régulation internationale. Les institutions comme la Cour pénale internationale et du Conseil de sécurité de l’ONU sont reconnues et fonctionnent. Ce développement s’accompagne d’une pénalisation progressive des relations internationales au niveau des États et de leurs responsables.

Forme 3 : Interventionnisme direct et renforcé des États dans les crises majeures, limité dans les autres cas. Les États occidentaux accroissent leur capacité d’intervention militaire dans le but de répondre massivement aux besoins d’urgence dans les crises géopolitiques majeures. En parallèle, les crises « secondaires » au regard de ces considérations géopolitiques sont abandonnées.

Forme 4 : En France une concentration du secteur des organisations non gouvernementales humanitaires. Un phénomène de regroupement et de concentration s’opère en France dans le secteur des ONG aboutissant à une diminution du nombre d’opérateurs et à une augmentation moyenne de leur budget. Au plan mondial il y a une augmentation du nombre des intervenants.

Forme 5 : Développement des logiques économiques par les ONG humanitaires. L’équilibre budgétaire, la valorisation des résultats sur le terrain, le développement technique, la justification chiffrée de chaque investissement et l’optimisation des organisations sont imposées par les principaux bailleurs de fonds publics. Cela se fait en créant des difficultés aux ONG des pays du Sud. Le rapport de la Cour des comptes sur le tsunami, janvier 2011,illustre cette approche à la fois légitime te éthique, mais problématique.

Forme 6 : Nécessité de développer des campagnes d’opinion ou d’actions militantes parallèles aux actions d’assistance sur le terrain. L’opinion publique répond favorablement au travail des ONG qui ont développé des campagnes d’opinion ou d’autres actions militantes en parallèle à leurs actions sur le terrain et délaisse les autres.

Comment pratique l’humanitaire ?

Les principales caractéristiques des pratiques humanitaires sont le dynamisme de l’action – le soutien financier du public – le partenariat avec les pouvoirs publics. Ces pratiques sont à comprendre en lien avec l’évolution du contexte humanitaire international : réactivité/efficience dans l’action, gestion/audit, technicité et qualité des programmes, coordination des acteurs, plaidoyer et influence, disponibilité de ressources humaines expérimentées etc.

Pour clarifier mon propos je vais m’appuyer sur l’exemple de l’aide à l’Etat du Pakistan et de son fonctionnement. Quoique plus large qu’humanitaire au sens strict, sa description fait ressortir les contraintes qui l’accompagnent.

De 2004 à 2009 le pays a reçu des aides bilatérales de 21 pays et multilatérales de 7 organisations internationales. On assiste donc aux duplications des procédures, à de nombreuses sessions de travail chaque année avec les mêmes responsables pakistanais en partie. La coordination est complexe.

Une part importante de l’aide est sous forme de prêts. Trois ajustements structurels du FMI et de la Banque mondiale ont eu lieu de 1988 à 2000 avec des politiques de diminutions des subventions internes, d’augmentation des impôts ce qui entraîne une augmentation des intrants agricoles, semences, engrais, pesticides etc. L’augmentation des prix agricoles n’a pas compensé ces dépenses. De plus les augmentations générales des impôts frappent aussi les plus pauvres.

Depuis 2002 les politiques de réduction de la pauvreté ont apporté peu de changements. Et le FMI et la Banque mondiale qui interviennent beaucoup sous forme de prêts exigent évidemment le suivi de leurs règles, ce qui est indispensable pour obtenir de nouveaux prêts.

Juste un exemple de ces politiques : le budget de l’éducation nationale est actuellement de 2% du PIB, à comparer avec les 6% français. Et les yoyos de l’aide publique au développement compliquent évidemment les mise en œuvre des politiques, ici comme partout.

Les liens entre aide et politique internationale et militaire, entre politique et économie, sont flagrants dans ce pays :

Pendant l’invasion russe en Afghanistan il y eu de forts flots d’aide.

A la fin de cette guerre ils ont baissé.

Puis ont augmenté après 2001, suite aux attentas de New York, à la lutte contre les insurrections en Afghanistan, au soutien à l’armée pakistanaise que les Américains poussent à l’action chez elle.

L’Union européenne vient de négocier un accord commercial pour 3 ans renouvelable pour un an. Pour 75 produits allant du coton, de vêtements à 80 000 tonnes d’éthanol, il n’y aura pas de droits de douane sauf si les volumes des importations en Europe augmentent de plus de 20% par an. L’accord doit maintenant être soumis à l’approbation de l’OMC.



Et même les actions d’aide et de reconstruction à l’occasion de catastrophes s’inscrivent dans ces mécanismes :

Les inondations de l’été 2010 ont créé des pertes d’environ 10 milliards de dollars, pertes de récoltes pour 5 milliards, destruction de maisons pour 2 milliards, d’infrastructures pour 3 milliards.

Des aides sont arrivées de 26 pays, d’organisations internationales et de très nombreuses ONG. Le gouvernement comme lors du tremblement de terre de 2005 a mis en activité un organisme pakistanais de coordination.

Le gouvernement avait décidé de distribuer 4 mois après la catastrophe 2 milliards d’euros en liquide aux victimes.

Il va faire voter une augmentation de l’impôt sur le revenu de 10% pour six mois et une taxation additionnelle des produits de luxe (cosmétiques, cigarettes, sodas etc.), les deux devant rapporter 400 millions d’euros, pour financer en partie les dépenses d’aide et de reconstruction à sa charge estimées à 3 milliards d’euros (aides financières, aides en nature aux fermiers sous forme de semences et d’engrais et 30 millions pour la reconstruction d’infrastructures fédérales et provinciales). Il y aura un débat, un parlementaire déclarant par exemple : «  Les nouvelles mesures fiscales vont ouvrir les portes des écluses à un tsunami d’augmentation des prix ». L’inflation 2010 est estimée à 14%.

Il est de plus intéressant de noter que les fonds envoyés par les émigrés ont fortement augmentés, plus de 13% au cours de la période juillet – octobre 2010 par rapport à 2009. Le montant annuel de ces apports est de 10 milliards $.



Cet exemple du Pakistan, vu du côté d’un Etat, montre que la pratique de l’humanitaire a besoin de normes partagées dans l’action. La coordination des activités avec d’autres organisations privées ou publiques est l’un des enjeux de cette pratique. Cela couvre tous les domaines de l’action sociale, des opérations d’urgence, du plaidoyer, de l’exercice de la mission de pastorale sociale quand il s’agit du caritatif.

Ainsi, dès 1992, une réunion de la Coordination des ONG au Liban rassemble des organisations libanaises, chrétiennes, sunnites, chiites ou laïques avec des partenaires étrangers comme le Secours catholique, le Secours populaire, MSF Belgique, la Caritas américaine ou le CCFD. Pendant deux jours les débats tournent autour de la sortie de guerre, des déplacés, de l’habitat. Les pro- et anti-Syriens se retrouvent à la libanaise en constatant que la Syrie est un marché de douze millions d’habitants… Tous souhaitent un pouvoir central fort dans un pays à structure confessionnelle, rituelle, tribale parfois ! Cette coordination qui se poursuivra encore en 2011 sera un cas exemplaire de coopération entre les chrétiens et les musulmans dans les domaines humanitaire, médical, social.



Aux Nations unies à New York, en décembre 2006, la rencontre avec un fonctionnaire international, Jan Egeland, aborde ces sujets. Il est secrétaire général adjoint pour les Affaires humanitaires et coordinateur des secours d’urgence. Norvégien, ancien ministre, ancien de la Croix-Rouge, il s’est illustré par son engagement au sujet de la Palestine et au Guatemala.

Les mécanismes de coordination deviennent de plus en plus compliqués, assure-t-il. Il y a dix ans, il y avait une centaine d’ONG internationales actives. Aujourd’hui il y en a cinq cents, et dans dix ans il y en aura mille ! La répartition des tâches entre les uns et les autres, à l’avance, est une solution qu’il privilégie. Mais pas facile à gérer car dans ce cas, les ONG doivent devenir plus prévisibles.



Le réseau Caritas est au cœur de ces processus avec d’autres organisations, dans la coordination des urgences ou l’élaboration de standards d’action, dans le traitement des questions relatives à la dette des pays pauvres, à la corruption, au changement climatique, au commerce mondial, etc.

Le projet Sphère – charte humanitaire et normes minimales pour les interventions lors de catastrophes – mis en place par une quinzaine d’organisations dont la Croix-Rouge, Caritas Internationalis, le Conseil mondial des Églises, Care, Oxfam, l’Armée du salut, la Fédération luthérienne mondiale, etc., a permis l’élaboration de centaines de normes minimales dans cinq domaines prioritaires: l’approvisionnement en eau et l’assainissement, la nutrition, l’aide alimentaire, l’aménagement des abris et des sites, les services médicaux. Ainsi la disponibilité moyenne d’eau pour la consommation, la cuisson des aliments et l’hygiène personnelle dans chaque foyer doit être d’au moins quinze litres par personne et par jour ; la distance maximale séparant tout foyer du point d’eau le plus proche de cinq cents mètres et le temps passé à faire la queue au point d’eau ne doit pas dépasser quinze minutes. Et il ne faut pas plus de trois minutes pour remplir un récipient de vingt litres. Concernant les abris, une surface minimum de trois mètres carrés et demi par personne est nécessaire.


Quelques sujets aux dimensions du monde qui posent des questions aux chrétiens et à d’autres.

L’eau

L’agriculture est la principale consommatrice d’eau dans le monde. En France elle est à l’origine de la pollution des deux tiers de l’eau potable. Ici il y a péril si l’on poursuit un mode de production agricole comme la monoculture intensive.

Lors du Forum mondial de l’eau qui s’est tenu mi mars à Marseille, le Conseil pontifical Justice et Paix a publié un document qui s’inquiète des difficultés d’accès à l’eau potable d’une grande part de la population mondiale, « L’eau, un élément essentiel pour la vie : imposer des solutions efficaces ». (Voir La Croix, 13 mars 2012, Frédéric Mounier, page 19)

La moitié de la population mondiale n’a pas d’accès, ou seulement un accès limité, à l’eau potable, souvent de mauvaise qualité.

La justice, c’est de garantir le droit d’accès à l’eau, mais aussi déterminer les dommages causés et proposer des réparations et des sanctions veillant à l’accès au droit à l’eau, car elle n’est pas une marchandise comme une autre, elle n’est pas un « bien commercial quelconque », elle est essentielle pour l’existence humaine.

Le texte propose des « solutions durables » : une « gouvernance internationale » du dossier en vue du bien commun mondial, et il appelle les opérateurs privés « à ne pas oublier que l’eau a une valeur sociale et doit être accessible à tous, en particulier les plus vulnérables. »

Et le monde politique doit agir de manière responsable, renonçant à des intérêts économiques immédiats ou à des idéologies, qui finissent par humilier la dignité humaine. »

Et les consommateurs sont invités à faire preuve de responsabilité et de sobriété car « on ne doit pas se féliciter de voir des sociétés consommer de l’eau à des fins superflues, dans le cadre d’un consumérisme toujours plus effréné, orientée vers l’accumulation illimitée des biens, contraire au développement durable. »


Ce texte est intéressant par rapport à l’eau bien sur, mais aussi par un mélange positif des genres : description d’une réalité, analyse des effets du non accès à l’eau en particulier pour les plus pauvres, suggestion de politiques à suivre selon des principes et des valeurs. L’Eglise fait de la politique, et elle a bien raison.


La réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle.

(Voir Lettre de Justice et Paix - France, novembre 2011)

Sous ce titre le Conseil Pontifical Justice et Paix a publiée une note le 24 octobre 2011. Quelques jours avant le sommet du G20 de Cannes, et dans un contexte de crise financière mondiale, avec des effets particulièrement graves au niveau de l’Union Européenne, le texte appelait à une autorité publique de compétence mondiale au service du bien commun universel. Il s’agit d’un rappel plutôt que d’une nouveauté : cette demande était formulée dans l’encyclique Pacem in Terris en 1963 (n° 136-141), et reprise par la suite, notamment dans la dernière encyclique de Benoît XVI, Caritas in Veritate (n°67). Mais cette idée est présentée dans cette note de manière plus développée et plus concrète.

Trois repères à souligner pour la création de cette autorité mondiale :

Elle doit être au service du bien commun : ses décisions ne devront pas être le résultat de la toute puissance des pays plus développés sur les pays plus faibles ou au service de certains groupes ou lobbies privés.

Elle ne peut être imposée par la force : sa constitution sera précédée d’un processus de concertation. Emergera ainsi une institution légitimée par l’accord libre et partagé de tous les pays y compris les moins développés qui sont en général mis à l’écart des grandes décisions internationales.

Elle répondra aux principes de subsidiarité, de pluralisme (respect de réalités culturelles diverses), de solidarité et de personnalisme (l’être humain doit être au centre du bien commun universel).

Trois propositions concrètes au niveau financier :

Instituer une taxation des transactions financières dont le produit serait affecté à une réserve mondiale destinée à soutenir les économies des pays touchés par la crise. L’idée n’est pas nouvelle et elle était à l’ordre du jour du G20.

Soumettre la recapitalisation des banques à la condition que les bénéficiaires des fonds publics adoptent des « comportements vertueux » et orientés vers le financement de l’économie réelle. Les conditions de cette recapitalisation restent à définir. S’agit-il d’une nationalisation partielle des banques ? Qu’est-ce en effet qu’un « un comportement vertueux » pour une banque ?

Séparer les activités d’investissement et de crédit afin de pallier les effets pervers des « marchés ombres » privés de tout contrôle et de toute limite. Un principe réclamé depuis la crise des sub primes de 2008.

Il n’y a ni apport nouveau ni solution miracle dans la note publiée. Juste un rappel fort des principes fondamentaux illustré par quelques propositions concrètes, au moment où se cherche une nouvelle forme de gouvernance financière au niveau mondial. Une manière pour l’Eglise de se faire présente dans un moment crucial de notre humanité, non pas comme « donneur de leçon » mais plutôt comme participant avec d’autres à la recherche d’un devenir plus humain pour la planète.


Tant à propos de l’eau qu’ici à propos de l’autorité mondiale, l’enseignement social de l’Eglise met en avant le rôle de régulation et de conduite des affaires des pouvoirs publics, Etat et communauté internationale face à des marchés souvent écrasant pour les plus faibles.


Les Droits de l’homme et le plaidoyer.

Quels sont les droits fondamentaux ?

L’engagement politique


Dans le domaine du social, du développement, de l’humanitaire, le principal changement des 25 dernières années est l'émergence du plaidoyer et de l'intégration de la dimension politique. L'analyse de ce qui fabrique de la pauvreté, surtout quand elle est de longue durée, est incontournable. Le rôle joué par les phénomènes sociologiques, religieux ou sociaux, et l'importance du non-respect des droits de l’homme sont au cœur de la réflexion. Avec des conséquences capitales pour les gouvernements en place.

Un exemple d’action dans le domaine politique : l’Eglise en politique dans la République démocratique du Congo

Comment faire vivre un processus démocratique dans un pays corrompu, classé au 164ème rang sur 178 par Transparency International en 2010 ? Dans un pays ayant subi deux longues guerres civiles ces dernières années. Dans un pays où des opposants sont assassinés en toute impunité. Dans un pays où les violences sont massives.

Joseph Kabila, élu en 2006, a instauré un utile –pour lui- scrutin présidentiel à un tour pour l’élection présidentielle de novembre 2011.

Dans ce contexte, comme en 2006, la Commission Justice et Paix de la Conférence épiscopale nationale de la République démocratique du Congo a construit une panoplie d’actions de formation et de plaidoyer.

Si, au plan technique, la préparation des élections présidentielles et parlementaires a été à peu près satisfaisante, (établissement convenable des listes électorales malgré quelques déficiences, enregistrement des candidatures, signature d’un Code de bonne conduite par les partis politiques), le climat de violence et de tensions faisait et fait craindre de nouveaux conflits.

Ces élections de novembre dernier ont donc été l’occasion d’un processus de préparation comme il y a cinq ans. L’Eglise congolaise y a tenu un rôle central très complémentaire de l’aide humanitaire d’urgence qu’elle a apportée au plus fort de la guerre et de son engagement dans les domaines médicaux, scolaires et du développement.

Elle a, en particulier, mis en place des activités d’éducation civique et électorale soutenues notamment par le CCFD – Terre solidaire, le Secours catholique, la Fondation Carter. Le programme Elections et questions majeures de gouvernance mis en œuvre en partenariat avec toutes les confessions religieuses visait 50 000 personnes- relais pour préparer la population aux élections, la faire participer à la lutte contre la corruption, renforcer les structures de participation citoyenne.

La préparation des élections a permis d’assurer le suivi de la révision des listes électorales, la diffusion de matériels pédagogiques d’éducation civique (manuels sur la non-violence, et sur « comment et pourquoi voter ? », émissions de radio, rencontres etc.) , de former à l’éducation civique – y compris à l’acceptation des résultats - les membres des Commissions paroissiales Justice et Paix et des 2 518 Comités locaux de gouvernance participative, de former et de déployer 30 000 observateurs et de s’associer avec les associations de la dynamique « Femmes pour la paix » qui préparaient 5 000 observatrices des élections.

Le plaidoyer de la Commission Justice et Paix concernait d’autres sujets liés à la complexité de la situation. La question des ressources naturelles et des industries extractives était abordée. L’assistance à développer auprès des victimes de violences sexuelles aussi : « Une plus grande implication de la communauté internationale dans la résolution des questions sécuritaires qui sont oubliées aujourd’hui (est nécessaire). Il existe en effet un lien entre les violences sexuelles, l’exploitation illicite des ressources naturelles et l’insécurité semée par les groupes armés. » (Plaidoyer pour la consolidation de la paix et de la démocratie par un processus électoral apaisé, Mgr Fridolin Ambongo, Evêque de Bokungu Ikela, Président de la Commission épiscopale Justice et Paix de la Conférence épiscopale nationale du Congo).

Sœur Marie-Bernard, secrétaire générale de la commission, déclarait avant les élections : « L’enjeu fondamental est de faire en sorte qu’elles se déroulent dans la paix, que la population puisse prendre conscience des vraies questions qui doivent orienter ses choix politiques. Les questions importantes qui doivent être abordées sont celles de la paix, du développement, de la bonne gestion des ressources naturelles, entre autres. » (Messages du Secours catholique, octobre 2011).

Un autre exemple : Justice et Paix-France soutient l’avènement de l’État palestinien

Justice et Paix- France a publié le communiqué suivant à la veille de l’intervention du président de l’Autorité palestinienne aux Nations Unies le 23 septembre 2011.

L’assemblée générale des Nations Unies aborde le 20 septembre 2011 la question de la reconnaissance de l’État palestinien. C’est pour Justice et Paix – France, engagée depuis de nombreuses années pour y promouvoir la paix et la raison, l’occasion historique de réaffirmer le droit des peuples israélien et palestinien à la sécurité et à des frontières sures et reconnues.

Une telle solution politique durable leur permettra de vivre en paix et en sécurité.

En juin dernier, lors de visite du président de l’Autorité palestinienne au Pape Benoît XVI, le Saint Siège publia un communiqué visant «  l’urgence d’une solution juste et durable au conflit israélo-palestinien, dans le respect des droits de chacun, et notamment l’accomplissement des aspirations légitimes à un État souverain du peuple palestinien » (Vatican Information Service, 3 juin 2011).

Justice et Paix – France se joint à tous ceux qui souhaitent la création de cet État dans le respect des accords internationaux. Sa reconnaissance doit s’accompagner d’un soutien de la communauté internationale qui devra enfin veiller à la cohérence entre les principes énoncés et leur mise en œuvre, comme à propos des résolutions des Nations Unies ou de l’avis de 2004 de la Cour Internationale de Justice relatif au mur de séparation dont la construction se poursuit dans l’illégalité internationale.

Les deux États devront préparer un avenir de paix « fondée sur la justice, sur la reconnaissance de l’autre, sur le respect de la parole donnée, sur le refus de la violence. » (Conseil d’Églises chrétiennes en France, 23 janvier 2003).

C’est ce que viennent de réaffirmer les Eglises à Jérusalem estimant que « la solution de deux États sert la justice et la paix. »

Les paradis fiscaux, la corruption

En juin 2006, une conférence internationale, « La lutte contre la corruption », est organisée à Rome par le Conseil pontifical Justice et Paix. Son président, le Cardinal Martino, la conclut en déclarant : « Il n’est pas acceptable que l’addition de la corruption soit payée par les pauvres. »

Il fait ainsi écho aux propos tenus par Eva Joly, l’ancienne magistrate française de l’affaire Elf, devenue à l’époque conseiller spécial du gouvernement norvégien pour la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. Elle proclame la corruption contraire aux vertus démocratiques, une incivilité, un mensonge qui voile les réalités. La Norvège par exemple consacre une part significative de sa généreuse aide publique au développement au soutien des organes de justice, aux politiques de prévention et de formation, même au financement de procès.

La même Eva Joly a publié en 2011 avec Judith Perrignon un roman policier, Les yeux de Lira, qui se déroule sur fond de corruption liée au pétrole nigérian. Entre Lagos, Paris, Saint Petersburg, les îles Féroé et Londres, un policier africain, une journaliste russe et un greffier français sont les personnages principaux. Ils démontent les mécanismes qui lient les paradis fiscaux au Lichtenstein et la corruption pétrolière. On y voit le rôle de la CIA qui exfiltre un banquier véreux.

Ce livre montre bien que la question des paradis fiscaux n’est pas que celle de l’évasion fiscale des multinationales. Elle est aussi celle du blanchiment :

Page 232 :

« Nawango se fige. Lui sait. Il explose.

« C’est notre arrêt de mort ! Ce pays (la Grande Bretagne) est un paradis fiscal et judicaire. Le Premier Ministre peut arrêter une enquête comme il veut, bloquer un journal s’il veut ! Il y a des milliards cachés ici qui suffiraient à sauver tant de gens, ça fait des années, des décennies, un siècle que ça dure ! »



Il est donc de notre devoir en tant que chrétiens de dénoncer ces mécanismes amoraux qui soutiennent des activités amorales :trafic d’espèces protégées, trafic de déchets, pillage des ressources naturelles comme le bois, traite des personnes, prostitution, trafic d’organes, migrations clandestines, contrefaçons, crime organisé, drogue, terrorisme, trafic d’armes. Dans tout cela le blanchiment existe car il y a des paradis fiscaux, des lieux sans vraie fiscalité, des lieux non transparents, des lieux qui refusent l’échange d’information, des lieux où une boite à lettre sert de siège social.

C’est ce que fait à nouveau le Conseil pontifical Justice et Paix en novembre 2008 dans un document issu d’un séminaire préparatoire à la conférence de Doha. Les centres financiers offshore ont été un relais dans la transmission de la crise financière et dans « un enchaînement de pratiques économiques et financières devenues absurdes; flux légaux motivés par des objectifs d’évasion fiscale et canalisés également à travers la sur et sous facturation des flux commerciaux internationaux, recyclage des revenus provenant d’activités illégales ». Le document préparatoire à Doha « propose de renforcer la coopération internationale en matière fiscale, surtout en vue d’une révision drastique des pratiques offshore », ce que soutien le Conseil pontifical.

Face aux questions posées, quatre niveaux d’interrogation concrète :

Le chrétien citoyen face à lui-même :

Sa déclaration d’impôt. Respect de règles.

Ses pratiques patrimoniales, ses choix de placement de son épargne, son souci de s’informer sur les pratiques de sa banque, ses habitudes de vacances etc.

Le chrétien citoyen et son entreprise :

Connaître les pratiques de son entreprise et ses collaborations avec les fournisseurs, les banques. Plaider l’information et la transparence

Avoir le courage de cela par exemple avec le comité d’entreprise qui chaque année consacre au moins une fois un temps de travail sur la situation économique et financière

Le chrétien citoyen et sa commune, sa région :

Connaître les pratiques, les inciter à travailler avec des acteurs économiques qui n’ont rien à cacher dans des paradis fiscaux, comme s’y sont déjà engagés plusieurs conseils régionaux

Et on peut ajouter la même démarche auprès de la paroisse.

Le chrétien citoyen et son État :

Contribuer à diffuser les propositions faites au G20 en matière de lutte contre les paradis fiscaux :

publication des comptes des entreprises par pays,

transparence totale au sujet des propriétaires des entreprises,

coopération judiciaire et fiscale effective, donc refuser absolument les accords du genre de ceux passés récemment entre la Suisse et l’Allemagne ou la Grande Bretagne qui assurent l’impunité et la poursuite de la dissimulation au prix d’un taux d’imposition obscur au profit des tricheurs / voleurs.

Plus largement faire connaître en interpeller les candidats à des élections sur les recommandations de la Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires :

HYPERLINK "http://www.stopparadisfiscaux.fr/nos-propositions/recommandations-de-la-plateforme/article/i-tenir-a-jour-une-liste-de-tous" Tenir à jour une liste de tous les paradis fiscaux, judiciaires et prudentiels.

HYPERLINK "http://www.stopparadisfiscaux.fr/nos-propositions/recommandations-de-la-plateforme/article/ii-prendre-des-sanctions-a-l" Prendre des sanctions à l’encontre des PFJ et accompagner leur reconversion

HYPERLINK "http://www.stopparadisfiscaux.fr/nos-propositions/recommandations-de-la-plateforme/article/iii-mettre-fin-aux-societes-ecrans" Mettre fin aux sociétés écrans et aux prête-noms

HYPERLINK "http://www.stopparadisfiscaux.fr/nos-propositions/recommandations-de-la-plateforme/article/iv-obliger-les-utilisateurs-des" Obliger les utilisateurs des PFJ à rendre des comptes

HYPERLINK "http://www.stopparadisfiscaux.fr/nos-propositions/recommandations-de-la-plateforme/article/v-promouvoir-une-cooperation" Promouvoir une coopération fiscale efficace qui bénéficie aux pays du Sud

HYPERLINK "http://www.stopparadisfiscaux.fr/nos-propositions/recommandations-de-la-plateforme/article/vi-mondialiser-la-lutte-contre-la" Mondialiser la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales

HYPERLINK "http://www.stopparadisfiscaux.fr/nos-propositions/recommandations-de-la-plateforme/article/vii-mondialiser-la-justice" Mondialiser la justice

Derrière tout cela il y a le lien entre le bien commun et la façon dont les richesses sont créées et partagées. La construction d’un monde plus juste concerne toute personne, concerne ce monde de la finance qui lui aussi est un outil déterminant de construction de la justice et de la fraternité. Le lien est clair avec la fraude fiscale, avec les marchés criminels.

L’option préférentielle pour les pauvres nait d’un double constat :

tous les hommes ont une égale dignité ; certains vivent dans des situations concrètes qui ne respectent pas cette égale dignité. Donc la situation des pauvres doit être changée.

Elle est aussi une lutte qui vise la transformation des structures créatrices de pauvreté et l’instauration de nouveaux comportements.

La collaboration inter religieuse

De nombreuses ONG et organisations chrétiennes collaborent avec les organisations laïques ou d’autres confessions religieuses.

Avec les ONG musulmanes le fait est patent. Elles se développent depuis une quinzaine d’années, le Secours islamique en Grande Bretagne puis en France par exemple ; Aujourd’hui la coopération avec elles est indispensable en, Somalie si on veut y conduire des programmes. Sans elles, c’est impossible.

Dans le Coran, l’aumône, la zakat, est définie en détails, quantifiée avec précision. Elle voit même d’un bon œil le prosélytisme.

Suite aux inondations de l’été 2010 au Pakistan une coopération s’est conduite entre la Caritas chrétienne et une organisation musulmane pashtoune d’origine britannique, l’Umah Welfate Trust. Celle-ci gérait de nombreux camps de déplacés particulièrement dans le Nord-Ouest du pays, zone pashtoune. La Caritas y a effectué de nombreuses distributions de produits de couchage, de matériels de cuisine et gérait de nombreux dispensaires où collaboraient facilement des personnels musulmans et chrétiens.

Ce type de partenariat est très fréquent dans les pays musulmans. Ils y sont d’ailleurs souvent plus faciles à conduire que des collaborations avec des organisations fondamentalistes chrétiennes américaines qui interviennent sans discernement et avec un prosélytisme agressif.


L’humanitaire et le militaire

Et il faut éviter les confusions entre humanitaire et militaire.

Un principe absolu : l’acteur humanitaire doit garder le rôle principal dans l’action humanitaire quelle que soit la situation. Sur le plan pratique personne n’a le contrôle total d’une situation de crise ou de guerre. Les humanitaires développent des liens stratégiques pour dispenser l’aide humanitaire. En ce sens, les relations avec les militaires peuvent être essentielles pour acheminer l’aide ou négocier l’accès à une zone par exemple. Mais il faut maintenir la neutralité et l’indépendance. Ainsi garder ses distances avec les militaires et ne pas agir sous contrôle militaire. Les militaires prenant part à des opérations de secours observeront le droit international et appliqueront les principes humanitaires. Ils ne porteront jamais d’armes.



L’enjeu n’est pas de savoir si les organisations humanitaires doivent établir ou non des relations avec les militaires en cas de crises mais plutôt d’en déterminer les limites.

Pour les Polonais, l’armée est un pilier de la nation. Pour des victimes d’années de dictatures militaires en Amérique latine le contexte sera différent. Par ailleurs il ne saurait y avoir de mélange entre les actions humanitaires et militaires, vues par les victimes de la crise.

Il existe souvent une interaction entre les forces armées et les agences humanitaires au cours des opérations de secours mais l’augmentation des forces militaires engagées dans un travail habituellement considéré comme du domaine humanitaire engendre des confusions.

La coopération est facile en matière d’échange d’informations voire parfois de soutien logistique. Elle est plus délicate si l’humanitaire paraissait « associé » aux forces militaires. En tout état de cause, dans la quasi-totalité des cas, les escortes armées et la distribution des aides des humanitaires par les militaires sont à prohiber. Il convient de refuser l’utilisation du mot humanitaire pour décrire des activités conduites de façon partiale, réalisées pour servir une mission politique ou militaire.

L’enrôlement des militaires dans le travail humanitaire est une nouvelle mode, comme le manifeste l’engagement de l’OTAN en Afghanistan sous des formes diverses. Le développement des activités civilo-militaires va à l’encontre des principes humanitaires adoptés par la Croix Rouge internationale. Nous les avons repris à Caritas en précisant par exemple

Notre refus de principe à toute activité humanitaire des forces armées. En 2006 à New York avec Jan Egeland, secrétaire général adjoint pour les Affaires humanitaires et coordinateur des secours d’urgence, nous abordons la question de la militarisation de l’aide humanitaire. Il pense qu’en cas de catastrophe naturelle il est possible voire souhaitable de faire appel à la collaboration des armées, s’il n’y a pas d’autre alternative. Par contre, en cas de conflit, c’est totalement exclu.

L’engagement des militaires doit être limité dans le temps ; il doit s’exercer à la demande expresse des autorités civiles légitimes ou d’une organisation internationale reconnue par tous



De plus, les armées sont parfois impotentes et incapables de gérer à des coûts satisfaisants des opérations de secours ou médicales. Le coût d’un hôpital militaire étranger grevé des soldes de fonctionnaires expatriés explose par rapport à celui de son pair du pays concerné employant des personnels locaux.

Mais la question de la militarisation de l’humanitaire va aujourd’hui avec celle de la privatisation du militaire. Sami Makki la décrit en détail pour les Etats-Unis. Le monde des organisations non gouvernementales américaines se caractérise par le poids grandissant de celles qui « utilisent l’aide pour évangéliser les populations en terrain conquis. […] Se développe alors une privatisation de l’aide internationale américaine du fait de la nature des financements. […] De plus en plus ce sont souvent des entreprises commerciales qui agissent pour le compte du gouvernement américain et qui n’ont plus aucun lien avec les organisations non gouvernementales bénévoles. […] Les compagnies privées dont les services sont payés par le Pentagone sont d’un coût parfois excessivement élevé. Elles sont devenues essentielles à une nouvelle stratégie interventionniste reposant sur la capacité de projection rapide des forces ». Ce phénomène mercenaire s’étend à des services proposés à des entreprises, des ONG, des agences des organisations internationales ou aux forces armées des pays en voie de développement.

Cette nouvelle doctrine d’intégration des acteurs civils dans les processus militaires conduit ces derniers à « différentes postures allant de la recherche du partenariat pour des raisons commerciales au refus pour des questions de principe (indépendance de l’humanitaire pour les ONG). Cependant des paramètres structurels limitent les marges de manœuvre des ONG ».




A propos de la Libye

Guerre juste, responsabilité de protéger

« La tradition de l’Eglise est, à l’origine, pacifiste.

C’est son statut d’Eglise officielle, constantinienne, qui l’a obligée à quitter cette attitude radicale. Depuis saint Augustin, au 4ème siècle, des théologiens (comme saint Thomas d’Aquin ou François de Vittoria) réfléchissent à la protection de la paix, au devoir de légitime défense et au maintien d’un certain ordre social… tout en voulant préserver au maximum l’hostilité à la guerre du début de l’histoire chrétienne.

Chacun connaît la théorie dite de la guerre juste. Elle doit être lue dans ce contexte limitatif [cf. Catéchisme de l’Eglise catholique (2308-2309)].


Cette théorie ne correspond plus à la situation actuelle : la dissuasion nucléaire, l’existence d’une autorité internationale où l’intrication des économies et la rapidité des nouvelles font du monde un village global et obligent à poser les problèmes autrement.


Aujourd’hui, une des questions principales est de savoir si l’on peut intervenir dans un pays étranger au nom de la défense et de la protection des populations. L’esprit de la charte de l’O. N. U. y est tout à fait défavorable. En effet, l’histoire de l’ingérence est une histoire douloureuse : les révolutionnaires (pour imposer leur idéologie), les conservateurs (pour imposer leur ordre), les colonialistes (pour imposer leurs idées sur le développement), les racistes (pour « venir en aide » à leur ethnie), se sont tour à tour cru avoir des droits sur les autres pays, et ceci a conduit à des catastrophes.


Cependant, la question revient sans cesse : peut-on laisser ses voisins être des victimes (d’une dictature, d’une catastrophe, d’une situation humanitaire insupportable) ? La médiatisation du monde rend la chose presqu’impossible : les opinions publiques ne tolèrent plus le malheur. Le génocide du Rwanda justifie toutes leurs mauvaises consciences.

En 1987, Messieurs Bettati et Kouchner lancent une réflexion sur le droit d’ingérence humanitaire. Mais le concept montre vite ses limites. Chacun s’accorde à reconnaître la valeur de l’intervention d’organisations humanitaires pour aider des populations civiles… mais l’humanitaire, lorsqu’il est accompagné ou même précédé par l’armée, cache mal le fait qu’il est un paravent d’intérêts qui lui sont étrangers.


En 2005, l’ONU. a défini une nouvelle doctrine : la responsabilité de protéger (R2P) : elle établit le droit de tout peuple à être protégé par son Etat et, en cas de carence grave, par la communauté internationale… « afin de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, des nettoyages ethniques et des crimes contre l’humanité » (A Ras 59 / 314, page 139). L’intervention doit alors être l’ultime recours, être graduelle, limitée dans l’espace et dans le temps et ne pas remettre en cause le principe de non ingérence et de souveraineté étatique.


Cette doctrine est celle qui justifie la résolution qui a autorisé l’intervention de l’OTAN. en Libye.

Il est sans doute trop tôt pour faire un bilan. Mais il est bon de se poser des questions et de faire écho à celle que se pose le Vatican par la voix de son « ministre des affaires étrangères », Monseigneur Mamberti (voir encadré).

L’autorisation était donnée d’intervenir « pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque. »

Pour l’ONU., il n’était question ni de renverser le Colonel Khadafi, ni d’établir un nouveau régime en Libye. Or, il semble que, de fait, l’intention profonde de ceux qui sont intervenus était de soutenir le mouvement de l’histoire initié par le printemps arabe.

Dès lors, pourquoi la Libye et pas la Syrie ? L’Occident est-il vraiment justifié d’imposer son idéologie démocratique par la force ? Car, après tout, c’est de cela qu’il s’agit. On voit mal comment, autrement, la destruction de Syrte (et de son hôpital) -pour laquelle certains s’interrogent pour savoir s’il n’y a pas eu là crime de guerre- est justifiée par le seul mandat de défendre la population civile.

En fait, le « R2P » a permis une guerre. Et la guerre a une logique qui est sale.

L’urgence de défendre Benghazi était réelle. Mais il ne semble pas –malgré ses propos et son caractère fantasque- que le Colonel Khadafi ait été homme à massacrer son peuple, même si les media ont dit le contraire.


L’Eglise a toujours refusé les guerres préventives… ces guerres qui reposent sur le soupçon. Et, dans un monde médiatisé, il est difficile de lutter contre des soupçons qui sont présentés comme des réalités (que l’on se souvienne de l’armement de Saddam Hussein). Le devoir de « protection » ne court-il pas le risque de donner trop de pouvoirs à « l’intox » ?


De plus, l’alliance a pris prétexte du fait que la résolution 1973 refusait toute intervention à terre (ce qui, évidemment, n’a pas été vraiment respecté), pour ne pas prendre de responsabilités face à la nécessaire reconstruction du pays. Comme en Somalie, il y a vingt ans, l’alliance n’avait aucune stratégie politique en intervenant… or, les armes ne sont efficaces que lorsqu’elles donnent du temps et des possibilités à la politique. Le devoir de protection, s’il est exercé, ne peut s’arrêter sans établir les bases d’une protection durable.


Au sein de l’alliance, il y avait la France, et ceci aussi doit entraîner une réflexion.


Vue sa proximité, il est compréhensible que la Libye occupe une place dans notre politique étrangère… mais cette place doit-elle être plus importante que notre lien à l’Europe? Par ailleurs, l’intervention a montré l’incapacité de l’Europe à mener une opération de moyenne envergure sans les américains.

La vente d’armes et de moyens sophistiqués de surveillance de la population (écoutes) au Colonel Khadafi invite à réfléchir à la fois à une politique européenne d’armement –et, par conséquent, de vente d’armes-: là encore, on doit interroger notre politique européenne.


Pour conclure, il convient de reprendre la réflexion sur l’ingérence.

Peut-elle être honnête sans un auto-examen notre propre violence et nos raisons profondes ? (notre volonté de continuer à être une nation qui compte peut nous faire céder à bien des emballements…). L’ingérence et le devoir de protéger n’ont de sens que sous-tendus par un sentiment de fraternité aux dimensions du monde. »


Monseigneur Michel Dubost

Président de Justice et Paix

Lettre de Justice et Paix, novembre 2011





« Ces urgences humanitaires portent à souligner la nécessité de trouver des formes innovatrices pour mettre en œuvre le principe de la responsabilité de protéger, au fondement de laquelle de trouve la reconnaissance de l’unité de la famille humaine et l’attention pour la dignité innée de chaque homme et de chaque femme. Comme on le sait, un tel principe se réfère à la responsabilité de la communauté internationale d’intervenir dans des situations dans lesquelles les gouvernements ne peuvent pas à eux seuls ou ne veulent pas s’acquitter du devoir premier qui leur incombe de protéger leurs populations des violations graves des droits de l’homme, comme aussi des conséquences des crises humanitaires. Si les Etats ne sont pas en mesure de garantir une telle protection, la communauté internationale doit intervenir avec les moyens juridiques prévus par la Charte des Nations Unies et par d’autres instruments internationaux.

Le risque que ledit principe puisse être invoqué dans certaines circonstances comme un motif commode pour l’usage de la force militaire, est toutefois à rappeler. Il est bon de redire que même l’usage de la force conforme aux règles des Nations Unies doit être une solution limitée dans le temps, une mesure de véritable urgence qui soit accompagnée et suivie par un engagement concret de pacification. Ce dont il y a besoin, par conséquent, pour répondre au défi de la « responsabilité de protéger », c’est d’une recherche plus profonde des moyens de prévenir et de gérer les conflits, en explorant toutes les voies diplomatiques possibles à travers la négociation et le dialogue constructif et en prêtant attention et encouragement même aux plus faibles signes de dialogue ou de désir de réconciliation de la part des parties impliquées. La responsabilité de protéger doit s’entendre non seulement en termes d’intervention militaire, qui devrait représenter le tout dernier recours, mais, avant tout, comme un impératif pour la communauté internationale d’être unie face aux crises et de créer des instances pour des négociations correctes et sincères, pour soutenir la force morale du droit, pour rechercher le bien commun et pour inciter les gouvernements, la société civile et l’opinion publique à trouver les causes et à offrir des solutions aux crises de toutes sortes, en agissant en étroite collaboration et solidarité avec les populations touchées et en ayant toujours à cœur, par-dessus tout, l’intégrité et la sécurité de tous les citoyens. Il est donc important que la responsabilité de protéger, entendue en ce sens, soit le critère et la motivation qui sous-tendent tout le travail des Etats et de l’Organisation des Nations Unies pour restaurer la paix, la sécurité et les droits de l’homme. D’ailleurs, l’histoire longue et généralement réussie des opérations de maintien de la paix (peacekeeping) et les initiatives plus récentes de construction de la paix (peacebuilding) peuvent offrir des expériences valables pour concevoir des modèles de mise en œuvre de la responsabilité de protéger dans le plein respect du droit international et des intérêts légitimes de toutes les parties impliquées. »

Intervention de Monseigneur Mamberti à l’O. N. U., le 27 septembre 2011

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Les structures politiques sont les facteurs principaux de stabilité

Des penseurs font le lien entre violence, passions et structures politiques.

L’Allemande naturalisée HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/États-Unis" Américaine, Hannah Arendt, elle, dans Essai sur la révolution s’en prend à la compassion qui fait du mal car elle tente de rendre heureux les malheureux au lieu d’établir la justice pour tous. Elle ignore la négociation, le compromis ; elle est irrelevante en politique.

Si la passion est la capacité de souffrir, la compassion est la capacité de souffrir avec.

L’Américaine Nancy Fraser distingue reconnaissance et redistribution HYPERLINK "http://denis-vienot.org/2011_html/11_01_Annecy-Texte-final-Amis-de-La-Vie-janv-2011.html" \l "sdfootnote61sym" 61.

La reconnaissance est l’égal respect dû à tous les membres d’une société. Elle est culturelle comme le manifeste la place donnée aux minorités, aux femmes, aux gays, aux étrangers etc. L’injustice culturelle plaide pour la Reconnaissance.

La redistribution est le partage équitable des biens et des ressources. Elle est économique. L’injustice économique plaide pour la Redistribution.

Mais Nancy Fraser insiste sur les structures politiques, facteurs de stabilité. Elle relève par exemple :

Lors du Traité de Vienne, la France fut invitée à la négociation ce qui facilita la paix ultérieure.

Lors du Traité de Versailles, l’Allemagne ne le fut pas et elle créa deux mythes pour se protéger, d’une part l’invincibilité du Reich puisque son territoire ne fût pas envahi lors de la Première guerre mondiale, d’autre part le coup de poignard planté dans son dos. La suite est connue ! Après la Seconde guerre mondiale elle est mieux traitée et doit son salut à l’économie, le miracle allemand.

Le démantèlement de l’Empire Ottoman en 1920 et son partage entre la Grande-Bretagne et la France, sont les racines de l’instabilité arabo- musulmane HYPERLINK "http://denis-vienot.org/2011_html/11_01_Annecy-Texte-final-Amis-de-La-Vie-janv-2011.html" \l "sdfootnote62sym" 62.

La Hongrie et les peuples d’Europe de l’Est après 1945 sont humiliés par la Russie et se sentent abandonnés par l’Ouest.

La guerre d’Irak, l’invasion américaine de 2003, engendre le chaos politique et une guerre de religion.

Sans structure politique la religion est en zone libre et n’est plus empêchée d’aller vers l’extrême.

Dans ce contexte l’Union européenne, les organisations régionales comme en Afrique, en Asie et en Amérique latine sont avec les Nations Unies, l’Organisation mondiale du commerce et les institutions financières, sociales ou judiciaires mondiales, des cadres de rationalisation des passions et des idées. Avec les Etats elles doivent être les promotrices de la Justice et de la Paix dans toutes leurs dimensions, sociales ou politiques, nationales ou internationales, en temps de paix comme en temps de conflit national ou international.



Pour un acteur observateur des évolutions de l’action humanitaire intégrant l’urgence et le développement, l’action sociale, globalement la lutte contre la pauvreté et « l’éradication de la pauvreté extrême » selon les termes la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, le principal changement des 25 dernières années est l'émergence du plaidoyer et de l'intégration de la dimension politique. L'analyse de ce qui fabrique de la pauvreté, surtout quand elle est de longue durée, est incontournable. Le rôle joué par les phénomènes sociologiques, religieux ou sociaux, et l'importance du non-respect des droits de l’homme sont au cœur de l’agenda. Avec des conséquences capitales pour les gouvernements en place. Le gouvernement pakistanais a ainsi réagi intelligemment tout de suite après le tremblement de terre de septembre 2005. Il s’aperçoit qu’il commence à y avoir des abus contre les femmes et des problèmes d’adoption d’enfants, et interdit immédiatement toute adoption d’enfants pakistanais à l’étranger. Le politique a repris le pouvoir.

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Théologie de la paix, René Coste, Paris, Cerf, 1997

Avant propos de Daniel Druesne, La justice dans la peau, Denis Viénot, Desclée de Brouwer, Paris, 2010

Pilier de l’Islam avec la profession de foi, la prière, le Ramadan et le pèlerinage à la Mecque. Le montant fait l’objet de grands débats ; en simplifiant elle est due par une personne qui a un capital ou des revenus annuels supérieurs à un peu plus de 1000 euros et le montant à payer égal à 2,5% de la richesse totale de la personne soit un minimum de 25 euros par an.

Avant propos de Daniel Druesne, La justice dans la peau, Denis Viénot, Desclée de Brouwer, Paris, 2010


Jihad humanitaire” Abdel-Rahman Ghandour, Flammarion , 2002

Odile Jacob, Paris 2010.

Le temps de l’Afrique, Jean Michel Sévérino et Olivier Ray, Odile Jacob, Paris 2010

Alors que les Etats, du Nord au Sud, sont en train d’opérer des coupes budgétaires sans précédent, le G20 a parié sur la voie la plus incertaine pour lutter contre les paradis fiscaux. La coopération fiscale impulsée par HYPERLINK "http://www.stopparadisfiscaux.fr/que-font-les-etats/ocde-gafi-csf/article/l-ocde" l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE) ressemble à une véritable machine à gaz. Comment expliquer qu’après trois ans de lutte proclamée contre les paradis fiscaux, il ne soit toujours pas possible de connaitre le montant des recettes fiscales recouvrées ou le nombre de fois où les paradis fiscaux ont bien voulu transmettre des informations aux Etats qui leur demandaient ?

Les standards de coopération fiscale qui ont été retenus, sous l’égide de l’OCDE, ne sont certainement pas les plus efficaces :

L’approche privilégiée de coopération fiscale à travers des traités bilatéraux est laborieuse

Elle requiert beaucoup de temps de négociation, puis de ratification, sans compter la capacité limitée des instances internationales à surveiller leur conformité et leur application.

INCLUDEPICTURE "http://www.stopparadisfiscaux.fr/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" \* MERGEFORMATINET  Trois ans après l’offensive du G20 en novembre 2008, les progrès sont désespérément lents : HYPERLINK "http://www.stopparadisfiscaux.fr/que-font-les-etats/forum-fiscal-mondial/article/g20-la-nouvelle-cooperation" seulement un accord nouveau de coopération fiscale sur trois est entré en vigueur.

INCLUDEPICTURE "http://www.stopparadisfiscaux.fr/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" \* MERGEFORMATINET  Sur les 519 nouveaux accords évalués par le HYPERLINK "http://www.stopparadisfiscaux.fr/que-font-les-etats/forum-fiscal-mondial" Forum mondial, une centaine n’est pas conforme aux standards internationaux. Même la France a signé des accords qui ne garantissent pas la coopération avec les Iles Vierges britanniques, les Iles Turques et Caïques ou l’Autriche.

Un traité multilatéral de coopération fiscale ferait gagner du temps à tous

Surtout pour obtenir, sur un pied d’égalité, les meilleures conditions de coopération auprès des paradis fiscaux pour les pays pauvres, comme pour les pays riches. Des dispositifs multilatéraux existent déjà dans plusieurs parties du monde, comme la Directive épargne au sein de l’Union européenne ou la Convention d’assistance mutuelle du Conseil de l’Europe et de l’OCDE et méritent d’être approfondis.

Pourquoi se limiter à l’échange d’informations à la demande ?

Les nouveaux traités, au modèle OCDE « d’échange à la demande », obligent les Etats lésés à prouver le soupçon de fraude fiscale, pour obtenir de l’information, à la différence du modèle d’échange de renseignements fiscaux automatique expérimenté au sein de l’Union européenne sur les produits de l’épargne. Une série de contraintes longues et coûteuses, voire impossibles à respecter, quand il faut retrouver l’identité du fraudeur qui cache ses fonds sur un compte anonyme ou dans un trust. Sans compter que le paradis fiscal pourra toujours juger la demande insuffisamment étayée.

Quel suivi politique du processus ?

La mise en œuvre des nouveaux traités et la pertinence de ces standards ne sont surveillées que par un long processus technique et diplomatique d’évaluation mutuelle entre Etats qui ne sera pas achevé avant au moins 2014, à travers le HYPERLINK "http://www.stopparadisfiscaux.fr/que-font-les-etats/forum-fiscal-mondial/" Forum mondial pour la transparence et l’échange de renseignements fiscaux, très lié à l’OCDE. Ce processus mène un travail d’évaluation de qualité sur un certain nombre de critères précis, mais il se distingue également par son manque de lisibilité pour les non-spécialistes : ni notation ou classement des Etats, ni chiffres concrets sur les demandes de renseignements fiscaux accordées par les paradis fiscaux.

HYPERLINK "http://www.stopparadisfiscaux.fr/que-font-les-etats/g20-le-debut-de-la-fin-des-paradis/article/pourquoi-la-strategie-du-g20-en" http://www.stopparadisfiscaux.fr/que-font-les-etats/g20-le-debut-de-la-fin-des-paradis/article/pourquoi-la-strategie-du-g20-en

Pierre Gallien, Revue Humanitaire, Médecins du Monde, juin 2010

Les défis humanitaires, Caritas Luxembourg, Caritas Suisse, Les cahiers de Caritas Luxembourg n°3, Luxembourg, Lucerne, novembre 2005

Le débat stratégique américain. Militarisation de l’humanitaire, privatisation du militaire, Cirpes, Cahier d’études stratégiques, 36-37, 2004


HYPERLINK "http://justice-paix.cef.fr/Novembre-2011.html" http://justice-paix.cef.fr/Novembre-2011.html



























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