JUSTICE ET PAIX FRANCE


L’éclaireur de la doctrine sociale



Notre évêque a été nommé, par le Conseil permanent de l’Épiscopat, président de la Commission française Justice et Paix. Secrétaire général de cet organe, discret mais reconnu comme la « voix » de l’Église sur les sujets de fond de la vie internationale, Denis Viénot nous en dévoile le rôle et l’action.


Justice et Paix est né il y a tout juste 45 ans, en 1967

Le point de départ, c’est la dynamique du Concile Vatican II, dont l’encyclique de Paul VI Populorum progressio (1) du 26 mars 1967. C’est là que sont les racines de l’engagement organisé de l’Église autour des thèmes de justice et de paix, avec la création du Conseil pontifical Justice et Paix à Rome, puis l’invitation faite aux conférences épiscopales de lancer leurs propres Commissions Justice et Paix. Initiée en 1968, la Commission française Justice et Paix a été créée le 14 décembre 1970, sous forme d’association autonome.

Dans cette histoire, il y a deux documents à citer. Le premier est la lettre d’envoi en mission, en date du 30 juin 1979, du cardinal Etchegaray, alors président de la conférence épiscopale française, qui reprécise les objectifs de la Commission, et son lien avec les différents organes de l’Épiscopat.

L’autre document fondateur est la constitution apostolique Pastor Bonus de Jean-Paul II, de juin 1988, qui réforme la Curie et reprécise, entre autres, le rôle du Conseil pontifical : « Il approfondit la doctrine sociale de l’Église, en faisant en sorte qu’elle soit largement diffusée... ».

Un dernier document intéressant est celui remis aux présidents et secrétaires généraux des Commissions Justice et Paix, en mars 2011 à Rome. Il montre la variété et l’accroissement des thèmes abordés au fil du temps. Mgr Mario Toso, secrétaire du Conseil pontifical, le dit bien : « En plus des thèmes étudiés traditionnellement comme le travail, la propriété, l’entreprise, la justice internationale, les systèmes économiques et politiques, le développement, la guerre, le commerce des armes, le désarmement et son contrôle, la violence, la faim, la pauvreté, le dialogue interreligieux, la paix et la non-violence, le Conseil s’ouvre aujourd’hui à la question environnementale, à l’écologie humaine, à la mondialisation et aux délocalisations, au financement de l’économie, à l’éthique de la vie, aux droits de troisième et quatrième générations (2), au terrorisme… »

Au-delà des options prises par les conférences épiscopales nationales, qui sont libres du choix de leurs thèmes, on a là un inventaire global des possibilités de mise en œuvre de la doctrine sociale de l’Église dans les différents domaines de la politique - au sens le plus large du terme - et des relations internationales.


Justice et Paix a un rôle d’élaboration « continuée » de la doctrine sociale

Par les travaux du Conseil pontifical, et bien d’autres… Justice et Paix n’en a pas la compétence exclusive. Pour citer un exemple, le Conseil pontifical pour les migrations apporte aussi sa pierre. On prépare, en ce moment, un travail sur les chrétiens et les migrations en France : se mettent autour de la table, le Secours catholique, le CCFD, la Pastorale des migrants, Justice et Paix, et d’autres. Il y a coopération active, et non domaine réservé.


Comment la Commission Justice et Paix est-elle constituée ?

Nous sommes une association, avec peu de membres. Le recrutement se fait par cooptation, mais ce n’est pas un choix au hasard : on fait aussi appel à des personnes en fonction de ce que nous avons en tête comme sujets importants.

On vient par exemple de faire rentrer Laurent d’Ersu, ancien chef-adjoint du service monde à La Croix, qui est maintenant à la Direction de la Prospective du Ministère des affaires étrangères, en charge de l’Afrique subsaharienne : il a une coloration presse, médias, relations internationales, diplomatie, Afrique…

Sur dix-huit membres actuellement, on compte un évêque, trois prêtres et deux religieuses ; le reste sont des laïcs. Et on aime bien avoir des compétences croisées.


Sur quelles questions travaillez-vous actuellement ?

Notre plan de travail, pour les dix-huit mois à venir, se décline en quatre thèmes principaux. Le premier est celui du développement, du développement durable… Il est significatif de la méthode de travail de la Commission : on a, dans ce groupe, deux-trois personnes de chez nous, renforcées par des experts extérieurs.

Il y a ensuite les nouvelles solidarités : ce thème, relié au précédent, est une réflexion menée depuis longtemps avec les congrégations religieuses, sur différents sujets… Par exemple, en 2007-2008, on a fait un travail très important sur l’interculturel - un défi important pour les instituts religieux - et on vient de terminer un petit livre (3) sur les associations de gestion qu’ils créent afin d’associer des forces hors congrégations.

Le deuxième grand thème, ce sont les questions de sécurité, vues dans une perspective européenne, car, comme Français, nous ne pouvons réfléchir seuls aux questions de sécurité. À ce titre, nous aborderons en 2012 plusieurs sujets. D’abord le désarmement nucléaire, que l’on voudrait creuser avec les évêques, car les réflexions de l’Église reposent encore, pour l’essentiel, sur l’époque de la Guerre froide. Nous organisons un colloque sur ce sujet, à l’Institut catholique les 16 et 17 mars.

Toujours sur ce « paquet sécurité », il y a un second thème de réflexion autour de la responsabilité de protéger, la défense légitime, abordée aussi sans doute par le biais d’un colloque en novembre : c’est tout le travail de l’ONU sur la nécessité de protéger les populations dans les situations conflictuelles.

Ensuite, on travaille avec le Secours catholique et le CCFD sur la question des armes légères. Un traité sur le commerce des armes va être élaboré par les Nations Unies en 2012 : on va sûrement faire quelque chose.

Le troisième grand thème, ce sont les droits de l’Homme : nous croyons nécessaire de réinvestir cette question, car on a un peu l’impression que pourraient se perdre aujourd’hui les idées fondamentales relatives aux droits de l’Homme. On est en train d’y réfléchir très fortement avec un groupe qui redémarre.

Quatrième sujet : la question du système financier international. Notre souci, c’est que l’on a affaire aujourd’hui à des mécanismes et des personnes qui perdent la « boussole éthique » dans le pilotage et les pratiques du système financier…  C’est un sentier nouveau que l’on ouvre.

Sinon, concernant les pays, nous avons peu l’habitude - parce qu’un gros travail est fait en France par le CCFD et le Secours catholique - d’en suivre très directement un grand nombre. Mais pour diverses raisons historiques, nous avons quatre-cinq pays dans le «collimateur» : le Soudan et le Sud-Soudan, le Pakistan, Israël et la Palestine, et plus largement les pays d’Afrique où il y a des Commissions Justice et Paix.

Voilà, rapidement balayés, les thèmes actuels de travail de Justice et Paix : certains sont en plein développement, d’autres sont en phase d’amorçage.

En plus, nous coopérons avec la société civile sur des sujets particuliers, via les plates-formes et les collectifs… Je pense au collectif « Ensemble contre la traite » [des êtres humains], piloté par le Secours catholique. On travaille aussi beaucoup avec la plate-forme sur les paradis fiscaux, qui dépend du CCFD, Oxfam et le Secours catholique. On a un œil sur la Coalition pour la Cour pénale internationale, le collectif Publiez ce que vous payez, sur les industries extractives (4). On regarde aussi du côté de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme, avec le Secours catholique.

Voilà des exemples de collaboration sur des thèmes particuliers, où l’on n’agit pas seuls, mais véritablement avec d’autres : l’ACAT, le Secours catholique, le CCFD, Pax Christi…, selon les thèmes.

Propos recueillis par Jean-François Degenne



(1) Promulguée à Pâques 1967, cette encyclique de Paul VI subordonne la réalisation de la paix mondiale à la transformation des rapports d’inégalité entre peuples développés et peuples en voie de développement. Elle énonce, entre autres, la notion de développement intégral de l’homme (« de tout l’homme et de tout homme »), et se conclut par ces mots célèbres : « Le développement est le nouveau nom de la paix ». 


(2) Il s’agit de droits humains d’émergence récente : droits environnementaux, droits liés à la bioéthique, droit au partage du patrimoine commun de l’humanité, droits des minorités, prérogatives des personnes « faibles », etc.


(3) Les instituts religieux créent leurs associations : une solidarité internationale renouvelée.

(4) Le but est d’obliger les multinationales, titulaires de concessions d’extraction de matières premières (minerais, pétrole…), à déclarer les royalties qu’elles versent aux États.



DENIS VIÉNOT, LA JUSTICE DANS LA PEAU


Né en 1946, Denis Viénot a travaillé dans le secteur bancaire, avant d’entrer en 1975 au Secours catholique - Caritas France. Il en fut successivement le directeur administratif et financier, le directeur de l’action internationale et le Secrétaire général (1991-1998).

Parallèlement, il a été trésorier de Caritas Internationalis (1987-1999), puis président de Caritas Europa de 1999 à 2005, et assuma la charge de président de l’organisation mondiale de 2005 à 2007.

Entre autres responsabilités dans la société civile et le secteur associatif, Denis Viénot a fait partie de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme, de 1996 à 1999. Il est président de Chrétiens en Forum* depuis octobre 2008.

Membre de Justice et Paix France depuis 1987, il en est le Secrétaire général depuis septembre 2011. Il a publié, en 2010, La Justice dans la peau - Géopolitique de l’action humanitaire (Éditions Desclée de Brouwer).


■■■ (*) Association organisatrice de deux temps forts en 2011 dans le diocèse : l’un en avril avec les élus à La Roche-sur-Foron, l’autre en novembre au Centre Jean XXIII, autour des élections de 2012.