Une vision sécuritaire de l’immigration

La Croix, 9 avril 2010



Face à des opinions publiques qui se rigidifient la solidarité européenne navigue entre la directive de la honte et la directive « carte bleue ». Existe-t-il une troisième voie, celle de la fraternité ?


La Directive européenne relative au retour dans leurs pays des étrangers sans papiers augmente les durées de rétention et va jusqu’à leur interdire le séjour en Europe pendant cinq ans. Lors de son adoption les protestations furent mondiales. Elle est devenue la « directive de la honte ».

Dans les relations avec les pays tiers les accords sont fondés sur un principe : « Pays pauvres, gérez votre migration. Empêchez vos ressortissants de venir chez nous. Hérissez vos frontières.» Au cœur du principe de non solidarité la Directive de la honte permet l’augmentation de la durée de rétention jusqu’à 18 mois. L’Italie et l’Espagne ont ainsi aggravé leurs pratiques. La France envisage de passer de trente deux à quarante cinq jours. Et l’interdiction de revenir touche des personnes installées depuis longtemps, des conjoints et concubins, des déboutés de l’asile renvoyés dans des pays à risques pour eux. Il faudrait absolument des exceptions à cette interdiction de retour.

Pourtant entre les vingt-sept pays membres de l’Union européenne la liberté d’installation existe maintenant. Elle n’est juste limitée pour quelques années encore qu’envers les Bulgares et les Roumains, dans une politique anti Tziganes peu efficace. De plus des cas exceptionnels peuvent se présenter quand le coût en aide sociale d’une installation sera estimé excessif.

L’aide entre Etats est modeste. Elle ne concerne que quelques compensations en cas d’arrivées de demandeurs d’asile. Ainsi Malte qui en reçoit beaucoup du fait de sa situation géographique est-elle marginalement aidée. Des pays acceptent d’en recevoir quelques dizaines de réfugiés, la France ou les Pays Bas par exemple.

Mais plus largement dans l’esprit des résultats du Conseil européen de février 2010 l’assistance est plutôt sécuritaire. Ses vingt-neuf conclusions concernent par exemple la création d’équipes d’intervention rapide en cas de « pressions urgentes et exceptionnelles », la mise en place de patrouilles communes, l’ouverture d’un Bureau en Grèce elle aussi en première ligne, l’amélioration de la surveillance des frontières, la lutte contre les réseaux d’immigration clandestine et la traite des êtres humains, l’organisation de vols charters européens pour les retours forcés.

En matière d’asile la solidarité ne fonctionne pas vraiment non plus. Le principe est d’étudier le dossier d’un demandeur dans le pays où il arrive en premier lieu. Cela coûte très cher et génère des souffrances lorsqu’il faut faire revenir la personne en arrière voire dans son pays d’origine. Ainsi en 2008 la France a dans ce cadre renvoyé sept cent quatre-vingt neuf personnes et en a reçu neuf cent quarante sept. Et comme le note le député Thierry Mariani dans son rapport de décembre 2009, «fortement critiqué par les associations (…) le règlement ne prend pas en compte, selon elles, les liens d’attache du demandeur d’asile avec le pays vers lequel il est renvoyé, ni les grandes différences entre les systèmes d’asile, ni les niveaux de prise en charge des demandeurs d’asile ».

Par ailleurs les Etats européens signent parfois des accords qu’ils ne respectent pas. Le pacte européen de décembre 2008 initié par la France pendant sa dernière présidence de l’Union interdit les régularisations de clandestins. Quelques mois plus tard l’Italie lance un programme de régularisation de trois cent cinquante mille étrangers en situation irrégulière.

Par contre l’organisation coordonnée de la venue en Europe d’étrangers très qualifiés avance. La Directive « carte bleue » permet le regroupement familial aisé, un séjour régulier de cinq ans et même la mobilité intra européenne. Une fois de plus il vaut mieux être riche – ici de savoirs - et heureux !


Si le lien politique entre migrations et développement est donc d’abord sécuritaire quelques voies complémentaires sont plus optimistes comme le travail sur la diminution du coût des transferts financiers des migrants vers leurs familles, la collaboration avec leurs diasporas, la cohérence dans le financement de programmes de développement thématiques et de services gestionnaires de la migration. Par contre l’idée de la migration circulaire semble difficile à mettre en œuvre. Il s’agit de convaincre les migrants de revenir chez eux après une certaine période, quelques années pour des travailleurs et lors de leur retraite pour les personnes en fin de carrière qui repartiraient avec leurs droits acquis. Les entreprises des premiers seront-elles intéressées ; les seconds le désireront-ils ?

Mais la réinstallation en Europe de réfugiés officiels bloqués dans des camps en Afrique ou en Asie est une bonne idée à poursuivre. La France a ainsi accepté cinq cent Irakiens.


L’intégration des migrants en Europe est une nécessité. Certes elle n’est pas de la compétence de l’Union européenne. Comme en matière de politique sociale elle stimule les échanges de bonnes pratiques. Si l’inclusion sociale vise les citoyens européens, l’intégration des étrangers nécessite que la population européenne s’adapte et accepte des citoyens « différents ». Et intègre la fraternité dans son système de valeurs.



Denis Viénot

Président de Chrétiens en Forum

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