Elites et peuple au Pakistan

La Croix, 5 décembre 2007




Tout autour règne un climat de malaise et d’inquiétude et pourtant nous sommes nombreux à applaudir ces dizaines de lycéens qui chantent et dansent la diversité et la richesse de leurs régions. La célébration du 100ème anniversaire de la cathédrale Lahore dépasse l’anxiété générale dans lequel s’enfonce le Pakistan. Mgr Lawrence Saldanha, appuyé sur une canne, fragile et courageux, se lève et réaffirme l’opposition de l’épiscopat à l’état d’urgence. Nous sommes le 18 novembre 2007 et depuis le début du mois, règne dans le pays un d’état d’urgence militaire et policier.

Car au nom du bien commun, le Général Musharraf, Président du Pakistan viole la constitution en annonçant que le « pays est plus important que la constitution. ». Ainsi sont emprisonnés et victimes de mauvais traitements puis relâchés, non seulement les opposants politiques mais aussi les défenseurs des droits de l’homme. C’est pourquoi les élites, étudiants et membres de la société civile multiplient les manifestations. Même les juristes, journalistes, et les chaînes de télévision censurées résistent et protestent, Les élections législatives et régionales sont cependant convoquées pour le 8 janvier prochain. Selon les principaux partis politiques elles ne seront pas justes car ils ne peuvent les préparer normalement. Mais les partis fondamentalistes accroîtront-ils leur influence comme en 2002? La critique internationale est ample mais peu approfondie.

Cependant l’immense majorité des Pakistanais est loin de tout cela. Du Nord au Sud les millions de pauvres marginalisés, victimes du sous développement ou exploités par les grands propriétaires fonciers souvent politiciens, tentent de survivre alors qu’il n’y a ni services de santé ni écoles. Le Directeur de la Caritas de Karachi dit : « La priorité absolue des populations pauvres de ces régions est leur minimum vital : l’accès à la nourriture et aux autres besoins essentiels. Dans ces régions perdues ils n’ont ni électricité ni eau potable. Ils n’ont pas de motifs pour penser à la situation politique du Pakistan. »


Et alors que l’attention du monde entier se concentre sur les joutes des élites et de l’armée, le même Général Musharraf poursuit sa politique contradictoire envers les minorités tribales telles les opérations militaires de nettoyage de la vallée de Swat, au Nord Ouest d’Islamabad, contrôlée par des guérillas fondamentalistes. Des centaines de familles fuient les villages bombardés de cette région montagneuse, agricole et touristique.

Plutôt que de participer ainsi à la « guerre contre la terreur » au service des Etats-Unis, un vrai gouvernement démocratique devrait négocier avec les Pashtouns installés depuis bien longtemps sur la ligne de frontière arbitraire avec l’Afghanistan et qui n’acceptent pas plus aujourd’hui qu’hier la présence étrangère.

Imran Khan, ancien capitaine de l’équipe pakistanaise de cricket -une idole - aujourd’hui homme politique, lui aussi emprisonné durant quelques jours, écrit dans « The Sun » de Lahore le 22 novembre : « Un gouvernement pakistanais souverain doit faire comprendre aux Etats-Unis qu’il n’y a pas de solution militaire en Afghanistan. Plus les bombardements aériens tueront des innocents Pashtouns, plus les Talibans recruteront : la vengeance est un trait de leur caractère. Les Américains doivent comprendre que pour capturer ou tuer deux ou trois mille « Alquaidistes », ils prennent le risque de voir se tourner contre eux dans les régions tribales du Pakistan un million d’homme pashtouns, armés, habitués à la guérilla. Lorsque les terroristes deviennent des combattants de la liberté et des héros pour le peuple qui les a engendrés, l’histoire nous apprend que la bataille est perdue. Pour apporter la paix dans les régions tribales nous devons nous référer à l’expérience des Anglais (au 19ème siècle) qui y avaient développé un système efficace de négociations avec les assemblées d’anciens tout en finançant les tribus». Les premiers gouvernements l’avaient fait.




Le Pakistan a besoin d’une légitimité politique pour faire face au risque d’une guerre civile, de guerres civiles. Les menaces sont grandes et la baisse de la natalité va générer des tensions comme chaque fois que les systèmes de valeurs sont bouleversés. Les actions de l’Eglise via le réseau des Caritas sont au plus près des populations de ce pays qui payent un lourd tribu à une politique qui devient barbare quand elle oublie que sa responsabilité est essentiellement le bien commun.


Denis Viénot

Ancien Président de Caritas Internationalis