QUESTIONS D'ACTUALITÉ
Denis Vienot
« L'aide humanitaire est victime de la réputation du Pakistan »


LE PRÉSIDENT DE CARITAS INTERNATIONALIS SE DEMANDE POURQUOI LES 50 000 ORPHELINS DU SÉISME SUSCITENT UNE AUSSI FAIBLE SOLIDARITÉ.


La Vie. Vous revenez tout juste du Pakistan, comment évolue la Situation sur le terrain ?

Denis Vienot. Il y a énormément de morts et de blessés. Les chiffres annoncés en ce moment sont à, mon avis, largement en dessous de la réalité. Un très grand nombre d'habitants ont également perdu leur maison. L'Onu parle de deux millions de sans-abri, ils sont beaucoup plus. Ensuite, l'accès des secours est très difficile. C'est une région d'habitat très dispersé. On y trouve des bourgs, mais aussi des fermes isolées au sommet d'un col. Chaque matin, les enfants font deux à trois heures de marche pour aller à l'école. C'est également une région de montagne, où le moindre glissement de terrain bloque l'accès à un village pendant des heures. Les femmes et les enfants sont les premiers touchés. Les veuves sont en situation de très grande précarité. D'abord, elles sont les dernières à être servies. Ensuite, elles peuvent être des proies faciles pour les réseaux de prostitution, très présents. La question des enfants est également sensible. L'Unicef parle de 50000 orphelins. Or, il existe des trafics. La presse locale évoque des vols d'enfants. C'est pourquoi le gouvernement pakistanais a, intelligemment je crois, interdit les adoptions pendant six mois.


Quels sont les besoins les plus criants ?

D.V. Il y a un gros problème de tentes. Il en faudrait 350000 pour abriter les populations avant l'hiver. 50000 ont déjà été distribuées, 100000 sont en cours d'acheminement. Il en manque donc 200 000. Cela paraît surréaliste, mais il n'existe nulle part dans le monde un stock suffisant ! Le gouvernement réquisitionne toutes les tentes du pays. Il faut faire vite : l'hiver est très froid dans cette région. Pour l'instant, les Pakistanais n'ont pas besoin de vêtements : l'industrie textile du pays se porte bien, laissons-les produire ! Ni de nourriture, d'ailleurs : le Pakistan est un pays agricole de 162 millions d'habitants, qui a de quoi subvenir aux besoins alimentaires des sinistrés. Ce n'est pas le Sahara !


Le pays n'a reçu que 86 millions de dollars d'aide internationale, alors que les besoins sont, selon l'Onu, de 312 millions. Pourquoi donne-t-on si peu ?

D.V. Les Pakistanais le disent eux-mêmes : ils sont moins «jolis » que les Sri Lankais, n y a d'abord un facteur affectif bien connu des ONG : si nous lançons une opération pour aider une petite fille suédoise blonde, nous allons récolter davantage d'argent que pour un sans-papier algérien ou malien... ou un Pakistanais. Ensuite, il y a un aspect politique. Le Pakistan est un pays que l'on comprend mal de l'étranger, ne fait peur : il possède la bombe atomique. C'est aussi le grand ennemi de l'Inde, qui a une connotation positive dans l'imaginaire des Occidentaux. Ajoutez-y l'islam par-dessus ! Pourtant, le Pakistan vaut mieux que ces préjugés. C'est un pays bien organisé, avec une armée très efficace, structurée à l'anglaise. C'est aussi une société complexe : des comportements de pays développés se superposent à des traditions très marquées. Tout cela est très difficile à comprendre pour les Occidentaux.


Les donateurs ont peur que leur argent ne finisse dans les poches d'organisations islamistes...

D.V. Bien sûr. C'est une réalité. Des mouvements fondamentalistes comme la Jamaat Isla-miya (principal parti religieux fondamentaliste du pays, ndrl), officiellement interdite par le président Musharraf, sont, en réalité, influents dans les régions touchées par le tremblement de terre. Déjà, dans certaines villes, des ONG liées à ces partis proposent d'aider à la scolarisation des orphelins. Mais le Pakistan n'est pas un pays de fondamentalistes. Us sont une minorité. Leurs partis récoltent à peu près 20 % des voix aux élections. Le problème, c'est que leur score augmente de 5 % tous les trois ans.


Ces ONG islamistes vous causent-elles des problèmes sur le terrain ?

D.V. Non, nous travaillons avec la Caritas Pakistan, dont les salariés et les bénévoles sont des locaux qui ont l'habitude de faire avec. Ils savent clairement qui sont les fondamentalistes et prennent garde de ne pas traiter avec eux. Comme, d'ailleurs, la majorité des habitants de la région.


Comment ont réagi les donateurs du Secours catholique ?

D.V. À ce jour, nous avons récolté un peu plus de 135 000 €, un montant bien inférieur aux dons pour les vic-times du tsunami dans un même délai de trois semâmes. Ce qui va poser problème assez rapidement. Dans les jours qui viennent, nous allons lancer un appel aux dons au sein du réseau Caritas international pour financer un programme «tentes et santé». Nous avons besoin de 10 millions d'euros. Mais, pour l'instant, je me demande comment nous allons pouvoir les obtenir... • Propos recueillis par Anne Guion


TRENTE ANS SUR LE TERRAIN
• 1946 Naissance à Paris.
• 1975 Entrée au Secours catholique/Caritas France, d'abord comme directeur administratif et financier.
• 1991 Secrétaire général du Secours catholique.
• 1999 Élu président de Caritas Europa.
• Mai 2005 Devient le premier président laïc de Caritas Internationalis.