Renforcer la cohésion sociale dans l’Europe élargie
La Croix 19 & 2 mai 2004


Chez les huit nouveaux Etats membres de l’Union européenne situés en Europe centrale la situation sociale est difficile. Les dépenses de protection sociale s’y élèvent à 19% du produit intérieur brut, en forte diminution historique, contre 27% chez les quinze.

Ces pays ont en effet diminué leurs budgets sociaux depuis la chute du mur de Berlin. En termes réels, les allocations sociales y ont baissé, d’où la situation souvent dramatique des retraités. De plus en plus les allocations sociales sont réservées à un petit nombre via l’introduction de critères sélectifs : en Hongrie les « pauvres non méritants », ceux qui ne travaillent pas, n’ont plus droit aux services médicaux gratuits, aux primes de maternité, aux allocations pour enfants. De ce fait 20% des familles éligibles ont cessé de percevoir ces prestations. La privatisation prend le relais. Ainsi la protection sociale, un des rares domaines qui à l’époque des anciens régimes communistes avait « suscité le plus d’attrait et de satisfaction de la part des populations », a- t – elle subit d’immenses bouleversements dans la période de transition. Sous les influences libérales du FMI et de la Banque mondiale des réformes sont intervenues auxquelles l’Union européenne n’a pas su ou pas voulu résister. Son modèle social européen qui fait sa fierté est maintenant menacé par l’Est. ( Daniel Vaughan- Whitehead, « Protection sociale », Le Courrier des pays de l’Est, novembre 2003)


Cependant de nombreuses voix s’élèvent pour maintenir un système social juste. La Commission européenne se soucie par exemple en matière de santé d’assurer un accès à des soins de qualité fondé sur les principes d’universalité, d’équité et de solidarité. L’idée est de prévenir le risque de pauvreté ou d’exclusion sociale lié à la maladie, au handicap ou au grand âge, tant pour les bénéficiaires des soins que leurs familles.

EAPN, le réseau européen des associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, relève la corrélation positive entre l’augmentation des dépenses de protection sociale par habitant et la baisse du risque de pauvreté.

Caritas Europa insiste actuellement sur la situation des familles, comme la COMECE, la Commission des Episcopats de la Communauté européenne, qui vient de publier un document invitant, entre autres points, à « s’occuper davantage des situations de souffrance familiale, par exemple les familles qui vivent dans la misère, celles qui connaissent des situations de maltraitance ou celles qui vivent dans des quartiers aux taux de criminalité élevés. »

Les Etats européens ont pris des engagements en 2000 à Lisbonne en matière de lutte contre le chômage et l’exclusion sociale. Alors que partout s’engagent des réformes des systèmes de protection sociale il faut réaffirmer que l’Union européenne ne se réduit pas à sa seule dimension économique : l’économie compétitive doit s’articuler avec une vraie solidarité. Des populations entières ont besoin d’attentions particulières. La croissance économique espérée ne leur suffira pas.

L’absence de volonté politique pour combattre l’exclusion sociale créerait un danger pour les fondations de la démocratie en Europe en mettant de côté les personnes pauvres et marginalisées.


Les compétences directes de l’Union européenne sont peu étendues en matière sociale : son rôle est de promouvoir un échange d'expériences et de bonnes pratiques. Les Etats membres élaborent des plans d'action nationaux relatifs à l'inclusion sociale tous les deux ans afin que les progrès dans ce domaine puissent être suivis. Mais l’Union européenne va procurer à ses nouveaux membres de très importantes subventions de développement social et local.

Le nouveau Parlement européen, par ses fonctions législative et budgétaire, aura donc un rôle à jouer en mettant l’inclusion et la cohésion sociale au cœur des politiques de protection sociale avec une attention particulière envers la lutte contre la pauvreté. Le domaine de l’emploi devra faire l’objet d’une priorité, en tenant compte des besoins de certains groupes plus vulnérables sur le marché du travail comme les familles monoparentales, les familles nombreuses, les handicapés ou les migrants.

La bonne qualité des services sociaux est à protéger. La mode actuelle consiste à procéder par appels d’offre lors du lancement de nouvelles actions. Cela conduit à une compétition malsaine dont est victime le secteur non lucratif avec ses critères allant bien au delà de la logique financière.

Comme symbole d’un engagement clair, et forte du succès de l’année européenne des personnes handicapées, l’Union européenne devrait envisager une année européenne des familles monoparentales afin de sensibiliser la population des 25 pays européens à leurs situations difficiles et d’élaborer des programmes et des campagnes pour améliorer leur niveau de vie.

Denis Viénot
Président de Caritas Europa