Les droits des migrants, un chantier pour l’Europe
La Croix, 10 mai 2004


Jusqu’à mai 2004 les décisions européennes relatives aux migrations et à l’asile relèvent du Conseil des Ministres dans le but de parvenir à une harmonisation, à un « socle européen commun». Le Parlement européen, n’étant consulté que pour avis, n’a que peu de capacités à intervenir. Or, en ces matières, la co-décision du Conseil et du Parlement prend maintenant place : le Conseil des Ministres et le Parlement devront décider ensemble sur les mêmes textes.

Il faut donc espérer que le dernier « continuera à rechercher une politique juste de migration et d’asile, protectrice des droits des migrants en Europe et respectueuse des principes de protection des réfugiés de la Convention de Genève. » ( Déclaration des Eglises protestantes et orthodoxes européennes et des leurs organisations sociales, mars 2004)

La marche arrière est effet rapide. Alors que le traité d’Amsterdam de 1997 établissait la politique d’asile comme une priorité, elle est de plus en plus menacée par de multiples stratégies européennes et nationales. La France avait inventé l’asile territorial en 1998 qui rejoint le régime européen de la « protection subsidiaire », un asile pouvant être remis en cause, un statut réduit par rapport à celui de la Convention de Genève.

Plus choquant encore, une directive européenne innove avec le concept d’asile interne : si dans le pays du candidat réfugié existent des lieux gérés par des organisations internationales où il est susceptible de recevoir une protection, l’asile peut lui être refusé. Il faut bien reconnaître que ce mécanisme offre peu de garanties de sécurité, ces organisations pouvant être amenées à partir rapidement. Cette montée globale de la crise de la protection des demandeurs d’asile est le résultat d’un manque de volonté politique d’établir un système généreux, juste et de bonne qualité. Et de ce fait les arrivées irrégulières se multiplient et le trafic croît.


Face à cela il faut réaffirmer que la protection effective ne se limite pas à la protection contre le refoulement et l’accès à tout petit minimum de droits. Au contraire il s’agit de permettre à la personne de vivre dignement et d’une façon quasi comparable à celle des citoyens de son pays de résidence.

Par ailleurs , la majorité des réfugiés vivent dans un pays voisin de leur région d’origine. Or s’il y a un peu plus de dix millions de réfugiés dans le monde, 20% d’entre eux seulement sont en Europe. La majorité est soit en Asie, quatre millions deux cent mille, soit en Afrique, trois millions trois cent mille. D’où l’importance de développer aussi les moyens de protection sur place à travers de multiples actions de création de services, de formation , d’infrastructures et de politiques de réception et d’intégration.

Le rôle du Parlement européen sera important tant à travers ses responsabilités législatives que son pouvoir budgétaire alors qu’un projet de Directive européenne se profile qui accroît encore les manquements à la loi internationale : le concept de pays sûr, pays d’origine ou pays tiers par lequel la personne a transité et vers lequel elle serait renvoyée sous prétexte qu’elle aurait dû y demander l’asile, est une source de danger car la sécurité vue d’Europe peut être différente de la réalité sur le terrain. De plus le projet laisse à la responsabilité des Etats des sujets critiques comme la détention ou l’assistance judiciaire.


Un autre sujet de préoccupation est constitué par les défauts des procédures d’asile elles-mêmes. Dans la plupart des nouveaux pays européens le niveau de compétence des administrations et de leurs agents qui procèdent aux premières études des dossiers est insuffisant. Souvent les personnels sont surchargés. Ces défauts sont une cause importante des refus d’attribution du statut de réfugié. Il est donc nécessaire de mettre en place à travers toute l’Europe un système harmonisé de bon niveau, un réseau de personnes responsables compétentes. C’est d’autant plus important que les nouveaux Etats membres ont maintenant un rôle accru par le cumul de leur statut d’Etat frontalier de l’Union et de pays de premier accueil, le Règlement de Dublin leur assignant l’étude des demandes d’asile.

Il conviendra donc d’amplifier les actions du Fonds européen pour les réfugiés par des politiques de formation aux différences culturelles, à la relation avec des personnes traumatisées. Le besoin de fournir des conseils juridiques aux demandeurs d’asile est essentiel. Il serait utile d’établir un système européen de suivi et d’évaluation des procédures de chaque pays, basé sur des critères et des indicateurs communs.

Il faudra donc procéder à un investissement substantiel dans l’amélioration de la qualité des procédures d’accueil, visant la rapidité, le respect du droit. Cet investissement serait d’ailleurs rentable car les coûts globaux de l’accueil diminueraient. Le Parlement européen a donc toute les raisons de s’y intéresser : meilleur respect des droits de l’homme et rigueur budgétaire.