Caritas Europa
DV
L’Europe, une société à inventer
Les politiques familiales en Europe
Intervention de Denis Viénot, Président de Caritas Europa


Semaines sociales Lille, septembre 2004
Forum 1 : Familles et société, 25 septembre 2004


La pauvreté est un phénomène multi dimensionnel et à facettes multiples. Elle n’est pas basée sur le seul revenu mais inclus l’accès à des besoins essentiels, à des droits de l’homme minimaux comme la protection contre la vulnérabilité, le risque, l’inégalité, la marginalisation, la discrimination, l’exclusion, le sentiment d’impuissance.


Nombreuses définitions nationales et internationales, différentes : UE : sont pauvres les personnes dont le revenu est inférieur à 60% du revenu médian national. ( Revenu médian : celui qui divise la population en deux : la moitié au dessus, la moitié en dessous)


Pour Caritas Europa les débats sur l’évolution des définitions de la famille sont moins utiles que le constat de l’incapacité des familles de se développer et de se protéger dans le climat actuel de pauvreté croissante, de chômage et de remise en cause, partout des mécanismes de protection sociale.
La famille renforce l’inclusion sociale, mais peut aussi être le point de départ de l’exclusion sociale : familles qui se disloquent, mères célibataires mineures, violences etc.
Se préoccuper de l’aide aux familles pauvres est donc essentiel car elles sont les plus menacées par des engrenages infernaux.


A l’échelle de l’Europe les familles les plus pauvres sont :
- les familles mono parentales soit dès l’origine , soit divorcées ou séparées, et ce sont le plus souvent des femmes seules
- les familles avec un nombre important d’enfants, nombre à apprécier pays par pays
- les personnes âgées vivant seules, particulièrement en Europe centrale et orientale. Là des politiques massives de soins et d’aide à domicile devraient être engagées ;
- les jeunes isolés
- les familles de migrants et de demandeurs d’asile, et les victimes du trafic des femmes
- les familles de minorités particulièrement les tziganes. Les enfants sont marginalisés en matière d’éducation par exemple.


I Variété des contextes et des situations en Europe



Ici Europe de 44 pays, UE à 25 plus grande Europe. Intérêt de voir large au plan continental

Union européenne (et Suisse, Norvège)



Politique sociale n’est pas de la compétence de l’ Union européenne mais rapprochement des politiques, Méthode Ouverte de Coordination Différences des pratiques et des mentalités. Quatre exemples
1. Le chômage est la première cause de pauvreté selon les études de l’Union européenne. La stratégie de Lisbonne de 2000 vise globalement à constituer une Europe en croissance et devenant un espace de fortes connaissance, et intègre la diminution de la pauvreté et à son éradication d’ici à 2010.
- 2/3 des chômeurs sont en risque de pauvreté et la stratégie pour l’emploi serait donc la plus efficace dans la lutte contre la pauvreté
- 7% des salariés sont exposés au risque de pauvreté
- 35% des familles mono parentales y sont exposées
- 16% des femmes et 13% des hommes y sont exposés
- enfants pauvres : 2 millions en France, 3 millions au Royaume Uni


2. Revenu minimum France et Espagne : 1 et 21 montants


3. Avantage enfant : supplément de revenu (ou de prestation perçue ou de moindre prélèvement versé) pour un ménage avec enfants par rapport à un ménage sans enfant mais se trouvant dans la même situation de revenu primaire (salaire identique). En % du revenu national par tête :
- globalement :
- Autriche : + 2,1%
- Finlande : +1,7%
- Royaume Uni : +1,6%
- Suède : +1,4%
- France : +1,3%
- Italie + 0,5%, Portugal +0,4%, Pays Bas +0,3%, Espagne + 0,1 et Grèce moins 0,2%
- et l’avantage est très net au profit des familles mono parentales en Irlande, au Danemark ou en Norvège


4. Les mentalités en matière de modèles de protection sociale sont différentes. Ainsi entre les Quinze anciens et les Dix nouveaux membres de l’Union européenne, une enquête sur les mesures à prendre pour améliorer la vie des familles avec enfants :
- chez les Quinze, les trois les plus souhaitées sont : la diminution de chômage, les horaires de travail flexibles, la création de crèches et de lieux d’accueil
- chez les Dix : les aides financières pour l’éducation des enfants sont massivement en tête et on y trouve peu d’intérêt pour les choix des Quinze. Malgré le chômage très important la lutte pour l’emploi n’arrive qu’en deuxième position. C’est peut être logique : mieux vaut avoir tout de suite des revenus supplémentaires sous forme de prestations que decroire à une politique de l’emploi dont les effets sont par nature à plus long terme.


Ces différences entre les Quinze et les Dix s’expliquent par des systèmes différents, des situations économiques et des environnements différents. Cela montre aussi que l’idée d’une compétence de l’Union européenne pour mettre en place une politique commune en matière de protection sociale a encore un long chemin à faire.


Les pays frontaliers de l’Union européenne

La pauvreté y prend une tonalité particulière.


Dans le classement du Rapport mondial sur le développement humain ils se classent loin des pays de l’Europe de l’Ouest et de l’Europe centrale. La Russie est 57ème un peu derrière le dernier pays de l’actuelle Union européenne, la Lettonie, 50ème L’indice de développement humain, IDH, est calculé à partir de l’espérance de vie, du niveau d’instruction et des revenus.
En Russie l’espérance de vie est de 67 ans, en Lettonie de 71 ans.
Le PIB par habitant est en Lettonie de 9 200 dollars, en Russie de 8 230$, et en descendant le long de l’échelle de l’indice de développement humain,
- Biélorussie 5 520$
- Albanie 4 830$
- Bosnie 5 970$
- Ukraine 4 870$
- Arménie 3 120$
- Géorgie 2 260$

On voit donc les grandes différences même entre des anciennes Républiques soviétiques : le Russe actuel a un revenu inférieur de 11% à celui du Letton, l’Ukrainien de 47%, le Géorgien de 75% (il est d’ailleurs est le dernier Européen du classement IDH , 97ème)


Dans ces pays où la crise économique est grave et affecte tous les secteurs, le taux de pauvreté est fort et les systèmes de protection sociale doivent soutenir un grand nombre de familles. Il y a de plus une tendance ces dernières années à opérer des coupes dans les budgets sociaux qui touchent d’abord les plus vulnérables. Le système de santé public disparaît et l’on voit croître des services médicaux privés et payants.


II Regards sur quelques aspects des politiques familiales




- il est difficile de se mettre d’accord sur ce qu’est une politique familiale. L’approche varie selon les pays : définitions différentes de la famille, lieux d’élaboration des politiques ( en Suisse et en Ukraine les politiques familiales s’élaborent au plan local), contenus des politiques, mesures spécifiques aux familles ou pas. Le Secours catholique déclare ainsi pour la France par exemple : « La politique familiale nationale balance constamment entre deux visions : une politique d’encouragement à la naissance, une politique de redistribution. Nous sommes alors face à un système complexe à acteurs multiples qui manquent de transparence. »

- les prestations sous conditions de ressources semblent être plus efficaces si le système de protection social est un peu universel, national, peu fragmenté et généreux. Cependant presque partout se mettent en place des systèmes prévoyant des conditions de ressources en matière de mesures familiales, le plus souvent le revenu de la famille. Valables dans des pays de l’Ouest si ils s’inscrivent dans un système global, ils sont désastreux , fragmentés, inaccessibles, dans des pays pauvres.

- indemnisation du chômage. Caritas Géorgie dit : « L’indemnisation du chômage n’existe que pour 6 mois quelque soit le statut de la famille. 7 euro par mois durant les deux premiers mois, puis 6,50 euro par mois pendant deux mois et enfin 5,50 euro par mois pour les deux derniers. » Et Caritas Macédoine : « Une grande partie des personnes travaillant dans le secteur privé ne sont pas déclarées et les cotisations sociales ne sont pas payées. La corruption est u grave problème. »

- salaire minimum et revenu minimum. Dans de nombreux pays le salaire minimum n’existe que dans la fonction publique. Et Caritas Roumanie écrit : « Quoique le nom soit Revenu minimum garanti, il n’en constitue pas un en fait car les autorités municipales n’ont pas d’obligation de paiement envers les familles bénéficiaires, sauf si elles disposent des crédits suffisants. »

- congés maternité à la naissance : au sein de l’Union européenne le minimum est de 14 semaines. L’Allemagne, l’Irlande et la Suède sont à ce niveau, mais l’Espagne applique 16 semaines, l’Italie 22, le Danemark 24. Le revenu de remplacement est de 100% en Espagne, de 80% en Suède ; en moyenne entre 50 et 80% au sein des Quinze. Mais le plus souvent il est de 100% dans les pays d’Europe centrale et orientale.

- politiques fiscales : elles peuvent être basées sur l’individu ou la famille. La plupart des états de l’Union européenne la basent sur l’individu., ceux allant le plus loin dans cette voie étant les pays scandinaves et l’Italie. En France, au Portugal et au Luxembourg c’est la famille ou le foyer qui constitue l’unité taxable. En Allemagne, en Irlande, en Grèce ou en Espagne les couples peuvent opter pour la taxation ensemble ou séparée.

- Les tenants de la taxation séparée la considèrent comme une stimulation du travail des femmes et une protection pour elles en cas de changement se statut marital.

- Les tenants de la taxation familiale disent qu’elle reconnaît les apports de la famille à la société, et qu’elle renforce l’institution du mariage. Un autre aspect important est l’avantage fiscal pour les enfants.

- aides à l’enfant, sous de très diverses formes, allocations familiales, aides financières spécifiques le plus souvent sous conditions de ressources. congés maternité, congés parental etc. Ces mesures sont particulièrement importantes dans la politique de lutte contre la pauvreté des enfants. Les pays de Nord de l’Europe plus le Luxembourg et l’Autriche ont des politiques généreuses, ce qui n’est pas le cas des pays du Sud. Dans les anciens pays communistes ces politiques soutenaient le rôle de la femme, comme travailleuse, mère et conjointe. Mais elles ont été érodées pendant la période de transition du fait de l’inflation et des déficits publics. Si la Pologne, la Russie, la Roumanie ou l’Estonie ont maintenu la valeur des allocations familiales, d’autres prestations ont été dramatiquement coupées.
Caritas Pologne écrit : « Certains mécanismes légaux protégeant les familles les plus pauvres sont en place mais ils ne se combinent pas avec des politiques cohérentes : coupes dans les prestations tels le congé maternité très réduit à 10 semaines, l’annulation de la prestation versée à la naissance, le retrait des aides aux femmes enceintes. Les familles les plus vulnérables sont celles avec de nombreux enfants ou frappées par la longue maladie ou le handicap. »
En Europe il y a une réduction globale des montants financiers versés aux familles au profit de mesures de promotion de l’emploi, de la flexibilité du travail et de la mobilité.

- politique du logement : sans aller dans le détail d’un sujet complexe l’expérience des Caritas d’Europe, partout, fait ressortir les constats suivants :

- les pauvres sont rejetés dans des logement de basse qualité

- le prix des loyers est en forte augmentation

- les législations théoriquement sociales ne sont pas appliquées

- les familles victimes de revers peuvent se trouver rapidement dans domicile.


Recommandations de Caritas Europa


Seules la France et l’Allemagne ont une véritable politique familiale


Recommandations aux gouvernements nationaux. Il y en a quinze dans le rapport :

- évaluation systématique de l’impact sur les familles pauvres de toute nouvelle réglementation

- mesures prioritaires en faveur des familles mono parentales : structures d’accueil de la petite enfance, déductibilité fiscale des frais de garde des enfants

- meilleure prise en compte des familles dans les politiques fiscales et imposition de tous les types de revenus

- meilleure information sur les droits sociaux

- à l’Est définition de seuils de pauvreté et établissement de salaires minimum décents ainsi que de mécanismes minimum d’indemnisation du chômage

- accès à des logements abordables et de qualité correcte

- droit au paiement des congés de maternité. Trop souvent à l’Est une grossesse est synonyme de risque de perte d’emploi.


Recommandations à l’Union européenne. Il y en a 6 dans le rapport :

- priorité à la stimulation de la lutte contre la pauvreté

- en matière de réunification familiale garantie à donner que tous les membres de la famille pourront dans un délai raisonnable se retrouver, et droit de travailler à tous les adultes

- lancement d’une année européenne des familles mono parentales afin de sensibiliser le public et d’élaborer des programmes pour améliorer leur niveau de vie