Caritas en Europe au service de l’espérance des pauvres


in « La Iglesia en Europa desde la exhortación apostólica de Juan PABLO II », Corintios XIII, revista de teologia y pastoral de la caridad, Caritas Española Editores, Madrid, 07-09/2004


Le Tchèque Vaclav Havel écrivait en 1999, à propos de la crise du Kosovo: « Lorsqu'on maltraite une personne, quelle qu'elle soit, c'est comme si on nous maltraitait nous-mêmes. C'est un principe de base relevant d'une solidarité humaine qui dépasse les frontières des Etats et des régions. » Ce message est universel et dépasse les religions.

Au Bangladesh, une petite délégation d’Européens rencontre un groupe d'enfants dans une école de village créée et gérée par leurs familles avec le soutien de la Caritas. L’un des visiteurs demande à une toute jeune fille: « Comment pensez-vous que vous et vos amis pouvez changer votre vie ? » Un petit moment de réflexion et, avec un sourire, elle va chercher un bâton. Elle le lui tend et lui demande de le casser. Il le fait. Rien d'extraordinaire. Elle s'en va de nouveau, revient avec une dizaine de bâtons en fagot et lui demande de les casser ensemble. Impossible. Avec le même sourire, elle dit « C'est comme cela que nous allons réussir notre pari, ensemble et unis, nous nous en sortirons ! Et moi je veux être infirmière.».


Au cœur des principes, des actions et des espoirs, le réseau de Caritas en Europe s’organise en trois cercles : le cercle des pays riches – les Quinze de l’Union européenne, plus la Suisse, la Norvège, l’Islande et l’Andorre – dans lesquels la richesse cohabite avec de la pauvreté à la marge de la société. Un deuxième cercle des pays nouveaux membres de l’Union européenne auxquels il faut ajouter la Roumanie et la Bulgarie qui seront adhérents dans quatre ou cinq ans plus la Croatie peut être - et qui sont en progression politique et économique mais où la pauvreté est significative. Puis enfin, selon un joli vocabulaire européen, « les nouveaux pays frontaliers », c’est-à-dire essentiellement les pays des Balkans et de l’ancienne Union soviétique : là règnent le plus souvent des situations de pauvreté de masse.


L’action Caritas en Europe se construit en grande partie autour de ces trois réalités : pauvreté à la marge, pauvreté importante, pauvreté de masse.

Donc, des Caritas très variées en Europe, comme le montre un rapide panorama.

Des riches et des pauvres. La Caritas Andorre est une Caritas forte dans un petit pays très riche ; la Caritas Arménie est une Caritas active mais très pauvre, fortement soutenue par les Caritas de l’Ouest dans des actions essentiellement sociales ou sanitaires. Certaines Caritas gèrent d’importants services sociaux, des hôpitaux, des maisons de retraite, des écoles pour infirmières, des centres pour sortants de prisons, pour sans domicile fixe, pour femmes en difficulté, pour drogués etc. comme en Belgique ou en Allemagne. A titre d’exemple, la plus « grosse » Caritas au monde, proportionnellement à la population, est la Caritas belge ; son action dans le domaine sanitaire et médical est importante. De plus des Caritas organisent des réseaux de bénévoles. Tel est le cas de l’Espagne, de l’Italie, de la Tchéquie, de la Pologne, du Portugal, de la France voire de la Suisse et de l’Allemagne. Alors qu’elle est souvent distinguée du modèle méditerranéen, cette dernière fédère par exemple en son sein les équipes Saint Vincent et leurs 400.000 bénévoles.

Les distinctions un peu rapides – celles qui animent des bénévoles, celles qui gèrent des institutions sociales – sont donc souvent incomplètes. Les deux piliers, de Caritas, à partir de la paroisse, lieu originel de l’Église, sont les réalités de gens qui s’engagent à servir leurs frères en difficulté et approfondissent la démarche, soit par des actions bénévoles, soit de temps en temps par des actions et programmes plus structurés via des institutions sociales et médicales.

Certaines situations paraissent curieuses de prime abord. Ainsi en Russie il y a beaucoup de bénévoles mais ils sont indemnisés : en Russie aujourd’hui toute personne ou presque est obligée d’avoir deux ou trois activités professionnelles pour avoir deux ou trois salaires de misère et ainsi pourvoir survivre. A une personne qui s’engage comme bénévole dans l’une des équipes paroissiales ou diocésaines de la Caritas en Russie, il faut nécessairement procurer une petite indemnisation, sinon elle ne pourrait pas vivre ou mettrait sa famille en danger.

Les situations sont donc extrêmement différentes. Certaines Caritas agissent localement, d’autres agissent à l’étranger, mais le plus souvent l’orientation est de conduire des actions locales et des actions à l’étranger.

Certaines Caritas dépendent fortement des financements publics, d’autres beaucoup moins : en France, en Roumanie, en Albanie, la dépendance est faible, au contraire de la Suisse, de l’Allemagne ou de la Hollande par exemple.


La spiritualité Caritas


Les relations en Église varient. Partout ces Caritas ont été fondées par l’évêque ou les Conférences épiscopales ; il s’agit toujours donc d’organismes créés pour le rayonnement de la charité et sa mise en œuvre. L’identité de Caritas se décline autour de « charité », « solidarité », « justice » ; c’est le triptyque caractéristique ; il va donc jouer sur l’identité, adaptée à des situations très différentes : la Pologne n’est pas l’Angleterre ou la Hollande. Forcément la Caritas polonaise a une identité différente de la Caritas hollandaise même si elles partagent une vision et des valeurs communes.

La Caritas Espagne par son colloque de Valence en 1996 a contribué à la réflexion sur l’identité de Caritas. Le Père Antonio Bravo, Supérieur général des prêtres du Prado y proposait, dans son intervention « La cause des pauvres, défi pour une Eglise évangélisatrice », sept voix pour l’action : cultiver une spiritualité de la proximité avec les pauvres, acquérir une intelligence croyante des pauvres, développer des relations fraternelles avec les pauvres, aimer gratuitement, agir efficacement et avec fécondité, animer l’Eglise tout entière par l’option préférentielle pour les pauvres, oser la proposition de l’Evangile.

La cinquième voix - agir efficacement et avec fécondité - mérite quelques commentaires puisque le Père Bravo fait un lien entre la charité et le droit. L’Eglise n’est pas là, selon lui, pour prendre les responsabilités de la société et des pauvres. Comme le Bon Samaritain, elle appelle d’autres à son aide. Avec les exclus et les sans voix, elle veut être à la table des négociations, malgré les ambiguïtés de toute réalisation humaine. Face aux injustices, aux violences, elle lutte pour une législation qui défend les plus faibles et les sert en justice. Cette action se fonde sur une analyse lucide et critique qui ne constitue pas en elle-même une remise en cause du dialogue et de la collaboration, s’ils servent la cause des pauvres.

Ces sept voix montrent la variété de la palette disponible pour construire la dignité de la personne humaine : du regard à la relation, de l’aide à l’échange, du projet au témoignage et à la transformation sociale. Elles ouvrent aussi à la réflexion spirituelle et à l’évangélisation : « En effet, de même que sans souffle, le corps est mort, de même aussi, sans œuvres, la foi est morte » (Epître de St Jacques, 2,26)

L’identité de chacun est reliée à son histoire, et l’Europe aujourd’hui est marquée par des identités différentes qui veulent vivre ensemble au sein d’une Église qui ne manque pas de tonus dans l’engagement des chrétiens et dans ses engagements dans la lutte contre la pauvreté. La Comece – la réunion des conférences épiscopales de l’Union européenne – a publié en 1999 un petit opuscule « Vérité, mémoire et solidarité » : « Comme l’a déclaré le Pape Jean-Paul II à Vienne en 1998, il s’agit de combler progressivement, à propos de la lutte contre la pauvreté, l’écart inhumain des niveaux de vie au sein des peuples de l’Europe. » Puis le texte traite de l’absence d’une politique à propos des problèmes migratoires, et poursuit: « ...l’indispensable solidarité avec les réfugiés et les demandeurs d’asile. Nous semblons de plus en plus oublier que nous sommes coresponsables de leur destin dans le respect de la dignité humaine. »

Cet exemple, et d’autres, montrent combien l’Église provoque à l’action sur des sujets qui ne sont pas forcément faciles.

Œuvrer pour la charité, c’est aller jusqu’à la transformation sociale, par respect des droits de l’homme et par la justice économique. Comme le déclarait le Cardinal Etchegaray lors du Congrès mondial sur la pastorale des droits humains (Rome, juillet 1998) : « Se battre pour les droits de l’homme, c’est souvent se cogner à l’épaisseur du péché (…) Le combat pour les droits de l’homme est comme une guerre d’usure. »


Ce combat pour une culture de vie, pour le droit de tous les peuples à la vie, est un combat de long terme comme le manifestent par exemple les difficultés rencontrées pour la mise en place de la Cour pénale internationale. Il n’y a en effet pas de droit sans juge, sans mécanisme de sanction. Les décisions du Conseil de Sécurité des Nations Unies de 1993 et 1994 relatives à la création de tribunaux ad hoc pour la Yougoslavie et le Rwanda ont ouvert la voie à la Conférence de Rome de 1998. Celle-ci a voté la création de la Cour : 120 voix pour, 6 contre dont celle des Etats Unis, 21 abstentions. Ce score illustre le débat qui portait sur l’indépendance de cette nouvelle juridiction qui pourra juger les auteurs de génocides, de crimes contre l’humanité dont les attaques massives contre les civils, de crimes de guerre et d’agressions criminelles. La création de la Cour est effective mi 2004 et elle engage ses premiers travaux sur la République démocratique du Congo. Le droit international des droits de l’homme fait un grand pas.

Le plan stratégique de Caritas Europa, « Vivre la solidarité et le partenariat en Europe et dans le monde » approuvé en mai 2004 insiste sur cette inspiration chrétienne de Caritas :

« Caritas est un signe important de la présence de l’Eglise au cœur de la société et de l’histoire de l’homme. En effet, l’Eglise est appelée à accompagner et à partager les joies et les espoirs, mais également les peines, la souffrance et les luttes des femmes et des hommes de tout âge et en tout lieu.

Les Chrétiens partagent avec toutes les femmes et les hommes de bonne volonté un seul et même espoir : l’espoir d’un monde de paix, de justice, de solidarité et de liberté. Cet espoir s’accompagne en outre d’une responsabilité face à la souffrance et face aux conséquences des conflits ou des catastrophes naturelles. Le contraste entre ces situations et l’espoir d’un monde réconcilié, symbolisé pour les Chrétiens dans le royaume de Dieu, nous incite à assumer cette responsabilité. Et cette responsabilité ne connaît pas de frontière ; les gens qui souffrent loin de nous sont également nos frères et sœurs et nous devons être à leurs côtés.

Caritas souhaite être présente parmi ceux qui, confrontés à l’indignité humaine ou à une situation d’urgence, s’appliquent à lutter pour davantage d’humanité. Caritas s’efforce d’apporter son aide matérielle, son aide humaine et ses connaissances à leur volonté d’assurer ou de retrouver leur dignité et leurs droits. Dans ces situations difficiles, Caritas s’applique à garantir aux victimes qu’elles puissent, dans la mesure du possible, elles-mêmes choisir leur voie vers la dignité et la liberté.

En considérant la diversité des sociétés et des cultures comme des richesses humaines et en tentant de surmonter toutes les formes de discrimination, Caritas entend collaborer à l’échelon local avec toutes les institutions qui poursuivent les mêmes objectifs.

Dans cet esprit, Caritas Europa aide et assure un certain degré de coordination des différentes organisations nationales de Caritas en Europe. En même temps, elle collabore étroitement avec la confédération plus large de Caritas Internationalis dont elle fait partie. Au sein même de l’Eglise, Caritas souligne en toute occasion le choix qu’elle a fait envers les pauvres et promeut ce choix, qui est manifeste dans l’Evangile de Jésus-Christ et que l’Eglise elle-même a proclamé à de nombreuses reprises. Ce choix des pauvres exige de Caritas un réel intérêt pour les gens et les situations, de même qu’une réponse venant du cœur, profondément mue par ce dont elle est témoin et par l’appel des autres, qui est également perçu comme un signe de l’appel de Dieu. Il y a en effet un choix : le choix de voir les situations du point de vue des personnes qui vivent dans la pauvreté, des faibles, des laissés pour compte, des victimes et des opprimés. Et de ce point de vue, de s’attaquer aux mécanismes qui déclenchent ces situations, de manière à décider des changements nécessaires et de les mener à bien et à tenir compte de la dignité de tous.

En qualité d’institution d’Eglise, Caritas veut par son action également permettre à l’Eglise et aux communautés chrétiennes d’assumer totalement leur responsabilité de solidarité dans la société et de montrer que nous, fils et filles de Dieu, appartenons à la même famille humaine, dont personne n’est exclu. »


Caritas Europa est donc fondée sur des valeurs bien identifiées :
- des valeurs spirituelles et religieuses. Il n’y a de sacré sur terre que l’homme et la femme, images et ressemblances de Dieu.
- des valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit ainsi que du respect de droits de l’homme.
- des valeurs sociales, celles du partenariat, du dialogue et de l’échange avec et entre les personnes qui vivent des situations de pauvreté et d’exclusion afin de participer à leur développement, de concevoir ensemble avec elles des solutions et des projets, de plaider ensemble pour le respect de leurs droits ou pour la création de droits nouveaux.
A l’échelle des pays, à l’échelle de l’Europe, à l’échelle du monde, ce réseau veut combattre la pauvreté, combattre pour l’inclusion, plaide pour des systèmes économiques et des systèmes sociaux intégrant plus et mieux les personnes.


L’Europe vue de Caritas


Historiquement le projet européen, c’est l’idée très ancienne que des Etats se rassemblent, l’idée de responsables politiques et de militaires qui veulent de nouveaux territoires, l’idée de marchands qui veulent étendre le marché à de nouveaux espaces de commerce ou de monnaie commune, l’idée d’intellectuels, de pacifistes ou de religieux qui veulent développer la culture, l’évangélisation ou la paix. L’Union européenne constitue un des éléments du contexte dans lequel Caritas travaille aujourd’hui. La zone du Conseil de l’Europe correspond à peu près au territoire couvert par Caritas Europa.

Le poids du phénomène « Union européenne » est caractéristique en Europe et il se développe malgré les crises, et il se développera. On peut aimer l’Europe, on peut ne pas l’aimer ; cela commence à devenir inutile comme approche. On peut penser que l’Europe est un rêve merveilleux, on peut penser que l’Europe est une machine infernale. In fine, de toute façon, chaque jour un peu plus d’Europe se construit.

Plus de 50% des législations espagnole, française, anglaise, allemande, slovaque, hongroise etc. sont communes, parce qu’elles ont été décidées ensemble par les Gouvernements des Quinze pays, des Vingt Cinq maintenant. Un nouveau mécanisme de taxation de l’épargne se met ainsi en place depuis début 2004 ; des habiletés ont été trouvées pour que le Luxembourg, la Belgique et l’Autriche puissent passer un petit peu entre les mailles du filet, mais une technique très européenne a été mise en œuvre dans les négociations consistant à se donner des délais ; à décider d’une une norme commune mais en acceptant que certains ne la mettent en place que dans deux ou trois ans. L’art du compromis.

Les débats et difficultés sur la Constitution européenne ont clarifié les sujets de tension. Forcément, le compromis est devant la porte. Tout le monde parlait du nombre de commissaires dans la Commission européenne. Aujourd’hui il y en a un assez grand nombre ; et il faudra le diminuer. Une solution moyenne a été trouvée.

Dans le domaine des affaires étrangères les compétences de l’Union européenne vont s’accroître. C’est le seul domaine dans lequel la Constitution prévoit l’extension des compétences de l’Union. C’est un progrès.

L’Europe se fabrique donc tous les jours. Avec une vison à court terme, l’Europe apparaît lointaine; or les progrès réalisés depuis cinquante ans ont permis de passer de 6 membres qui faisaient de l’agriculture et du charbon ensemble, à 25 qui font beaucoup plus de cela et avec plus d’ambition. L’Union européenne est d’abord une machine à fabriquer de la paix. C’est son premier grand succès. Elle est devenue une entreprise économique. Se pose maintenant la question du politique. A chaque période il y a eu des peurs. Et ce n’est pas fini.

Caritas Europa doit alors répondre aux besoins de ses membres dans un contexte nouveau, celui de l’Union européenne, de son élargissement, de ses relations avec les autres pays européens. Caritas Europa a été créée en tant que structure en 1972 au moment où la Confédération mondiale, Caritas Internationalis, a voulu développer un fonctionnement régional. A l’époque un Espagnol, M. Juan Massip était le Président européen. Caritas Internationales s’était créée en deux rebonds. Il y a eu déjà une première Caritas Internationalis en 1925 avec 14 pays dont les Etats-Unis, l’Autriche, la Suisse, l’Allemagne, la Tchécoslovaquie, la Pologne. Puis disparition avec la deuxième guerre mondiale, et renaissance, recréation, par le Cardinal Montini, le futur Paul VI, en 1951. Là ils sont 13 dont l’Espagne. L’objectif principal est d’ordonner les aides d’urgence à l’étranger et de réfléchir sur les politiques sociales dans les différents pays.

Suit alors la première vague d’augmentation du nombre des adhérents à Caritas Internationalis : l’Amérique latine qui, en quatre à cinq ans a donné naissance à une vingtaine de Caritas. Ensuite la seconde vague progresse en Asie à peu près à la même époque, puis la vague des décolonisations et une quarantaine de Caritas africaines. Pour finir la chute du Mur de Berlin et une vingtaine de nouvelles Caritas européennes. Aujourd’hui, il y a à 162 membres de Caritas Internationalis, invités à travailler en région. Caritas Europa est un niveau régional du « travailler ensemble » ; ce n’est en aucun cas un niveau hiérarchique. C’est un lieu de coordination, de facilitation. Plus largement le contexte mondial et européen d’aujourd’hui influence le réseau Caritas.

Ainsi la tendance à considérer la guerre comme un instrument de résolution des conflits. Or historiquement ce n’est pas vrai. Aucun conflit dans la durée ne s’est résolu par la guerre. Généralement, quand on est assez bête on fait la guerre ; et ensuite il faut négocier la paix et c’est là que l’on commence à résoudre les conflits. Il y a danger dans le monde d’aujourd’hui, sous la poussée américaine, à considérer la guerre comme un moyen légitime de résolution des conflits, en violation absolue du droit international. L’affaire de l’Irak en est caractéristique.

L’élargissement de l’Union européenne et ses problèmes à venir de financement sont un autre casse tête. D’ici à 2007 il faudra décider d’un budget européen pour les années qui suivent. En dehors de l’agriculture, qui a fait l’objet d’un accord partiel jusqu’en 2013, la renégociation est vaste. Et les choses vont être compliquées. Poursuivre le développement du budget européen à 25 et avec des pays pauvres comme la Pologne, cela va être délicat. Actuellement le budget européen est plafonné à 1,27% du PNB de la totalité de l’Europe. En fait les États le limitent à 1%. Le débat, aujourd’hui, est de savoir si le chiffre retenu sera 1,27% ou moins, si 1% est maintenu, sachant que la richesse qu’amènent les pays de l’Est n’est pas extraordinaire. Alors il y aura sans doute, à l’européenne, une solution de compromis qui va se dégager.

L’Union européenne a décidé, en matière de développement dans le Tiers Monde, une politique de déconcentration de ses décisions de cofinancement vers ses Bureaux ou délégations installés dans les pays concernés. Dans les temps à venir les Caritas d’Europe vont être conduites à coopérer pour trouver des solutions pratiques en lien et en harmonie avec leurs partenaires des autres régions de Caritas Internationalis. Si en fait une vingtaine de Caritas d’Europe est active dans ce domaine du développement dans le Tiers monde, toutes sont concernées par la qualité des relations entre la région Europe et les autres régions de Caritas Internationalis, en sont même responsables.

Autre exemple d’extension du champ européen : la création de services dans un pays par un prestataire d’un autre pays. Une Directive européenne est en cours de préparation. Elle prévoit que dans les domaines par exemple de la santé et des services aux personnes âgées un prestataire d’un pays pourra s’installer librement dans un autre pays que le sien pour y développer ses activités, et les règles à respecter seront celles de son pays d’origine. Il y a un risque nouveau de concurrence pour des Caritas actives dans ces domaines. Les autres, non actives, peuvent-elles tranquillement se désintéresser du sujet? Non, car leurs populations seront concernées par d’éventuelles diminutions de la qualité des services rendus, car des politiques salariales défavorables pourraient se développer. Cette évolution qui résulte des règles de l’Organisation mondiale du Commerce ne peut laisser personne indifférent.

Dans le domaine des migrations et de l’asile, jusqu’à mai 2004 les décisions de l’Union européenne relevaient du Conseil des Ministres afin de parvenir à une harmonisation, à un socle européen commun. Le Parlement, n’étant consulté que pour avis, il n’avait que peu de capacités à intervenir. Or, en ces matières, la co-décision du Conseil et du Parlement prend maintenant place : le Conseil des Ministres et le Parlement devront décider ensemble sur les mêmes textes. (Denis Viénot, La Croix, Paris, « Les droits des migrants, un chantier pour l’Europe », 10 mai 2004 et « Le Parlement européen doit aider les pays pauvres », 22 avril 2004 )

Il faut donc espérer que le Parlement « continuera à rechercher une politique juste de migration et d’asile, protectrice des droits des migrants en Europe et respectueuse des principes de protection des réfugiés de la Convention de Genève. » ( Déclaration des Eglises protestantes et orthodoxes européennes et de leurs organisations sociales, mars 2004)

La marche arrière est effet rapide. Alors que le traité d’Amsterdam de 1997 établissait la politique d’asile comme une priorité, elle est de plus en plus menacée par de multiples stratégies européennes et nationales. Le régime européen de la « protection subsidiaire » est un asile pouvant être remis en cause, un statut réduit par rapport à celui de la Convention de Genève.

Plus choquant encore, une directive européenne innove avec le concept d’asile interne : si dans le pays du candidat réfugié existent des lieux gérés par des organisations internationales où il est susceptible de recevoir une protection, l’asile peut lui être refusé. Il faut bien reconnaître que ce mécanisme offre peu de garanties de sécurité, ces organisations pouvant être amenées à partir rapidement. Cette montée globale de la crise de la protection des demandeurs d’asile est le résultat d’un manque de volonté politique d’établir un système généreux, juste et de bonne qualité. Et de ce fait les arrivées irrégulières se multiplient et le trafic croît.

Face à cela il faut réaffirmer que la protection effective ne se limite pas à la protection contre le refoulement et l’accès à tout petit minimum de droits. Au contraire il s’agit de permettre à la personne de vivre dignement et d’une façon quasi comparable à celle des citoyens de son pays de résidence.

Par ailleurs, la majorité des réfugiés vivent dans un pays voisin de leur région d’origine. Or s’il y a un peu plus de dix millions de réfugiés dans le monde, 20% d’entre eux seulement sont en Europe. La majorité est soit en Asie, quatre millions deux cent mille, soit en Afrique, trois millions trois cent mille. D’où l’importance de développer aussi les moyens de protection sur place à travers de multiples actions de création de services, de formation, d’infrastructures et de politiques de réception et d’intégration.

Le rôle du Parlement européen sera important tant à travers ses responsabilités législatives que son pouvoir budgétaire alors qu’un projet de Directive européenne se profile qui accroît encore les manquements à la loi internationale : le concept de pays sûr, pays d’origine ou pays tiers par lequel la personne a transité et vers lequel elle serait renvoyée sous prétexte qu’elle aurait dû y demander l’asile, est une source de danger car la sécurité vue d’Europe peut être différente de la réalité sur le terrain. De plus le projet laisse à la responsabilité des Etats des sujets critiques comme la détention ou l’assistance judiciaire.

Un autre sujet de préoccupation est constitué par les défauts des procédures d’asile elles-mêmes. Dans la plupart des nouveaux pays européens le niveau de compétence des administrations et de leurs agents qui procèdent aux premières études des dossiers est insuffisant. Souvent les personnels sont surchargés. Ces défauts sont une cause importante des refus d’attribution du statut de réfugié. Il est donc nécessaire de mettre en place à travers toute l’Europe un système harmonisé de bon niveau, un réseau de personnes responsables compétentes. C’est d’autant plus important que les nouveaux Etats membres aient maintenant un rôle accru par le cumul de leur statut d’Etat frontalier de l’Union et de pays de premier accueil, le Règlement de Dublin leur assignant l’étude des demandes d’asile.

Il conviendra donc d’amplifier les actions du Fonds européen pour les réfugiés par des politiques de formation aux différences culturelles, à la relation avec des personnes traumatisées. Le besoin de fournir des conseils juridiques aux demandeurs d’asile est essentiel. Il serait utile d’établir un système européen de suivi et d’évaluation des procédures de chaque pays, basé sur des critères et des indicateurs communs.

Il faudra donc procéder à un investissement substantiel dans l’amélioration de la qualité des procédures d’accueil, visant la rapidité, le respect du droit. Cet investissement serait d’ailleurs rentable car les coûts globaux de l’accueil diminueraient. Le Parlement européen a donc toute les raisons de s’y intéresser : meilleur respect des droits de l’homme et rigueur budgétaire.

Il joue aussi un rôle important dans la politique de développement de l’Union européenne qu’il faut préserver et renforcer au bénéfice des pays les plus pauvres du monde.

Les huit objectifs de développement de l’ONU pour le Millénaire ont été adoptés en l’an 2000 avec pour cible l’année 2015: réduire l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre le Sida, le paludisme et les autres maladies, assurer un environnement durable, mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

Pour réaliser ces ambitions il faudra doubler l’aide alors qu’en Europe les engagements pris ne sont pas à l’échelle, sont encore bien trop modestes.

Les nouveaux parlementaires européens, provenant pour la première fois en juin 2004 de l’Europe élargie à 25, devraient porter attention aux points suivants : fixer un calendrier pour atteindre un montant de l’aide publique égal à 0,70% du PNB européen alors que les décisions actuelles ne visent que 0,36% ; augmenter les fonds contribuant à la réalisation des objectifs du Millénaire avec une attention particulière pour les services sociaux ; consacrer 70% de l’aide aux pays à bas revenus ; annuler la totalité de la dette des pays les moins développés ; exiger de la Commission européenne la mise en œuvre de la décision du Parlement de consacrer 15% des fonds géographiques à des projets présentés par la société civile, en particulier pour les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

Un autre volet concerne la cohérence entre les politiques européennes, celle du développement et les autres. D’un côté la volonté soutenue par plus de deux tiers des Européens d’une contribution européenne à l’éradication de la pauvreté, de l’autre des politiques commerciales ou de sécurité qui défendent d’abord les intérêts égoïstement européens. Ainsi un comité officiel est-il par exemple chargé de prendre les décisions de politique commerciale. Il est composé de spécialistes de l’industrie et du commerce et ne comprend aucun expert en matière de développement.

Le Parlement doit dans ce contexte aider à la promotion des objectifs du Millénaire liés au commerce : la libéralisation abusive du commerce des pays pauvres doit être stoppée et leurs droits à protéger les secteurs vulnérables doivent être reconnus.

Et il faut accepter en Europe que la coopération au développement et l’aide humanitaire d’urgence ne soient pas subordonnées à la politique de sécurité et de défense ou à la politique étrangère. L’autonomie de l’Office humanitaire de la Communauté européenne / ECHO qui finance les actions d’urgence est nécessaire afin que l’aide ne soit pas d’abord un instrument de politique mais reste bien un outil de secours le plus neutre et le plus universel possible.

La politique agricole commune devra aussi évoluer. 40% du budget européen – 100 milliards d’euro par an actuellement - y sont consacrés quoique les agriculteurs ne représentent que 4% de la population active de l’Union avant l’élargissement. Chaque vache européenne reçoit ainsi une aide quotidienne de deux dollars (1,60 euro), alors que la moitié de la population mondiale vit avec moins de un dollar par jour.

Le Parlement devra donc défendre une révision des subventions agricoles qui permettent actuellement des exportations européennes à des prix artificiellement bas : elles détruisent les capacités de vente des producteurs des pays pauvres.

C’est d’autant plus faisable que le Parlement peut jouer un rôle d’assainissement économique utile comme le montre sa position de fin mars 2004 sur les entreprises extractives, pétrole et minerais. Il demande aux Etats européens d’encourager ces firmes à publier les versements qu’elles effectuent aux pays et gouvernements des lieux de production. La transparence joue ici un rôle essentiel dans la réduction de la pauvreté : des milliards de dollars s’évaporent en effet. La transparence des revenus perçus, impôts, royalties, commissions etc. est le but visé par la campagne « Publier ce que vous payer » qui fait avancer les choses en matière de lutte contre la corruption.


Caritas Europa en action


Caritas Europa est essentiellement un réseau de membres autonomes et une table autour de laquelle ils se réunissent pour voir ce qu’ils ont en commun, pour clarifier les sujets sur lesquels ils veulent travailler.

Le niveau régional a un rôle de facilitateur, de coordinateur. En fonction des désirs des membres, l’organisation va s’engager très fortement dans certains thèmes ou pas du tout s’engager dans d’autres. « Les Organisations membres de différentes régions se réunissent en Conférences régionales en vue de la promotion et de l’harmonisation du travail dans la région. » (article 4 des Statuts de Caritas Internationalis)


Ce réseau européen est actif sur des questions de politique sociale, même si la politique sociale n’est pas de la compétence de l’Union européenne. Chaque pays reste libre de mener la politique sociale qu’il veut. Ce n’est pas comme la politique agricole commune - tellement importante qu’elle doive être commune et si chère -, alors que le social serait moins important, donc pas commun ! Par contre, les États européens disent quand même : « Certes nous voulons garder notre pouvoir de décision dans ce domaine-là, mais nous voulons mieux comprendre ce qui se passe chez les uns et chez les autres, nous voulons atteindre quelques objectifs communs, donc nous nous organisons pour échanger nos bonnes pratiques, pour nous informer mutuellement sur ce qui se passe. »

Une anecdote : les Français sont très contents d’avoir un seul niveau de revenu minimum d’insertion (RMI) pour toute la France ; Alsacien, Parisien ou Marseillais, même niveau. En Espagne avec les 21 Autonomias le RMI y est de compétence régionale. Il y a donc 21 montants différents et celui de Madrid est beaucoup plus élevé que celui d’Andalousie. Quand les États européens se réunissent autour de la table, ils amènent avec eux leurs différences et leurs qualités. Ainsi petit à petit, le concept de RMI s’est - il répandu en Europe. Les Belges sont les premiers a avoir eu un RMI.

Donc il y a un effet tâche d’huile : se copier intelligemment. Cela joue dans le domaine social. Dans le domaine de l’emploi, un certain nombre de sujets sont communs, par exemple ce qui est autour du droit social d’entreprise, sécurité, équilibre hommes – femmes et non-discrimination, etc. Par contre, les questions de chômage restent de la compétence des États.

Dans ce contexte émietté, Caritas Europa travaille sur les questions de pauvreté et de politique familiale au sein de la grande Europe, c’est-à-dire pas seulement au sein de l’Union européenne mais au niveau de l’Europe au sens large. Un rapport de février 2004 sur les politiques familiales, assez inspiré d’ailleurs par quelques réflexions du Secours Catholique en France, de la Caritas italienne et de la Caritas espagnole, et par les situations à l’Est où les systèmes de protection sociale ont été dévastés à la suite de la chute des régimes communistes, présente les conditions de vie des familles les plus pauvres dans 42 pays à travers le continent (« L’Europe doit s’occuper de ses pauvres », Denis Viénot, France soir, Paris, 20 mai 2005)

Y sont soulignés entre autre les disparités relevées d’un pays à l’autre, depuis ceux qui ont un indice de développement humain (IDH) élevé comme la Norvège 1ère au classement mondial ou l’Islande (2ème) jusqu’à l’Albanie (95ème) ou la Moldavie (108ème) Pour les personnes âgées par exemple. Entre deux maisons de retraite modernes, l'une située à Madrid, l'autre à Budapest, il y peu de différences : les règles d'aménagement, de sécurité et de fonctionnement de l'Union européenne harmonisent les conditions de vie et font progresser tout le monde.

Dans beaucoup de pays des services de soins à domicile, ménagers et de santé, ont été créé comme en Allemagne, en Serbie Monténégro, en Roumanie, en Ukraine ou à Irkoutsk en Sibérie.

Mais plus on va vers l'Est, plus la situation des personnes âgées s'aggrave : les régimes de retraite n'ont souvent pas résisté à la chute du communisme ce qui pousse des millions de personnes vers la pauvreté profonde, l'isolement voire l'alcoolisme.

Autre exemple : les familles en Europe et la situation des femmes seules avec enfants. Il faudrait mettre en place des politiques familiales qui n'existent pour l'instant clairement qu'en Allemagne et France.

A l'hôpital d'Irkoutsk, en Sibérie près du grand lac Baïkal, les nourrissons atteints du Sida sont mis à part car leur maladie fait peur. Alors un service a été spécialement mis en place pour eux dont s'occupent les bénévoles de la Caritas locale. Le cas des personnes qui travaillent avec une rémunération qui ne leur permet pas de vivre et d'entretenir leurs familles se retrouve partout. Caritas Europa a ainsi alerté les Chefs d'Etat et de Gouvernement de l’Union européenne, particulièrement à propos des « working poor » quand s'est mis en place un projet relatif à la croissance et à l'emploi à long terme, la "stratégie de Lisbonne" en 2000. De même partout des politiques contre les étrangers sont insatisfaisantes, frôlent la ligne jaune quant au respect des droits de l’homme et entravent la réunification des familles.

Dans l'Europe des 25 comprenant et dans l'Europe de plus de quarante cinq pays en incluant les Balkans et l'ancienne Union soviétique, il y a donc de grandes similitudes des phénomènes de pauvreté. Les systèmes sociaux sont conçus différemment. L’Etat est plus ou moins engagé directement.

C'est par exemple la question des prélèvements obligatoires : il est à la mode de leur reprocher de tuer la croissance alors que ce n'est pas si évident. Et plus les prélèvements obligatoires sont élevés, plus la pauvreté est faible et plus le taux d'incarcération est faible. Aux Etats Unis les prélèvements sont bas ; la pauvreté y est la plus forte du monde riche et le taux d'incarcération est sept fois plus élevé qu'en France, en Allemagne ou aux Pays Bas, cinq fois plus qu’en Espagne. Par contre la Norvège et la Suède ont les plus forts prélèvements obligatoires - 30% de plus qu'en Espagne - et les plus faibles taux de pauvreté et d'incarcération, 40% de moins qu'en Espagne. Tous les pays riches qui ont des prélèvements obligatoires au-dessus de la moyenne ont des taux d'incarcération en dessous de la moyenne.

Alors que l'Union européenne s’élargit la question des politiques sociales devient plus importante. Comme celles-ci restent le plus souvent de la compétence de chaque Etat, la politique de comparaison des résultats des uns et des autres, engagée ces dernières années, va se poursuivre. Ce sera utile en particulier pour les nouveaux adhérents parfois tentés par le modèle américain où la privatisation de l'assurance santé est un facteur de grandes inégalités. Dans le domaine de la lutte contre la pauvreté ces nouveaux membres connaissent donc les risques qu'ils prendraient en ne développant pas la solidarité interne alors que des soutiens financiers leurs seront disponibles dans le secteur des politiques sociales.

Il est intéressant de noter que dans le domaine social Caritas ne travaille pas seule. Avec la Plate-forme sociale, qui regroupe une trentaine de grands réseaux européens agissant dans le domaine social la coopération est forte. En plus de Caritas, on va y trouver un réseau européen de Centres d’accueil des sans domicile fixe, des réseaux européens de handicapés ou un réseau européen des personnes âgées. Là il y a un travail qui se fait ensemble, en particulier pour analyser et faire des propositions à propos des Plans nationaux d’action dans le domaine social, qui, liés à la politique européenne de bonnes pratiques, fonctionnent par ce qu’on appelle la méthode ouverte de coordination.


Un grand débat européen aujourd’hui est celui de la défense des services d’intérêt général et des institutions sociales. Il y a des inquiétudes sérieuses et une vigilance exercée qu’il faut avoir sur la façon dont les pays vont vouloir s’organiser. Les débats européens sont truffés de tensions relatives à des activités sociales à caractère lucratif.

Le domaine social va être touché par ces questions de libre concurrence. Par exemple pour certaines Caritas il y a un problème aujourd’hui : elles exercent d’importantes activités de maintien à domicile des personnes âgées, soit médicales, soit sociales et ménagères, etc. La menace est aujourd’hui que des sociétés privées viennent s’installer dans ce champ économique, démarchent les personnes aisées et que la Caritas se retrouve avec « sur les bras » les seules personnes à bas revenus.

Un des thèmes importants qui monte dans Caritas Europa, trop peu traité aujourd’hui, c’est celui de la santé. Certains membres souhaiteraient développer des activités communes dans ce domaine.

Autre thème: la coopération internationale ; le soutien à des projets du réseau Caritas dans le monde entier. A nouveau, chaque organisation fait en principe ce qu’elle veut, mais nous, nous organisons de la concertation. Traditionnellement, le fonctionnement de Caritas Internationalis assure une bonne régulation, une bonne répartition des tâches dans le domaine de l’urgence : l’Irak aujourd’hui, les tremblements de terre en Algérie, la guerre civile dans les Balkans ou le cyclone Mitch jadis. Globalement, c’est un réseau qui a l’habitude de se répartir le travail en cas d’urgence, et de plus en plus dans le cas du développement. Là, compte tenu de la montée du rôle de l’Europe et l’arrivée du nouveau Ministre des affaires étrangères, il y a un risque que les financements perdent de l’autonomie envers le politique. L’Europe, elle aussi, mélange « charité » et politique.

Donc, Caritas Europa est un lieu de coordination de ces actions internationales, avec un sujet nouveau: la question de l’humanitaire et du militaire, du politique et de l’humanitaire. De plus en plus, des armées interviennent dans le domaine humanitaire. Et c’est assez compliqué quand par exemple en Afghanistan les armées américaines jetaient, en plus des bombes, des colis en forme d’enveloppes jaunes, pour nourrir les populations affamées. On disait que c’était des actions humanitaires. Un Gouvernement a toute légitimité de faire de la propagande et de faire de la politique. Mais quand la politique et la propagande sont habillées en humanitaire, cela commence à poser des problèmes de frontières comme lorsque au Kosovo l’armée allemande et l’armée autrichienne s’engageaient dans des actions humanitaires. Si on se met du côté de la victime – c’est elle qu’il faut regarder –, il est difficile de comprendre comment la même personne peut le lundi être attaquée et le mardi être soignée par le même personnel en uniforme. Là il y a de la confusion qui vient non seulement compliquer le travail des ONG, de la Caritas, de la Croix Rouge, mais qui vient fondamentalement desservir les victimes et les mettre en danger.
Il y a de plus une tendance de privatisation commerciale d’activités militaires. Aujourd’hui, c’est dans le domaine de la surveillance, du déminage, de la formation, de la lutte contre les trafics de drogue, mais cela commence à être dans ceux de la logistique, des personnels combattants. En Côte d’Ivoire, il y avait des soldats de sociétés privées américaines qui étaient sous uniforme de l’armée américaine, qui avaient un statut d’agent privé.


Autre question pour Caritas Europa, historiquement la plus importante, les migrations, puisque , entre autres raisons récentes, le traité d’Amsterdam signé par les États européens il y a quelques années, prévoit une harmonisation des politiques du droit d’asile et des politiques migratoires. Caritas Europa doit absolument s’engager pour interpeller les Gouvernements et interpeller l’Union européenne. Parmi les quelques idées principales sur lesquelles la vigilance s’impose, cela a été d’abord la protection minimum des demandeurs d’asile, qui est très différente selon les pays européens : quelle protection minimum assurer aux demandeurs d’asile, d’ailleurs non seulement dans l’Europe des 25, mais dans la grande Europe ?

Dans cette opération européenne d’harmonisation des politiques migratoires, les Français, les Allemands, les Espagnols ou les Anglais ont des choses délicates à faire, mais les gens de l’Est ont des choses encore plus compliquées à faire. Le Secrétaire général de la Caritas tchèque était fonctionnaire du Ministère de l’Intérieur après la chute du communisme et pendant dix ans il a travaillé sur les questions migratoires. Il disait un jour : « La difficulté pour la République tchèque est que pendant 50 ans elle a formé ses douaniers à regarder vers l’intérieur du pays pour empêcher ses citoyens de sortir. Maintenant tous ses douaniers doivent pivoter de 180 degrés pour empêcher que des étrangers ne rentrent. Faire faire 180 degrés à un douanier, cela demande beaucoup de formation, sans parler des bâtiments de la douane aux frontières qu’il faut aussi faire tourner de 180 degrés ! »

L’élargissement de l’Union européenne va générer de plus de très importants problèmes frontaliers dans des zones où des gens avaient l’habitude de circuler librement et où ils ne vont plus pouvoir le faire sans visas. Entre l’Ukraine et la Pologne, il y a des régions qui au cours de l’histoire ont passé leur temps à changer de nationalité, il y a des populations qui ont été un moment ukrainiennes, polonaises, et polonaises et ukrainiennes, et des familles installées à cheval sur la frontière. Et l’Europe vient geler, congeler, des frontières, entre la Pologne et la Biélorussie, où toute la partie orientale du pays était polonaise : des tensions politiques vont y surgir.

Les mouvements de populations sont une question importante partout en Europe.
Parmi les sujets, outre les standards minima d’accueil des demandeurs d’asile. Il y a la question du trafic, trafic de femmes surtout et trafic des enfants. Comment faire de la prévention ? Comment informer ces femmes ? Comment leur dire : « N’allez pas pour des raisons fallacieuses en Europe de l’Ouest ; il y a péril à être crédule. »
Caritas Europa a, en juin 2003, publié un document sur l’élargissement de l’Union européenne et ses aspects sociaux. C’est un bon exemple de collaboration dans les trois groupes de pays, les riches, les moins riches, les très pauvres, pour voir quelles vont être les conséquences particulièrement difficiles de cet élargissement.

Il y a la question de la mise à niveau des systèmes de protection sociale. On veut faire rentrer ces pays de l’Europe de l’Est dans ce qu’on appelle le modèle social européen. Le modèle social européen, cela consiste à partir d’un pourcentage, dans les pays développés, avant mécanismes de protection sociale, de 30% de personnes pauvres, de faire fonctionner la protection sociale et d’arriver à 15-18% de pauvres. Le modèle social européen, cela consiste à créer du RMI, des allocations familiales, de la sécurité sociale, des allocations chômage etc. Donc cela va être extrêmement difficile sur le plan financier pour ces pays d’Europe de l’Est.

Pour les pays encore plus lointains – il faut en dire un mot parce qu’ils sont vraiment au cœur des préoccupations de Caritas Europa –, il y a quelques sujets qui sont extrêmement compliqués : la lutte contre la traite des êtres humains toujours, la question de services sociaux vraiment spécifiques aux migrants, l’aide sociale pour les populations marginalisées comme les Tziganes, la situation des personnes âgées qui est dramatique dans ces pays de l’Est où les systèmes de retraite ont été dévastés par la chute des systèmes communistes et par les problèmes économiques : des millions de personnes âgées, à l’Est, n’ont pas et n’auront pas de mécanisme de retraite.


En complément à ces indications sur les principales activités de Caritas Europa il est nécessaire de comprendre son fonctionnement pour en avoir une vision complète.
Le Secrétariat de Caritas Europa se compose de douze salariés, ce qui est peu par rapport au nombre de salariés Caritas en Europe. Mais le choix est clair pour l’instant : peu de salariés pour ne pas avoir une grosse super structure ; par contre faire travailler beaucoup de gens dans des commissions, des groupes de travail, où les personnes se rencontrent, peuvent discuter, se connaître, se rapprocher ; donc fabrication du réseau, et contribution à la fabrication de l’Europe par ces mécanismes de rencontre et de travail ensemble. Mais l’approche n’est pas du tout dogmatique ; il serait possible de changer. Pour l’instant, c’est la méthode retenue. Un budget très simple. Avec les objectifs il y a un plan de travail pour quatre ans, et un budget. Si par exemple il faut être très actif dans le domaine des migrations ou de la coordination des urgences, on décidera qu’il faut deux personnes compétentes sur ces questions à Bruxelles, et donc il y aura deux salariés. Puis le budget est financé par les cotisations des membres, fixées selon leurs capacités contributives.

Le Secrétariat de Caritas Europa est une petite équipe. L’association a un fonctionnement classique, une assemblée générale qui se réunit tous les ans, un conseil d’administration qui se concentre sur les orientations globales. Beaucoup de temps y est consacré aux thèmes sur lesquels il faut prendre une position publique.

Caritas Europa est donc un réseau, un espace qui permet à ses membres de travailler ensemble dans une ambiance européenne, avec la force procurée par des racines et des valeurs claires.

Très important aussi, le travail avec les autres : à propos des migrations, à propos de la politique sociale, à propos de la coopération internationale en solidarité avec les pays et les Caritas du monde entier. La plupart des Caritas européennes mettent une part significative de leurs budgets dans le Tiers-Monde.

Elles constituent ainsi un réseau européen également très orienté vers une solidarité internationale.


La mission de Caritas Europa telle que définit dans son plan stratégique est ainsi formulée : « Caritas Europa rassemble les ressources humaines, techniques et financières de ses organisations membres dans une volonté profonde de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale et de promouvoir le développement humain, la justice sociale et des systèmes sociaux durables en Europe et à travers le monde. Ce travail est au centre du témoignage de l’Eglise. »

Ce qui conduit à l’expression d’une vision : « Caritas Europa a une vision de l’Europe où se bâtit la civilisation de l’amour et de la solidarité et où :
- la communauté catholique s’associe à d’autres communautés de foi et à des personnes de bonne volonté pour créer des partenariats respectueux avec les pauvres et les personnes marginalisées à l’échelon local, national, européen et mondial. Elles participent ainsi elles-mêmes au développement d’une société civile dynamique qui affronte et qui lutte contre la pauvreté, l’inégalité et l’injustice et promeut un développement humain durable ;
- l’aide réelle et la protection des migrants vulnérables en Europe est apportée et garantie par la dignité du traitement de tous les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile et dans la prévention de la traite des êtres humains et du déplacement forcé ;
- les efforts conjoints des institutions internationales, des gouvernements européens, des organisations de l’Eglise et de la société civile garantissent des politiques efficaces pour l’aide d’urgence, répondre aux besoins de survie et de rétablissement des personnes touchées par les catastrophes naturelles, les conflits ou l’oppression ;
- la pauvreté, l’inégalité et l’injustice dans le monde diminuent continuellement et le développement, la paix et les droits de l’homme sont constamment encouragés, avec la participation active des pauvres et des marginalisés de par le monde.

En transformant sa vision en réalité, Caritas Europa se considère comme un réseau qui se renforce et intervient de plus en plus dans :
- la mise en œuvre des plans stratégique et de travail de Caritas Internationalis à l’échelon de la région Europe pour la mondialisation de la solidarité ;
- l’amélioration de l’efficacité globale du réseau européen, sur base des attentes communes que les organisations membres ont déterminées. Cela s’exprime par des structures de travail efficaces, une gestion de qualité et la conception et la mise en œuvre de mécanismes financiers clairs, transparents et durables ;
- l’apport d’aide pour la durabilité de ses organisations membres individuelles ;
- un plaidoyer fructueux, une communication interne et externe efficace et un travail en réseau reforcé avec et au sein de l’Eglise et avec les partenaires utiles. »

La place faite à l'exercice de la charité, comme celle qui y est faite à la Caritas entre autres, construit en de nombreux domaines l'Eglise définie par Vatican II :
- La place dans une Caritas des laïcs, particulièrement des femmes, et les responsabilités exercées sont révélatrices de leur place dans la vie de l'Eglise.
- La collaboration d'une Caritas avec les autres Eglises, protestantes et orthodoxes, est révélatrice du fonctionnement concret de l'œcuménisme ; cette collaboration construit – pour sa part – l’unique Eglise. Ses collaborations avec les autres religions mettent aussi en œuvre et développent la fraternité humaine.
- La collaboration d'une Caritas avec la société et ses institutions révèle la place de l'Eglise dans la société démocratique qui proclame sa volonté d'éradiquer la pauvreté, révèle une Eglise au service de la famille humaine.
- La mission confiée à une Caritas par son Eglise révèle la volonté de cette dernière de faire en son sein une vraie et digne place aux pauvres, d’être une Eglise des pauvres. La promotion de la parole des pauvres, l’action pour la transformation sociale et la justice à partir de l’échange avec les pauvres, à partir de projets et d’action de plaidoyer, rendent Dieu présent dans la vie des hommes et témoignent de l’Evangile.

Caritas constitue en effet souvent pour de très nombreuses personnes le seul lieu de contact avec l'Eglise, le seul lien. C'est vrai pour des pauvres, bénéficiaires et acteurs avec Caritas ; c'est vrai pour des collaborateurs salariés et bénévoles ; c'est vrai pour nombre de personnes du grand public. Pour certains la porte de l'Eglise est trop difficile ou trop impressionnante à franchir ; Caritas peut leur permettre d’abord d’y jeter un coup d’œil puis peut être d'y rentrer par la fenêtre avant d'y avoir une place à part entière.

Et la mission de Caritas se décline en lien avec son essence ecclésiale selon plusieurs modes :
- Dans un monde médiatique le rôle social de l’Eglise est valorisé et lui donne une visibilité perçue positivement. Caritas est une pédagogie d’action et de communication.
- L’Eglise n’est pas un groupe parmi d’autres, à respecter comme d’autres dans une société démocratique, mais théologiquement elle est le rassemblement de ceux qui marchent à la suite du Christ et qui comme lui donnent leur vie au service de leurs prochains. Caritas engage les communautés chrétiennes à faire place aux pauvres et à s’ouvrir aux réalités de pauvreté en développant l’hospitalité et la fraternité.
- La proposition de la foi consiste aussi en un témoignage de la charité, de la solidarité et de la promotion de la justice dans la société, y compris dans la volonté de transformation des structures injustes de cette société. Caritas et les pratiques de solidarité inspirent l’enseignement social de l’Eglise. Elles lui permettent de défendre l’homme menacé et d’affirmer sa dignité.

Face à l’effacement du Christ dans les grands lieux de souffrance de notre époque les chrétiens et leurs alliés témoignant en actes sont le visage du Christ. Un mystique rhénan anonyme du XIV siècle écrivait : “ Christ n’a pas de mains ; il n’a que nos mains pour faire son travail d’aujourd’hui ”

DV.