Les femmes victimes de la tradition
La Croix 5 novembre 2003


Les cris de Karima, une jeune enfant pakistanaise, n’émurent pas la « Jirga », un tribunal traditionnel composé d’anciens. Lors d’une rixe liée à un conflit portant sur l’irrigation d’un champ de canne à sucre, son frère tua Ghaias, membre d’une autre famille. Pour réparer le dommage, la Jirga décida de la livrer comme « swara », prix du sang. Etant trop jeune pour être donnée à la famille adverse, elle fut confiée jusqu’à sa puberté à un ancien du village. A 15 ans, remise au père de Ghaias âgé de soixante ans, elle en devint la troisième épouse. Karima est maintenant sous traitement psychiatrique pour schizophrénie.

Autre cas : un grand propriétaire terrien fut découvert en train de violer une jeune paysanne. Une vendetta dramatique opposa les deux familles. La Jirga, pour apaiser la crise, livra comme swara la belle-sœur de l’attaquant à la famille de la victime. D’abord détenue et violée en bande par des hommes de la famille et des amis, elle fut finalement vendue comme prostituée à Peshawar.

Deux histoires rapportées le 14 octobre dernier par un grand journal pakistanais, The News, qui commente : « Les droits de femmes sont violées dans le monde entier. Il est cependant cruellement ironique que dans notre région des pratiques comme la swara soient habillées du cocon de la tradition et des normes culturelles. Les Pachtouns viennent en tête des autres peuples pour ce qui est de la brutalité contre les droits des femmes. Nombreux sont les cas, en Afghanistan et dans les provinces frontalières avec le Pakistan, Belouchistan et Province des frontières du Nord-Ouest. »

La vie de millions de femmes au Pakistan est cernée par les menaces de la tradition. Les hommes possèdent les femmes et les punissent. Une grande majorité des femmes pakistanaises ont peur d’être tuées, brûlées au kérosène ou à l’huile de cuisson, défigurées par des projections d’acide, si le moindre doute s’immisce sur le fait qu’elles aient pu attenter à l’honneur de la famille, et souvent il ne s’agira que de ragots ou d’extrapolations.

Les meurtres pour l’honneur sont très fréquents. Dans le Sindh ils sont commis à l’arme blanche, au Penjab par coup de feu. Le plus souvent ce sont les maris, les pères ou les frères qui sont les meurtriers, parfois après décisions de la Jirga.

L’Islam et la loi n’arrivent pas à entraver ces traditions. L’un donne des droits aux femmes alors que les coutumes les avilissent ; l’autre est démunie alors que le fondamentalisme rigoriste et croissant entrave les évolutions.

Par exemple, les mariages arrangés sont l’immense majorité au Pakistan. Ainsi Benazir Bhutto – l’ancienne Premier Ministre - écrit à propos de son père Ali, immense propriétaire terrien du Sindh : « L’Islam permettant aux femmes d’hériter, le mariage est la seule façon de garder les terres dans la famille. Un tel mariage d’affaires avait été arrangé entre mon père et sa cousine Amir ; elle avait 8 ans et lui 12. Il résista jusqu’à ce que mon grand-père le fasse céder en échange d’un équipement de criquet importé d’Angleterre. Après leur mariage, elle retourna vivre dans sa famille et mon père reprit l’école avec un sentiment durable d’injustice. » ( in « Daughter of the East »). Dans des cas pareils le mari va épouser ensuite une autre femme de son choix et ignorer sa cousine abandonnée au village, seule et sans enfants.

Plus grave encore, les ordonnances Hudood promulguées en 1979 par le régime dictatorial du Général Zia sont un exemple de discrimination. Elles criminalisent l’adultère et la prostitution, comme le viol, punis de lapidation. Or une femme violée devra trouver cinq témoins mâles pour prouver le fait ; sinon, après avoir porté plainte elle sera emprisonnée pour adultère ou prostitution.

Les tribunaux officiels condamnent parfois des membres de Jirgas et des meurtriers qui s’autoproclament justiciers. Nombreuses sont les prises de position et les publications qui plaident pour les droits des femmes au Pakistan. Comme beaucoup d’autres, la Commission nationale Justice et Paix, créée par les Evêques, énumère dans ses publications des listes et des listes de cas dramatiques.

Comme Amnesty International elle réclame plus de sévérité dans l’application de la législation par les tribunaux officiels.

Mais ceux-ci sont dépourvus de moyens et pris en tenaille car les tribunaux traditionnels sont composés de leaders tribaux souvent parlementaires ou fonctionnaires.

Amnesty International note en 2002 que la population considère le système judiciaire comme inefficace et cher. Une grande partie des ruraux sont illettrés et ne savent pas comment faire appel aux tribunaux de l’Etat. La corruption de la police et des magistrats mine le système officiel. Le Gouvernement pakistanais devrait réformer d’urgence de système judiciaire pour le rendre plus efficace et indépendant.

Caritas Pakistan est leader en Asie d’une recherche sur le trafic des femmes et des enfants. Selon elle une politique de lutte contre ces pratiques fait défaut. Dans les domaines de la recherche des victimes et des secours à leur apporter, la législation doit être mise en place. D’ailleurs, selon le Département d’Etat américain – qui devrait avoir une certaine influence dans le contexte politique actuel - le Pakistan n’a pas encore pris les initiatives suffisantes pour atteindre les standards minima du combat contre le trafic.


Denis Viénot
Président Caritas Europa