Moraliser la reconstruction de l’Irak
La Croix 3 avril 2003


Les intérêts économiques font partie des données de la guerre qui se déroule en Irak. L'exploitation pétrolière et la reconstruction du pays seront deux grandes sources d'activités et de bénéfices pour des entreprises du monde entier. Les sociétés américaines ont déjà pris de l'avance grâce aux choix privilégiés ou anticipés de l'Administration des Etats Unis.
Une bonne occasion se présente d'y voir plus clair et de mettre un peu de morale là où elle n'est pas forcément attendue. Cette occasion est entre les mains du Parlement européen qui devrait à nouveau débattre de l’Irak et voter une résolution.
Une campagne intéressante à prendre en compte dans ce contexte se déroule actuellement. Elle vise la transparence financière et commence à produire quelques résultats. Lancée par des ONG, elle tend à ce que les entreprises extractives - pétrole, diamants, produits miniers - publient les sommes qu'elles versent aux états sous forme d'impôts, de commissions ou de royalties. Le sujet figurera même à l’ordre du jour de la réunion des Chefs d'état et de gouvernement du G8 à Evian en juin 2003.
La campagne vise à progressivement améliorer la transparence financière d'états considérés comme corrompus en permettant à la société civile d'être informée pour agir. Sa thématique vient d'ailleurs d'être reprise par Caritas Europa, Cidse et Pax Christi International dans un document relatif au partenariat entre l'Union européenne et l'Afrique : “ Les dirigeants européens et africains devraient promulguer des lois obligeant les sociétés, leurs filiales nationales et leurs partenaires commerciaux, à publier les impôts nets, les commissions, royalties et autres versements effectués à des gouvernements nationaux et à des acteurs non étatiques.”

Donc, pour en revenir à l'Irak, le Parlement européen votera peut être prochainement une résolution qui, entre autres, pourrait souhaiter que l'ONU soit responsable du pilotage de la reconstruction. Le programme "Pétrole contre nourriture" mis en place au service des Irakiens ces dernières années a habitué l’ organisation internationale à la gestion de contrats, malgré de multiples imperfections. Le texte d'une résolution européenne pourrait suggérer que les entreprises du secteur pétrolier, comme celles de tous les autres secteurs d'ailleurs - santé, assainissement de l'eau, alimentation, agriculture, chimie, construction et génie civil, transport, télécommunication, armement, etc.-, rendent publics les versements qu'elles feront tant au fisc irakien ou à la future éventuelle autorité para gouvernementale irakienne, qu’à tout état dans le monde.
En l'état actuel du droit un mécanisme coercitif simple consisterait à prévoir des pénalités pour non-exécution de l'obligation de transparence ou en cas de contrats successifs à ce que l’entreprise ne soit sélectionnée que si elle a auparavant respecté cette obligation. Un rapport public audité, annuel ou trimestriel, constituerait un bon outil de contrôle. Quelques modalités pratiques de délais seraient de plus à envisager au cas où des contrats se succéderaient à intervalles rapprochés.

En reprenant ainsi au service de la transparence l'idée de la campagne “Publiez ce que vous payez”, le Parlement européen servirait les Irakiens et contribuerait à l'information des citoyens. Il lui appartiendrait ensuite de convaincre les gouvernements de l'Union européenne, dont ceux des états actuellement membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, Espagne, France, Grande Bretagne.
Peu avant les prochaines réunions de l'Organisation mondiale du commerce au Mexique, l'Europe, qui y parlera d'une seule voix par un de ses Commissaire comme tel est le cas depuis quelques années, contribuerait ainsi à insérer un peu de morale, tant pour elle - même que pour les autres, dans l'affaire irakienne.


Denis Viénot
Président de Caritas Europa