Caritas Europa Les enjeux des nouvelles solidarités sociales
dans le cadre de l’élargissement de l’Europe
Intervention de Denis Viénot, président de Caritas Europa

Conférence européenne des radios chrétiennes
Colloque de Bratislava, 23 – 26 octobre 2003


COMECE, « Vérité mémoire et solidarité » du 11 mars 1999 :
(15) : Pour les Etats de l’Europe occidentale, les questions de justice politique et sociale se font sans cesse plus pressantes. L’augmentation du chômage – en particulier parmi les jeunes -, la consommation de drogues, la criminalité et le climat croissant d’intolérance et de réactions de violence face aux minorités nationales, aux étrangers et aux migrants menacent de détruire la paix à l’intérieur même de la société. Ces évolutions, dont les racines dépassent partiellement le cadre national, montrent que la cohésion des sociétés occidentales est mise en péril par les injustices et les clivages sociaux. Elles exigent un renouvellement des consensus fondamentaux de solidarité nationale et internationale, de protection de la dignité de la personne humaine. »

Joseph Stiglitz, prix Nobel d’Economie 2001 dans « La grande désillusion » 2002 : « S’il y a croissance, rien n’impose qu’elle profite à tous. Il n’est pas exact que la marée montante soulève tous les bateaux. Parfois, quand la marée monte vite, en particulier par gros temps, elle projette les embarcations les plus frêles contre les rochers de la côte et les réduit en miettes. »
En d’autres termes, les personnes les plus faibles et les plus vulnérables de la société continueront à requérir nos soins et notre attention de façon plus spécifique.

1 . Contextes et enjeux des solidarités sociales

Développement de l’Union européenne
Poids du phénomène Union européenne qui se développe malgré des crises et se développera :
- 50% déjà de législations communes
- nouveau mécanisme de taxation de l'épargne : 12 pays vont échanger les informations dès le 1.1.2004, et Luxembourg, Belgique et Autriche vont mettre en place une retenue à la source de 15% qui sera progressivement augmentée pour être portée à 35% en 2010. Exemple typique de compromis européen, comme cf. âge minimum du travail, “ après âge scolarité obligatoire” à cause du Portugal il y a quelques années.
- Conférence intergouvernementale sur la future constitution suite aux travaux de la Convention : Quelques grands sujets de divergence, actuellement :
- Présidence du Conseil européen. Proposition All, Fr et GB ; les petits et la Commission sont contre
- Ministre des Affaires étrangères : GB réservée
- Pondération des voix au Conseil : refus de la Pologne et de l’Espagne
- Composition de la commission : résistance des petits pays
- Majorité qualifiée : GB ne veut pas de nouvelle extension
- Défense commune, coopération renforcée : GB et Pologne veulent des modifications
- Référence au christianisme : demandée par plusieurs pays
- Exception culturelle : la France a obtenu la décision à l’unanimité pour la culture et l’audiovisuel
- Coopérations renforcées, cf. Euro, Schengen : pas tous. Une piste à laquelle beaucoup pense pour faire face à des résistances et continuer à avancer.
Comme d’habitude il va falloir du temps pour trouver certains compromis.

Financement de l’Union européenne
- Philosophie politique visant à compenser les inégalités.
- Le cadre actuel va jusqu’en 2006. Les discussions s’engagent, pour sans doute une nouvelle période de 5 ans.
- Difficultés liées au nombre : c’est déjà compliqué de négocier à 15, alors à 25… Trois groupes de pays :
- Ceux qui ne veulent pas payer plus
- Ceux qui ne veulent pas recevoir moins
- Ceux qui ne veulent pas recevoir moins que ceux qui étaient là avant
- Le budget n’est pas si important que cela. A Edimbourg en 1992 maximum fixé à 1,27% du PNB, mais en fait-on est à 1%, même 0,9% en 2003.
- La politique agricole a été mise de côté avec une réforme plutôt positive et ce sont les fonds structurels et régionaux qui sont au cœur du débat. Le budget est de € 100 milliards :
- PAC 45
- Fonds structurels et de cohésion 30
- Sécurité, justice, paix 12
- Politique étrangère 7 et 3 Fonds européen de développement
- Fonctionnement 6
- Le modèle social européen doit être maintenu et développé : avant transferts sociaux il y a 30% de pauvres dans l’Union européenne, ramené à 15% après transferts. Remise en cause de ce modèle social en particulier chez les candidats où les partisans du modèle américain sont fortement présents même s'ils sont obligés de mettre en œuvre l'acquis communautaire
- C’est un devoir social d’aider les régions pauvres mais il n’y a pas que l’Europe ; le tiers monde doit aussi être aidé ; d’ailleurs l’aide au tiers monde est dans l’acquis communautaire.
- En matière de fiscalité
- un impôt communautaire pose question car il serait symbole de souveraineté ce que certains pays ne veulent pas, telle la Grande Bretagne
- il y a des situations de dumping peu acceptables qu’il faudrait corriger : l’Estonie n’a pas d’un impôt sur le revenu, et a un impôt sur les sociétés plafonné à 13% seulement
- Débats sur la répartition de la charge et le paiement net (ce qu’un Etat paie moins ce qu’il reçoit) :
- Relativement ceux qui paient le plus : Allemagne, Pays Bas, Suède, Grande Bretagne, Autriche.
- Grande Bretagne et France dans une moindre mesure ont maintenu des dépenses militaires importantes alors que les autres pays les ont fait baisser et bénéficient d’une protection non rémunérée.
- Après élargissement tous les 15 seront contributeurs nets
- Faut-il soutenir les régions pauvres et sans doute uniquement elles à l’avenir ou aider là où le rendement de l’investissement est le plus fort ? En dépit des aides depuis des dizaines d’années le Sud de l’Italie reste pauvre. Certains pensent que les fonds régionaux soutiennent les mauvaises politiques nationales.
- L’aide aux régions et donc aux collectivités territoriales locales risque d’être pervertie par la corruption qui existent chez les 15 et existera chez les 25. C’est d’ailleurs un sujet d’inquiétude chez des responsables de l’Union européenne. La société civile, dont les Eglises, peut avoir un rôle éducatif comme cela se fait dans des pays non européens.
- Et ne pas freiner l’enthousiasme de ceux qui veulent aller plus loin.

Rapport récent de prospective de l'Institut français des relations internationales sur «Le commerce mondial au XXIè siècle ; chronique d'un déclin annoncé» (celui de l'Europe), cf. "Le Monde" 4 & 5 mai 2003 :
- Si les tendances actuelles se prolongent l'Union européenne voit son poids dans la production mondiale passer de 23% en 2000 à 21% en 2020 et 12% en 2050. Les USA eux maintiennent leur poids et l'Asie progresse. L'Union européenne est le premier pôle commercial mondial actuel avec près de 40%du marché mondial, mais le déclin s'accélère à partir de 2020. Deux raisons à cela :
- la défaillance démographique : le taux de fécondité européen est de 1,4 enfants par femme ( le seuil de renouvellement est à 2,1) et l'immigration est trop faible pour compenser. L'Amérique du Nord, Mexique inclus, est proche du seuil de renouvellement et bénéficiera d'un apport de 50 millions d'immigrés. L'Asie continuera à croître malgré la baisse en Chine.
- le progrès technique, lui, bénéficie d'abord aux USA. La Chine rattrape son retard à grands pas. L'Europe réussit son élargissement à l'Est et enregistre des gains de productivité importants mais cela ne suffit pas à compenser le recul démographique.
Donc les Européens demeurent riches en PIB par tête, mais, dépeuplé, le continent recule, ce qui est le cas depuis son apogée de la période 1870 – 1914

- Cependant deux variantes plus positives basées sur la création d'une vaste zone de développement intégré incluant la Russie et les pays du sud de la Méditerranée : l'Union européenne met en place un vaste programme pour accélérer la transformation de ces pays. Dans un cas cela s'accompagne d'une politique démographique et d'ouverture des frontières à 30 millions d'immigrés et alors le PIB UE progresse à 19% du PIB mondial en 2050 et celui de ses partenaires à13% donc au total un tiers ; dans un autre cas il n'y a pas de politique démographique et alors diminution du PIB de l'UE à 11% mais ses partenaires à atteignent 14% soit au total un quart.
Tout cela fera l'objet d'analyses critiques multiples. Mais ce qui est certain c'est que le déclin est assuré si rien n'est fait.
Et il faudra des arbitrages difficiles entre dépenses sociales et agricoles d'une part et d'autre part celles de défense, de recherche et d'éducation. Et il faudra ouvrir des discussions avec la Russie et la Turquie, pas forcément pour les faire entrer dans l'Union mais pour en faire des partenaires privilégiés. Tout ceci associe donc l'attirance traditionnelle des Allemands vers l'Est à celle des Français pour le sud.

2 . Comment rendre l’Europe plus équitable ?
Rapport de Caritas Europa sur l’élargissement de l’Union européenne : trois thèmes centraux abordés maintenant et explications des propositions concernant les trois zones, l’actuelle Union européenne, les nouveaux arrivants d’Europe, les futurs pays frontaliers.

Trois thèmes centraux :

La démographie
Chez les 25 Etats de l’Union européenne future on va vers une diminution de la population et une augmentation des personnes âgées. Le taux de fécondité est partout inférieur au taux d’équilibre du remplacement.
Le vieillissement démographique de la société européenne aura des conséquences d’une portée considérable sur le financement des systèmes de protection sociale, sur le marché du travail, sur les services de santé et les services sociaux.
En contraste avec les actuelles angoisses à l’égard de l’arrivée de flux de travailleurs de l’Est européen, la migration sera une réponse nécessaire mais partielle à cette situation. Ainsi 850 000 migrants des nouveaux Etats membres dont 4350 000 Polonais sont-ils déjà présents chez les 15.
Et une importante population de migrants réguliers ou non en provenance des pays frontaliers futurs réside déjà dans les nouveaux Etats membres : 300 000 Ukrainiens en Pologne et 200 000 en République tchèque.

Les minorités ethniques
Le fait que des groupes ethniques vivant en dehors des nouveaux Etats membres soient coupés de leur pays d’origine par des politiques strictes de visas par exemple, constituera une source de tensions : Polonais en Biélorussie, Russes dans les pays baltes, Romas en de nombreux endroits. Le lien que ces minorités veulent continuer à entretenir avec leurs familles et leurs pays d’origine seront compromis lorsque les frontières seront strictement contrôlées.
Ces contrôles pourraient avoir un effet négatif sur le commerce transfrontalier entre futurs pays frontaliers et Etats membres, qui constitue une source importante de revenus. Les travailleurs saisonniers seront en difficulté. De nouvelles politiques seront nécessaires pour faciliter le développement de ce commerce. Plus d’isolement et plus de pauvreté pourraient sinon accroître les pressions poussant à la traite humaine et aux activités des passeurs.
La COMECE dans le texte précédemment cité insiste sur l’écart inhumain des niveaux de vie dans la grande Europe, sur l’indispensable solidarité avec les réfugiés et les demandeurs d’asile.

Les familles monoparentales et les familles nombreuses
Caritas Europa a publié son premier « Rapport sur la pauvreté en Europe » en 2001. Le second sortira début 2004.
Dès 2001 la situation critique des familles monoparentales est soulignée, surtout lorsque le parent célibataire est une femme.
De même les familles ayant 2 ou 3 enfants à charge, ou plus, sont-elles plus en difficulté que les autres. Les systèmes sociaux sont conçus selon un concept dépassé de la famille, avec un chef de famille qui travaille, généralement l’homme, et l’autre partenaire qui s’occupe des enfants. Les bas salaires, l’instabilité de l’emploi, l’inégalité entre les revenus des hommes et des femmes, les services d’aide à l’enfance inadéquats sont autant d’éléments qui placent les familles monoparentales et les familles nombreuses dans une situation à haut risque face à la pauvreté chronique. Le prochain Rapport de Caritas Europa portera donc sur les liens entre la pauvreté et les politiques familiales.

Les propositions de Caritas Europa
Elles concernent :
- trois groupes de pays : les 15 actuels de l’Union européenne, les nouveaux membres d’Europe de l’Est (pauvreté, social ou emploi sauf certains aspects de la législation du travail ne sont pas de compétence UE ; migrations si), les nouveaux pays frontaliers
- trois sujets : libre circulation des personnes, emploi, aide sociale non étatique et ont été élaborés suite aux travaux sur l’élargissement depuis 1999 – trois conférences organisées par Caritas Europa avec le soutien de la Commission européenne – et grâce à des groupes de travail rassemblant des représentants des trois régions.

Le rapport plaide pour une stratégie globale en matière de protection sociale avec une attention spécifique envers
- les droits des migrants
- l’accès aux services sociaux et aux soins de santé
- l’emploi

Libre circulation des personnes, UE à 15 et nouveaux membres
- promotion de l’intégration des migrants : accès au logement, à l’éducation, aux soins et à la protection sociale
- visas pour les membres des minorités ethniques pour des allers et retours

Emploi, UE à 15 et nouveaux membres
- importance de l’objectif de plein emploi du Sommet de Lisbonne
- importance de la Méthode ouverte de Coordination (aussi en matière sociale) qui permet de rapprocher les politiques et de tenter de s’aligner sur les meilleures pratiques
- éducation tout au long de la vie ; Fonds structurels pour le recyclage professionnel
- difficulté à venir des systèmes de retraite

Aide sociale non étatique, UE et nouveaux membres
- les services existants chez les 15 ont une responsabilité pour la mise en place de services à l’Est et de veiller aux dangers de l’exode des cerveaux
- service européen d’intérêt général et statut. Libéralisme et marché : on met dans le marché des services sociaux ; quid des pauvres ?
- groupes à risques : Romas, familles
- importance de la réforme des soins de santé
- étudier à l’Est l’exclusion sociale pour prendre des mesures spécifiques adaptées

Pays frontaliers de la future Union européenne
Libre circulation
- Problème de l’emploi informel
- Formation et éducation
- Lutte contre la traite
- Services sociaux spécifiques pour les migrants

Emploi
- formation ; équivalence des diplômes
- développement du soutien à la création d’emplois
- aide sociale aux personnes marginalisées
- stratégie globale

Aide sociale non étatique
- planification des moyens pour plus d’efficacité
- réforme des systèmes d’assurance
- augmentation de la qualité des services fournis
- défendre la liberté d’association des Ong

Caritas Europa, 44 pays ; trois cercles,

- Union européenne plus Suisse, Islande et Norvège : pays riches avec pauvreté aux marges
- Nouveaux adhérents, dix plus Roumanie et Bulgarie : pays en progression économique et politique
- Non adhérents actuels, Balkans, ex URSS, Turquie : pays pauvres, dont situation grave en Russie.

Variété des Caritas d’Europe

• des riches et des pauvres, Andorre et Arménie.
• certaines gestionnaires de services sociaux massifs, hôpitaux, maisons de retraite, maisons pour handicapés etc. comme en Belgique ou en Allemagne, d’autres organisant des réseaux de bénévoles comme en France, Italie, Espagne, Tchéquie, Pologne Portugal voire Suisse et Allemagne aussi. Il ne faut pas exagérer cette distinction : au Secours catholique il y a l’Association des cités et de multiples projets sociaux ; la Caritas Allemagne fédère les 400 00 bénévoles des équipes Saint Vincent, la Caritas Russie gère des activités sociales avec des bénévoles nécessairement indemnisés compte tenu de la situation économique du pays, ce qui est d’ailleurs une situation fréquente à l’Est.
• certaines agissent localement et à l’étranger, Autriche ou Pologne, certaines n’agissent qu’à l’étranger, Angleterre, Irlande, Danemark.
• certaines reçoivent des subsides élevés de l’Etat, Hollande, Suède, Suisse, d’autres très peu, France, Roumanie, Albanie.
• etc., relations Eglise, collaborations avec d’autres organisations, contextes économiques et politiques

Trois caractéristiques principales

Réseau
Travail avec d'autres : migrations et « groupe des Eglises », œcuménique (Comece, Quaker, Jesuit refugee service, ICMC, organisation du Word Council of Churches)
Caritas Europa dans le phénomène incontournable du développement global de l'Union européenne et de l'augmentation des solidarités en Europe et de là dans le monde.

DV