Forum Social Mondial 2003, Porto Alegre, Brésil
Séminaire « Paix et dialogue interculturel »
CRID/Secours catholique, 24 janvier 2003, Porto Alegre

L'Irak : de crises en crises



Intervention de Denis Viénot, Président de Caritas Europa

L'Irak est un pays de vieille histoire. Au igeme siècle avant Jésus Christ, Abraham y naît. Bien plus tard Soliman le Magnifique fait son entrée à Bagdad en 1534. Les Turcs occupent la région en 1638. En avril 1920 la Conférence de San Remo attribue un mandat sur l'Irak à la Grande Bretagne. La première découverte de pétrole a lieu en 1927 à Kirkuk, ville du Nord située dans une zone de peuplement kurde. Le pays devient indépendant en 1932. L'exploitation pétrolière commence en 1934. En 1945 - 1946 une longue révolte a lieu au Kurdistan et l'armée iranienne liquide l'éphémère République kurde.

La monarchie irakienne est renversée en 1958. Saddam Hussein dont l'ascension a commencé en 1968, prend le pouvoir en 1979 : II est - paradoxalement vu d'aujourd'hui - le produit d'un système politique mis en place en 1920 au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

La guerre Iran - Irak, déclarée par ce dernier, durera de 1980 à 1988. Les relations diplomatiques avec les Etats Unis sont rétablies en 1984. En 1988 l'armée de Saddam Hussein fait utilisation d'armes chimiques contre les Kurdes à Hajabja. En août 1990 l'Irak attaque le Koweït. L'embargo et des sanctions internationales sont immédiatement décidés par les Nations Unies. La Guerre de Golfe se déroule en janvier - février 1991. En décembre 1996 le Conseil de Sécurité des Nations Unies vote la résolution 986 « Pétrole contre nourriture. »

En décembre 1998 les inspecteurs de Nations Unies qui avaient commencé leurs contrôles en octobre 1994, sont expulsés d'Irak dans un climat de crise grave qui débouchera en décembre sur les bombardements anglo-américains de l'opération « Renard du désert. »

Avant cela déjà les Etats Unis et la Grande Bretagne avaient décidé sans l'aval formel de l'ONU de créer des zones d'exclusion aérienne au Nord du 36eme parallèle et au Sud du 33ème, pour protéger respectivement les populations kurde et chiite.

Bagdad respecte ces zones, mis à part quelques « provocations. » Les survols des armées de l'air anglo - américaines sont quasi quotidiens et les bombardements d'installations militaires fréquents. L'Irak dénonce ces attaques qui font selon lui des victimes civiles. Mais ces interdictions n'ont pas empêché l'armée irakienne de reprendre pied au Kurdistan en 1996 ou de poursuivre la répression dans le Sud chiite. En janvier 2001 le Président George W. Bush désigne l'Irak avec l'Iran et la Corée du Nord comme faisant oartie d'un « axe du mal. » Les insoecteurs sont revenus fin 2002 et doivent rendre leur premier rapport au Conseil de Sécurité le 27 janvier 2003. Tout alors sera-t-il possible ? Cette rapide approche historique trace quelques-uns uns des contours de la crise actuelle. Pour l'analyser plus en détails certaines caractéristiques de la situation irakienne sont d'abord utiles.

La situation irakienne

Ethnies et religions Les Arabes sont environ 75 - 80% de la population de 24 millions d'habitants, les Kurdes, montagnards du Nord environ 15%.
Parmi les Arabes les Chiites1 du Sud sont en Irak majoritaires, au moins 60%. L'Irak abrite au Sud les grands lieux saints chiites où de nombreux Iraniens viennent chaque année en pèlerinage.
On a l'habitude de diviser la population irakienne en trois groupes principaux : les Chiites majoritaires, les Sunnites, les Kurdes3. Les chrétiens, surtout des chaldéens catholiques, sont minoritaires quoique rassemblant plusieurs centaines des milliers de personnes.
Les Kurdes ont depuis longtemps été victimes des régimes le Bagdad et particulièrement de l'actuel qui sait jouer des rivalités tribales entre les différentes factions. Ils ont aussi contribué à des massacres. Le programme actuel « Pétrole contre nourriture » renforce leurs tendances autonomistes : de facto existe une sorte de Kurdistan irakien autonome bénéficiant des aides humanitaires. Tout avenir de l'Irak devra nécessairement tenir compte de leurs revendications.
Les Chiites sont assez bien intégrés au fonctionnement institutionnel irakien quoique victimes de certaines discriminations. Ils ont été et sont présents à des niveaux de responsabilité. Il serait déraisonnable pour l'avenir de nourrir des tensions entre Chiites et Sunnites.

Le Parti Baas4

Le « Parti de la renaissance arabe et socialiste » a été fondé en Irak en 1952 par un Chiite. Il trouve ses sources en Syrie dans les années 1930, alliant nationalisme arabe, socialisme et laïcité : une idéologie totalisante, un parti unique, le contrôle de l'économie appelée socialiste dont l'utilisation de la rente pétrolière, le contrôle de l'armée, le contrôle des médias. A ses débuts en Irak il réussit une symbiose un peu éphémère entre les Sunnites et les Chiites. En 1963, avec l'aide de la CIA dit-on, il renverse le général Kassem, que Saddam Hussein avait tenté sans succès d'assassiner quelques années auparavant.

Le parti unique est aujourd'hui, et depuis de nombreuses années, l'un des éléments du contrôle de la population irakienne. Il possède même la milice pour ses opérations de répression.

« Alors que les bonnes grâces du parti sont requises pour tout acte administratif, le Baas est investi d'un pouvoir évoquant l'excommunication », et le citoyen désavoué est « incapable de percevoir les rations de l'ONU, d'ouvrir un compte bancaire ou de louer un appartement. »

Organisé en cellules de base, en divisions et en sections, le parti est dirigé par les branches régionales et les commandements régionaux qui sont légalement autorisés à incarcérer des suspects et assurent des fonctions de police et d'administration parallèle.

D'un mouvement progressiste laïc et nationaliste, le parti est devenu un outil à la solde de Saddam Hussein, « une sorte de second exécutif doublant l'appareil d'Etat », un des outils du non-respect des droits de l'homme dans ce pays. Mais sa force serait sa faiblesse le jour où il faudrait combattre des soldats étrangers : car il est maintenant fondé sur des hypocrisies, des orgueils ou des peurs, qui ne mobiliseraient pas grand monde.

Il n'y a pas d'opposition véritablement organisée. Les partis en exil sont souvent divisés. Quelques essais américains tentant de les réunir - et de les financer pour organiser une résistance intérieure - ont globalement raté et ne résolvent aucun des problèmes de l'avenir démocratique du pays.

Les tribus

Le système du Baas a transformé « les institutions sociales traditionnelles des tribus et des clans en clé de voûte de l'Etat. » La place au sein du pouvoir de ces groupes est à la fois la force et la faiblesse du régime.

Affaibli par la longue et dramatique guerre Iran - Irak, l'Etat perd le contrôle sur de nombreuses tribus et le tribalisme se renforce.

Pour faire face aux problèmes surgis après la Guerre du Golfe de 1990 - 1991 et à ses suites, le régime met en place une « stratégie de survie » autour de la résurrection des tribus à travers tout le pays pour qu'elles remplacent les organisations du parti.

« Le tribalisme d'Etat, ce système qui consiste à intégrer les lignées tribales à l'appareil d'Etat afin de renforcer le pouvoir d'une élite dirigeante fragile et vulnérable, fonctionne encore, mais il vieillit. Le tribalisme social, en revanche, consiste à faire revivre, à manipuler ou à inventer des structures tribales à partir des réseaux des valeurs parentales » en ville comme à la campagne. La renaissance des tribus remplit « le vide créé par la destruction des institutions de la société civile et par le déclin de l'Etat. » Mais l'un comme l'autre sont évidemment des facteurs centrifuges.

L'économie donc le pétrole

L'économie est dominée par le pétrole qui traditionnellement fournit 95% des revenus d'exportation. L'Irak détient les secondes réserves mondiales de pétrole derrière l'Arabie Saoudite, 112 milliards de barils prouvés auxquels il faut ajouter au moins 220 milliards de réserves probables.

Dans les années 1970 les revenus pétroliers ont permis de profondes transformations économiques. Durant les années 1980 le gouvernement a dû mettre en place des mesures d'austérité suite aux dommages de la guerre Iran - Irak qui aurait généré des pertes de 450 milliards de dollars. A la fin de la guerre la dette extérieure était de 100 milliards de dollars, somme impossible à rembourser et les riches Etats pétroliers sunnites de la péninsule arabique refusent leur aide malgré leurs encouragements passés à l'Irak dans sa lutte contre l'Iran chiite.

De multiples installations pétrolières furent détruites. Après la guerre de nouveaux pipelines et des travaux de réparations permirent la reprise graduelle des exportations. Pas suffisamment et, pour s'approprier ses ressources pétrolières, l'Irak envahira le Koweït dont le statut n'a d'ailleurs jamais été totalement clair, certains défendant même la thèse d'un Koweït territoire historiquement irakien, sujet qui n'est quasiment jamais abordé.

Mais l'invasion du Koweït, la guerre de 1990-1991 et ses suites dont les sanctions internationales ont fait dramatiquement chuter l'activité économique. Le programme dit humanitaire « Pétrole contre nourriture » des Nations Unies a amélioré la situation. Les conditions de vie restent cependant bien inférieures à celles de 1990 même si le PNB a augmenté ces dernières années du fait des exportations de pétrole en hausse.

L'espérance de vie est de 61 ans, soit 8 ans de moins que dans des pays comparables.


Le dernier rapport semestriel du Secrétaire Général des Nations Unies au Conseil de Sécurité sur la mise œuvre du programme « Pétrole contre nourriture » (12 novembre 2002) et celui d'une mission de Caritas Internationalis - Confédération mondiale de 160 organisations catholiques engagées dans l'action sociale, l'urgence, le développement, la réconciliation - d'octobre 2002 vont dans le même sens : une certaine amélioration de la situation qui reste cependant globalement mauvaise. Le premier insiste sur des manques importants de certains médicaments et les dysfonctionnements résultant des pratiques du régime irakien qui fait fluctuer ses exportations de pétrole. Il y a donc un déficit de financement du programme « Pétrole contre nourriture »: à fin octobre 2002, de près de 3 milliards de dollars, principalement dans les domaines de l'agriculture, de l'électricité et du transport de nourriture. Par ailleurs le pays est pénalisé par l'absence de protection commerciale relative à ses importations car il ne peut pas se retourner vers ses fournisseurs en cas de livraison de produits défectueux comme cela arrive souvent pour les médicaments dont la date de péremption est trop proche, pour des produits laitiers de mauvaise qualité ou pour toutes sortes de livraisons défectueuses comme celles de machines en pièces détachées abîmées ou inadaptées.

Caritas Internationalis, de son côté, dénonce l'absence de versements monétaires dans le programme « Pétrole contre nourriture » ce qui complique par exemple la gestion locale des transports. Elle insiste sur les multiples coupures de courant qui affectent les hôpitaux, les usines d'assainissement d'eau, les écoles, les systèmes d'irrigation ou les usines. On estime que seuls 70% des besoins électriques sonl couverts.

Les conséquences des sanctions en matière de santé et de nutrition sont évidentes : pas d'argent pour les pièces détachées nécessaires à l'entretien et à la réparation des systèmes d'eau potable, de santé.


La malnutrition est répandue et chronique. Il y a cependant une légère amélioration : la malnutrition grave est passée de 23 à 21 % de la population de 1996 à 1999.
L'UNICEF indique en septembre 2002 que 16% des enfants de moins de cinq ans ont un poids inférieur à la normale, que 22% sont chétifs ou chroniquement mal nourris et 6% gravement mal nourris.

Ces données restent inacceptables. Par ailleurs 95% des familles n'ont pas de revenus suffisant pour couvrir leurs besoins élémentaires ; l'indice de développement humain de l'Iraq l'a fait passer de la 96ème place mondiale en 1996 à la 126ème en 2000 - depuis il n'est plus calculé ! -, et l'alphabétisation des adultes est tombée de 89% en 1985 à 57% en 1997.

La crise irakienne 2003 : vers une troisième guerre du Golfe ?
Le régime des sanctions internationales
En 1998 l'ancien Attorney General américain, Ramsey Clark écrivait: « Une des constantes de la politique américaine à travers les ans était la détermination de dominer les vastes ressources pétrolières de cette région, non seulement pour leui valeur, mais aussi pour l'avantage économique et militaire procuré par les contrôles des pays importateurs, riches et pauvres. »
Ce n'est pas du cynisme que de lier les sanctions et le pétrole. Tout est pétrole en Irak. Ce serait par contre de la naïveté de se limiter à viser les seuls Etats Unis - qui sont des importateurs finaux de quantités significatives de pétrole irakien el souhaiteraient accroître leur emprise - alors que les grandes compagnies pétrolières sont présentes ou voudraient l'être, forcément avec le support de leurs Etats. Ainsi Total Fina Elf (France), ENI (Italie), Lukoil, Zarubezneft et Mashinoimport (Russie) ou China's National Petroleum Company (Chine) ont signé des contrats d'exploitation pétrolière pour des champs anciens et nouveaux. Par ailleurs en août 2001 un accord a été conclu entre l'Irak et la Turquie pour la construction d'un gazoduc destiné à des exportations de gaz vers l'Europe.

Depuis plus de douze ans le Conseil de sécurité des Nations Unies a mis en place un embargo. L'Irak ne peut importer et exporter des produits que via un processus compliqué contrôlé par les Nations Unies. Ce processus est injuste, long et rigide. On en parle moins actuellement puisque l'attention se focalise sur une éventuelle guerre. Les résultats ont été désastreux. En 1996 le régime des sanctions a été modifié par le programme « Pétrole contre nourriture. » Même amendé en mai 2002 ce régime est une entrave aux droits fondamentaux et aux droits de l'homme tant il a créé et crée de souffrances. D'ailleurs son budget n'est que d'environ 170 dollars par Irakien et par an.
Maintenant l'Irak n'est plus limité dans ses exportations de pétrole mais en pratique ce n'est pas si simple alors que l'importation de pièces détachée est souvent difficile. La théorie du « double usage » des produits importés complique beaucoup les choses : usage civil et usage militaire. Tout produit qui peut avoir un usage militaire est interdit ou strictement contrôlé.
En décembre 2002 encore le Conseil de sécurité vient d'allonger la liste des produits interdits : produits chimiques, médicaments, électronique, transports. Des véhicules sont au cœur de la controverse : des poids lourds blindés disposant d'un système de guidage par satellite pouvant transporter 20 tonnes, et possédant une grue pour soulever des charges de huit tonnes. L'ambassadeur russe qui s'est abstenu lors du vote de la résolution estimait qu'ils étaient nécessaires pour assurer des « transports civils normaux » et que leur interdiction pourrait avoir des « conséquences sur la distribution de l'aide humanitaire. » (« Le Monde », 01.01.2003) Nombreux sont ceux qui critiquent ce mécanisme des sanctions liées aux inspections des armes de destruction massive, ainsi :
- Scott Ritter, ancien chef inspecteur de l'UNSCOM écrit en 1999 : « Lorsque l'on parle de la menace des armes de destruction massive de l'Irak, la réponse est qu'elle n'existe pas. » Accusé à l'époque par les Irakiens d'espionnage pour le compte des Etats Unis, Scott Ritter est maintenant devenu persona gratta à Bagdad. « II a conseillé à l'Irak d'accepter le retour des inspecteurs (fin 2002), mais de favoriser parallèlement la constitution d'un corps d'inspecteurs indépendants pour le cas où... » (« Le Monde », 5 & 6.01.2003)
- Kofi Annan déclare en mars 2000 que « La situation humanitaire en Irak pose un sérieux dilemme moral à l'ONU (...) car l'ONU a toujours été du côté des victimes » et dans son rapport au Conseil de Sécurité en novembre 2002 il écrit diplomatiquement : « En dépit des résultats significatifs du programme (« Pétrole contre nourriture ») dans l'amélioration de la situation humanitaire du peuple irakien comparée à sa condition horrible de 1996, il y a encore beaucoup à faire. »
- L'International Crisis group6 écrit en octobre 2002 : « Alors que les sanctions internationales ont indéniablement limité ses ressources, le régime a pu mettre en place des mécanismes de contrebande commerciale de plus en plus sophistiqués pour les contourner. Paradoxalement les sanctions ont accru la dépendance de la population envers le régime qu'elles devaient affaiblir. »

En février 2001 Caritas Europa - la région européenne de Caritas Internationalis regroupant des organisations de 44 pays européens -, suite à la visite d'une délégation qu'elle avait envoyée sur place, demandait la suspension immédiate des sanctions et l'ouverture de discussions internationales visant à leur annulation. Caritas Europa et ses membres avait alors alerté les pays européens, la Commission européenne, le Parlement de l'Union européenne avec M. von Sponeck - Assistant du Secrétaire général des nations Unies et ancien coordinateur de l'aide humanitaire en Irak -, les pays membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies en lien avec Caritas Internationalis. La même position doit être soutenue aujourd'hui :
- les sanctions infligent des souffrances immenses
- l'Irak, jadis un pays riche, a été et est sciemment « dé-développé »
- les sanctions sont en contravention avec la Charte des Nations Unies et de multiples conventions internationales : pendant plus de douze ans elles ont porté atteinte à des millions de civils
- les sanctions sont inefficaces puisque le régime irakien, la cible officielle, n'est pas atteint
- elles sont la cause d'une très importante mortalité infantile Dennis Halliday, Assistant du Secrétaire général des Nations Unies et aussi ancien coordinateur de l'aide humanitaire en Irak déclarait en février 1999 devant les étudiants de l'Université de Washington à Seattle, USA : « Le fait que nous ne puissions pas communiquer avec lui ( Saddam Hussein), et que le dialogue avec lui ne progresse pas, ne nous permet pas, ne nous donne pas le pouvoir de tuer les enfants d'Irak. C'est aussi simple que cela. Et comme vous, vous et moi ensemble, nous ne voulions pas être venus responsables de - a aeraut o un moi pius aoapre- ce qui est aujourd'hui un génocide en Irak. »

Une guerre de plus ou quoi?

Cette déclaration de Dennis Halliday concernait le régime des sanctions. Elle pourrait malheureusement s'appliquer à la guerre qui menace.
Le peuple irakien paierait un prix exorbitant si la guerre intervenait. Entre 14 et 16 millions de personnes survivent grâce aux aides humanitaires actuelles. En cas de conflit qui détruirait vite les infrastructures et les moyens de transport, des millions de familles seraient privées de tout.
Comme en 1991 les usines de traitement d'eau potable seraient paralysées par l'absence d'électricité. Voire sciemment détruites !
Des milliers de personnes décéderaient et des millions seraient déplacées ou réfugiées.
La mission de Caritas Internationalis d'octobre 2002 a rencontré de nombreux experts des Nations Unies et des ONG : unanimement, une catastrophe humanitaire majeure est prédite en cas de guerre ainsi qu'une dangereuse déstabilisation de la région et l'extension possible du conflit à d'autres pays.
Alors qu'il est manifeste que le régime est impopulaire et continue à gouverner par un mélange de peur, de mesures de sécurité, de cooptations politiques el économiques, s'il doit y avoir évolution trois scénarios politiques sont souvenl décrits7 :
- Construction d'une démocratie stable, suite aux efforts de l'opposition pour s'unir autour d'une plate forme fédérale pluraliste et aux aspirations du peuple irakien de voir se mettre en place un autre régime
- Guerre civile et chaos du fait des tensions entre les Arabes et les Kurdes, entre les Sunnites et les Chiites, entre les tribus et du fait d'interventions extérieures de la Turquie, de la Syrie ou de l'Iran
- Persistance d'un pouvoir autoritaire suite à un coup d'Etat contre Saddam Hussein organisé par certains de ses proches, le « Saddamisme sans Saddam »
Quoiqu'il en soit un futur gouvernement devra s'attaquer aux problèmes structurels mis de côté depuis des décades, mettre en place un système démocratique, redresser l'économie, traiter la question kurde ou clarifier les frontières. Et dans l'hypothèse d'une intervention militaire extérieure, les forces politiques irakiennes devront bien un jour ensuite s'engager elles-mêmes sur ces chantiers. Il sérail meilleur d'y penser calmement avant plutôt que de réagir après dans la précipitation. D'autant plus que l'opposition est très divisée. Le Congrès national irakien a tenté depuis 1992 de regrouper les différents partis mais il est devenu au fil des ans faible et peu représentatif. Les partis kurdes, Parti démocratique kurde de M. Barzani el Union patriotique kurde du Kurdistan de M. Talabani sont souvent en tensions, les autres petits partis kurdes étant faibles. Plusieurs partis chiites, Da'wa ou The Suprême Council for thé Islamic Révolution in Iraq (SCIRI) ont perdu leur ancrage interne. D'autres partis islamiques, communistes, démocrates ou militaires ont peu de poids réel.

Le réseau Caritas dans le monde entier et de très nombreux responsables civils el religieux plaident pour l'accentuation des processus diplomatiques. La question des armes ae destruction massive que i iraK pourrait avoir a sa disposition doit être traitée sans ambiguïté mais l'obligation absolue de faire prévaloir la loi internationale doit être respectée par tous.
Se focaliser sur le changement du régime à Bagdad et sur la personne du Président irakien et de ses acolytes privilégiés est une insulte faite au peuple irakien qui vit déjà dans des conditions très difficiles. La stabilité et la paix au Moyen Orient doivent être prises en compte.
« Aucune action violente ne peut se légitimer tant qu'il existe des voies non militaires pour obtenir ce que l'on vise. Ce critère dit de l'ultime recours est reconnu comme essentiel par toutes les traditions éthiques et par le droit international. »8 II est de plus dangereux de légitimer le concept de guerre préventive : où va-t-on s'arrêter ?

Caritas Internationalis, en complément à son action humanitaire avec la « Confrérie de la Charité/ Caritas Irak », vient une fois encore d'une part de lancer un nouvel appel aux responsables politiques « pour qu'ils prennent des initiatives pour une solution politique » et d'autre part de « réaffirmer son soutien aux personnes et aux groupes qui se mobilisent pour la construction de la paix, de la justice, de la réconciliation et du développement. »


Denis Viénot
6.01.2003

Bibliographie :
1. « Endgame, Solving thé Iraq problem- once and for ail », Scott Ritter, Former Chief Inspecter, UNSCOM, Simon & Schuster, New York, 1999
2. « Iraq under siège », Anthony Arnove, Pluto Press, London, 2000
3. « A people sacrified, Sanctions against Iraq », Caritas Europa, Bruxelles, février 2001
4. « II faut suspendre immédiatement l'embargo », Joël Thoraval et Denis Viénot, « Le Figaro », Paris, 22 février 2001
5. « Iraq, country study », CIA World Fact Book, janvier 2002
6. « La question irakienne », Pierre-Jean Luizard, Fayard, Paris, 2002
7. « En Irak, un peuple martyr », Denis Viénot, « La Croix », Paris, 17 juillet 2002
8. « Parti, clans et tribus, le fragile équilibre du régime irakien », Faleh A. Jabbar, « Le Monde diplomatique », Paris, octobre 2002
9. « Iraq Backgrounder : What lies beneath », International Crisis group, Bruxelles I Amman, octobre 2002
10.« Irak : non à une guerre illégitime », Justice et Paix - France, Paris, octobre 2002
11. « Report of thé Secretary General pursant to paragraphs 7 and 8 of Security Council resolution 1409 (2002) », 12 novembre 2002, Nations Unies, (Rapporl semestriel sur l'Irak et le programme « Pétrole contre nourriture »)
12.«Emprise vacillante du parti Baas en Irak», David Baran, «Le Monde diplomatique », Paris, décembre 2002.

Justice et Paix - France, 2002 cf. bibliographie n°10


1 Les Chiites sont des musulmans séparés de la majorité sunnite. Ils vénèrent Ali, cousin et gendre de Mahomet. Les Chiites se trouvent surtout en Iran et au Sud de l'Irak, deux localisations où ils sonl majoritaires. Quelques sectes chiites existent par exemple en Syrie (Alaouites), au Liban (Druzes) ou au Pakistan (Ismaéliens).
2 Courant majoritaire de l'Islam. Saddam Hussein est sunnite.
3 Peuple d'origine indo-aryenne (quinze millions de personnes environ) vivant dans une région montagneuse couvrant plus de 500 000 km2 et s'étendant en Turquie (plus du quart des Kurdes), en Irak (plus de deux millions), en Iran, en Syrie, en Azerbaïdjan et en Arménie.
4 Cf. bibliographie ni2