La corruption frappe d’abord les pauvres
La croix 10 décembre 2002



La corruption consiste à abuser d'une fonction ou d'une position de confiance à son profit personnel: profit financier surtout, mais aussi profit social, comme par exemple la nomination à un poste de responsabilité via des élections truquées ou des manœuvres. L’ONU dispose de statistiques qui font apparaître que la corruption dans le domaine public est surtout le fait de policiers et de douaniers en Amérique latine, Afrique, Etats Unis, Australie et Europe de l’Est, de responsables politiques et d’autres fonctionnaires en Asie et Europe de l’Ouest.

La corruption constitue un obstacle au développement économique et social tant dans les pays riches que dans les pays pauvres. Les détournements de fonds des budgets publics diminuent les moyens d'action et contribuent dans les pays pauvres aux conditions souvent déplorables des infrastructures publiques, routes, écoles ou services de santé.

Outre les aspects répréhensibles en matière d'éthique personnelle, sur le plan de l'éthique sociale il est anormal et injuste que les pauvres n’aient plus accès à leurs droits sauf à payer de façon extra légale. Ils ont le plus besoin des services publics que l'état ne pourra pas financer. La corruption est une pollution, certains n’hésitant pas à dire qu’elle est un crime contre l’humanité en raison de ses répercussions sur les plus pauvres: aussi bien les détournements des responsables politiques, hauts fonctionnaires ou hommes et femmes d'entreprises que les trafics des petits chefs locaux souvent contraints à des magouilles pour survivre.

Fréquemment les prestations publiques, d'accès officiellement gratuit, ne sont obtenues qu'en échange de "commissions" non officielles qui pèsent sur les pauvres: accès à l'école, bonnes notes scolaires, médicaments, hospitalisations, permis de conduire, autorisations ou formalités administratives etc. Paradoxalement, dans les pays en développement ou dans des pays européens pauvres, de nombreuses petites entreprises préfèrent de ce fait rester dans le secteur non officiel, au noir.

La corruption existe aussi dans la coopération au développement. En coopération publique, la manipulation des procédures d'adjudication est la méthode reine. Mais également dans la coopération privée où des règles suffisamment claires de contrôles administratifs et financiers manquent parfois.

La corruption n'est pas un phénomène qui s'explique avant tout par la culture: pots-de-vin, détournements de fonds et népotisme se retrouvent dans des sociétés aux traits culturels bien différents. Elle est la conséquence d'un manque de contrôle du pouvoir. Elle est passive quand quelqu’un ferme les yeux sur les pratiques illicites : là, chacun peut être responsable, les états comme les particuliers.

L'Eglise et les Caritas - réseau mondial de plus de 150 organisations engagées dans l'action sociale, l'urgence et le développement - ont une responsabilité socio-politique dans la lutte contre la corruption. Elles doivent plaider pour le renforcement du système démocratique et juridique, la participation politique ou la liberté de la presse, mesures efficaces contre les agissements des corrupteurs et des corrompus. Il est nécessaire d'avoir un état fort dans l'application de la loi : un état qui se concentre sur ses tâches principales, la garantie de la sécurité politique, juridique et sociale, un état qui met à la disposition des groupes les plus vulnérables les services publics nécessaires, gratuits ou à des prix supportables.

Le "consensus de Washington" de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international fait la liste des réformes auxquelles sont appelés les pays en développement qui veulent emprunter auprès d'eux. Depuis toujours s'y trouvent la libéralisation du commerce et la discipline fiscale. Depuis les années 90 seulement y figurent des normes et codes financiers, des mesures anti corruption et... la lutte contre la pauvreté. De leur côté les Nations Unies préparent une Convention internationale contre la corruption pour fin 2003 qui pourrait prévoir la restitution des biens mal acquis.

Les ONG peuvent-elles aussi s'améliorer en traitant corruption et mauvaise gestion. Caritas Internationalis a ainsi adopté en 1999 des normes établissant des lignes directrices en matière de financement et de projets, à la fois pour les organisations qui sont soutenues et pour celles qui aident : méthodes de contrôle interne et externe, procédures de dépenses, rôles des organes directeurs. Des procédures claires protègent tout le monde.

Il faut lutter contre la corruption, sinon l'option pour les pauvres serait incomplète. Ce sont les pauvres qui ont le plus besoin de la protection de la loi, or elle est minée par la corruption. La campagne internationale Publish what you pay - Publiez ce que vous payez - vise à ce que les sociétés minières et d'exploitation pétrolière indiquent officiellement, dans les commentaires sur leurs comptes annuels, les montants des royalties et commissions qu'elles versent aux états. Plus de transparence et donc de possibilités de contrôle données aux instances démocratiques et à la société civile limiterait les malversations et améliorerait la gestion publique des ressources au bénéfice de tous. Ou presque !


Denis Viénot
Président de Caritas Europa