Chrétiens à la rencontre du monde et de l’étranger


Délégation de Toulon, 20 avril 2002
Intervention de Denis Viénot, Président de Caritas Europa

Une citation éclaire notre démarche.
En janvier 1998 le Cardinal Etchegaray écrivait dans un document relatif à la réforme agraire que l'an 2000 est
"Un appel fort à la conversion et à l'engagement, y compris sur le plan social et politique, sans quoi les portes du futur se ferment. Il est donc temps de rétablir le droit des pauvres et des marginalisés à jouir de la terre et de ses bienfaits, qui sont un don du Seigneur à tous et à chacun de ses enfants."

Conversion : Notre démarche s’alimente de spirituel
Engagement : Elle est concrète, pratique, matérielle
Plan social et politique : Elle concerne la vie des personnes et des sociétés
Droit des pauvres : Notre démarche est créatrice de droits nouveaux
La terre est un don du Seigneur à tous et à chacun : Elle veut promouvoir pratiquement la destination universelle des biens de la terre.

1. Fondements de l’action

1.1 Fondements spirituels et évangéliques :

- Le bon Samaritain : c’est le blessé qui institue l’autre prochain
- Mathieu 25, le Jugement dernier
- 100% de rendement demandé par le maître, pauvre créateur
- la doctrine de l’incarnation : Dieu se fait homme pour transformer le monde par le pouvoir du Royaume; Jésus Christ en fait une force de transformation, et l’Eglise poursuit le travail transformateur du monde par le Royaume (Gaudium er Spes, Vatican II) ; les institutions et organisations sociales catholiques sont un outil de l’action, et elles s’adaptent aux sociétés où elles agissent. La France a avec un Etat laïc, est une société pluraliste, a une économie principalement capitaliste mais avec des éléments étatiques forts.

1.2 Fondements doctrinaux, l’enseignement social de l’Eglise :

- Populorum progressio : développement de tout homme et de tout l’homme, matériel et économique, social, culturel, spirituel
- Centesimus annus : associer les pauvres dès la conception des projets qui les concernent
- Une identité originale :
- Habitée, dans un lieu
- Qui se construit, évolue ; un processus
- Qui se reçoit des autres, protestants, musulmans, orthodoxes qui nous critiquent parfois
- Qui est une réalité complexe, nombreux éléments, pas que juridique
- Enracinée dans la foi, 3 dimensions, annonce de la parole, liturgie, charité
- Qui nourrit notre spiritualité et s‘en nourrit ; efficacité et affectivité
- Qui se construit par le dialogue, et place des laïcs et des femmes
- Qui est ouverte ; cf. valeurs en Europe où Eglise est peu appréciée et dimension engagement social chrétien l’est beaucoup
- Qui veut le développement intégral et pas simplement des actions de bienfaisance pour introduire l’Evangile.

1.3 Un autre fondement : le monde dans lequel nous vivons

Puisque notre sujet est l’étranger, l’international, juste quelques regards sur des réalités extérieures :
- La moitié de l’humanité vit avec moins de un euro et demi par jour. Problèmes de nourriture, d’hygiène et de soins, d’accès à l’école, d’accès à l’eau potable et à l’irrigation etc.
- Population privée d’accès à l’eau potable Analphabétisme des adultes
- Pays les moins avancés : 36% 49%
- Pays en développement : 28% 28%
- Afrique subsaharienne 46%
- Asie du Sud 46%
- 23 millions de réfugiés et déplacés dans le monde essentiellement à cause de la cinquantaine de conflits actuels qui sont d’ailleurs presque tous des conflits internes et des guerres civiles. Ils étaient 15 millions en 1990. Donc + 50% en onze ans. Ils sont surtout en Europe, en Asie et en Afrique
- Le travail des enfants
- Le statut des femmes dans de nombreux pays
- La dette des pays qui aggrave la pauvreté
- Puisque nous parlerons des réfugiés et des étrangers chez nous et dont certains viennent des pays d’Europe centrale et orientale, selon le Rapport Pauvreté 2001 de Caritas Europa, il y a six populations à risque dans la grande Europe, 44 pays :
- Les chômeurs soit de longue durée soit mal indemnisés
- Les personnes travaillant mais mal rémunérées ou en situation précaire
- Les parents seuls et les familles nombreuses
- Les personnes âgées
- Les demandeurs d’asile et les migrants
- Les minorités

Pour conclure sur ces fondements,
- le travail avec nos partenaires du Tiers monde nous permet de soutenir des activités le plus souvent promotionnelles, moins assistancielles que ce que nous faisons en Europe
- les orientations du Secours catholique proclamées avec les évêques de France il y a quelques années, en 1996, nous invitent à cette solidarité mondiale essentiellement au sein du réseau Caritas, à regarder et à agie au-delà de nos frontières :
- « agir pour la transformation sociale et la justice à partir de l’échange avec les pauvres, par la réalisation de projets et l’action institutionnelle, au plan local, national et, au sein du réseau Caritas, au plan international »
- « les échanges avec les Caritas s’intensifient et permettent une solidarité universelle »
- « les démarches institutionnelles au plan international se font en coordination avec les Caritas »

2. L’action du Secours catholique et du réseau Caritas

2.1 Historique

Première Caritas en Allemagne il y a 100 ans.
Première Caritas Internationalis en 1925.
14 Caritas avant la seconde guerre mondiale : Allemagne, Autriche, Belgique. Etats Unis (Cath charities, action interne), Suisse, Tchécoslovaquie, Pologne etc.
Secours catholique, et CRS (USA, externe) juste après la guerre
Création CI en 1950 avec 14 membres, puis trois grandes étapes de croissance
Amérique latine 1950- 1955
Décolonisation
Chute du mur de Berlin en nov 1989 : de 20 Caritas d’Europe à cette date à 44 pays

C’est donc un réseau mondial de 154membres indépendants présents dans 190 pays et territoires (cf. Ecosse qui n’est pas un pays, Caritas Antilles ou Pacifique qui couvrent plusieurs pays.

2.2 Evolution des actions, par strates successives, plan mondial et européen :

- Action sociale : formation de personnels Caritas en Europe de l’Est, salariés et bénévoles : formations dans les domaines du management financier et des ressources humaines, des projets et de la planification stratégique ( en anglais et en russe).

- coordination des urgences. Rôle très efficace de CI. Secours catholique agence de liaison pour deux catastrophes en Inde - inondations, tremblement de terre - et une en Guinée –réfugiés-. Rôle de CI pour répartition des tâches. Importance de l’information pour la collecte de fonds dont équipes de bénévoles en France. Caritas Europa fait un gros effort de formation en Europe et dans le Tiers monde. Caritas Pologne agence de liaison en Mongolie, Caritas tchèque en Tchétchènie.

- Développement, début des années 60 Campagne mondiale contre la faim, puis Populorum Progressio et de nombreuses Caritas du Sud s’y engagent soutenues par celles du Nord. Actuellement lien avec droits de l’homme. Cf. groupe de femmes pakistanaises, réunions chaque semaine, épargne, crédit, éclairage de la rue, préparation des élections d’octobre 2002. Exemple classique donner à manger ou apprendre à pêcher, mais droit de pêche ?

- Représentation auprès des organisations des Nations unies, HCR, Unesco, FAO, New York. Contrat de coopération avec le HCR qui concerne de nombreuses Caritas du Sud très engagées dans des actions réfugiés.

- Relations avec le Vatican : Travail avec la Secrétairie d’Etat sur les questions politiques pour s’harmoniser, coordination des politiques selon les situations parfois délicates : avec quelle Eglise collaborer lors du tremblement de terre en Arménie ? Programmes actuels en Corée du Nord.

- Relations très fortes avec le Nonce à Bruxelles sur questions européennes et avec les deux Conférences épiscopales européennes, par exemple pour la campagne de Caritas Europa sue l’Irak demandant la suspension immédiate des sanctions. Internationales.

- Régionalisation en 1972. Pour mieux soutenir le développement des membres. Plus de proximité par exemple. Fonds européen de solidarité pour 16 bénéficiaires, aide au fonctionnement structurel ; les plus gros bénéficiaires sont la Russie et l’Ukraine, les plus gros donateurs sont l’Allemagne et la France.

- Action institutionnelle internationale en pleine croissance depuis 10 ans : dette, réconciliation, actuellement Colombie, Palestine, Irak. Dernière actualité, Conférence de Monterrey au Mexique en mars : position sur 0.7% du PNB, le lien entre les réductions de dettes et la lutte contre la pauvreté, la taxation des transactions financières internationales.

- Communication. Site web de Caritas Internationalis : www.caritas.org

Avec une petite équipe de 24 personnes à Rome, 7 régions dont l’Europe (12 salariés à Bruxelles) ; Donc des superstructures modestes, pour deux raisons : faire des économies, principe de subsidiarité et faire travailler les membres ensemble dans des commissions et groupes de travail. Ainsi par exemple à CI :

- Commission de coopération internationale pour piloter la politique des urgences, Afghanistan aujourd’hui par exemple

- Commission d’action institutionnelle : dette, financement du développement Irak, Palestine

Le Secours catholique se retrouve engagé dans tous ces sujets. La spécificité française partagée avec l’Italie et l’Espagne, c’est le réseau des bénévoles organisés en équipes territoriales, souvent paroissiales. On retrouve cela dans le monde entier, cela se développe en Europe de l’Est.

Mais il y a des Caritas qui sont plus fondées sur un grand nombre de salariés, de travailleurs sociaux. C’est lié aux modes de répartition public / privé : l’action sociale en Belgique ou Allemagne est très privée, donc catholiques, protestants, syndicats. Caritas Allemagne a 400 000 salariés, Caritas Belgique 100 000, mais elles sont d’énormes gestionnaires d’hôpitaux, de maisons de retraites, de centres sociaux, de centre pour étrangers (accueil, hébergement, formation), d’écoles d’infirmières et de travailleurs sociaux etc. Entre les deux modèles il y a toutes les graduations.

Caritas Hong Kong est plus sur le modèle allemand, Caritas Pologne est entre les deux avec ses 40 000 bénévoles et ses 4000 salariés, même chiffres environ pour l’Autriche. Caritas tchèque travaille avec le Secours catholique pour développer un réseau d’équipes de bénévoles dans les paroisses.


3. Un exemple particulier : réfugiés, demandeurs d’asile, migrants

Un très grand nombre de Caritas sont engagées dans des actions concernant ces populations :

- Déplacés du Soudan ou du Congo, du Guatemala ou de Colombie, du Sri Lanka etc.
- Réfugiés afghans au Pakistan, Irakiens en Jordanie, Kurdes en Italie
- Demandeurs d’asile dans de nombreux pays d’Europe
- Migrants le plus souvent économiques aux Etats Unis, en France, en Allemagne etc.
- En fait ces populations étrangères sont celles pour lesquelles on va retrouver des programmes Caritas presque partout, en Europe partout ; C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les migrations sont l’un des principaux thèmes de travail de Caritas Europa.
Le phénomène est mondial, pas uniquement européen ou français :

- Populations de réfugiés, 12 millions :

2 600 000 Afghans en Iran, Pakistan, Inde
570 000 Irakiens en Iran, Arabie saoudite, Syrie
525 000 Burundais en Tanzanie, République démocratique du Congo
et suivent, les gens de Sierra Leone, Soudan, Somalie, Bosnie, Angola, Erythrée, Croatie

- Demandeurs d’asile, 1 200 000 personnes :

en Allemagne, 95 000
en Italie, 33 000
au Royaume-Uni, 71 000
aux Etats Unis, 32 000
en Suisse, 46 000
en France, 31 000
aux Pays Bas, 39 000
au Canada, 29 000
en Belgique, 36 000
en Autriche, 20 000

En 2001 la France est au dixième rang pour l’accueil des demandeurs d’asile :
nombre de demandes d’asile pour 1000 habitants :

Autriche : 3,7
Royaume-Uni : 1,6
Suisse : 2,9
Allemagne : 1,1
Irlande : 2,7
France : 0,6
Suède : 2,7
Grèce : 0,5
Belgique : 2,4
Finlande : 0,3
Danemark : 2,3
Italie : 0,2
Pays-Bas : 2,1
Espagne : 0,2
Luxembourg : 1,6
Portugal : 0,00

Les deux grandes causes des migrations, hors le désir fréquent des populations de bouger, sont :

- La pauvreté sous toutes ses formes : par exemple famines en Afrique, misère urbaine en Amérique latine, pauvreté en Arménie qui fait qu’il y a un million d’Arméniens dans la région de Moscou, pauvreté dans des pays d’Europe de l’Est qui nourrit les réseaux de trafic des femmes et de prostitution

- Les guerres et les guerres civiles, Irak et Kurdistan, Afghanistan, Balkans etc.

Le lien est évident entre d’une part prévention de la pauvreté et promotion de la paix par des soutiens à des programmes à l’étranger et d’autre part stabilisation des populations.

Il faut être cohérent : on ne peut pas par exemple en même temps refuser des délocalisations d’entreprises et refuser d’accueillir des étrangers.

Il faut agir sur les causes, comme le dit Mgr Renato Martino, Observateur permanent du Saint Siège aux Nations unis, le 20 novembre 2001 : " Il doit être très clair que la reconnaissance de la dignité humaine et la protection des droits de l’homme signifie que l’aide à court terme en faveur des réfugiés et aux personnes déplacées dans leur Pays est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. Construire des sociétés plus justes et pacifiques, dont l’absence est la cause principale des déplacements de population, doit devenir l’objectif à atteindre ».

Les situations sont différentes. En France les évêques – Comité des migrations, Commission sociale, Justice et Paix – avec le Secours catholique viennent de publier un document sur l‘asile. Cinq grands axes sont développés :

- diminuer les délais des procédures et les simplifier

- augmenter les moyens administratifs

- admettre le droit au travail pour les demandeurs d’asile si les délais de réponse à la demande sont supérieurs à six mois.

- améliorer les procédures de l’asile territorial qui s’applique lorsque la persécution ne provient pas d’un Etat

- améliorer les droits sociaux et l’hébergement

- améliorer la protection des mineurs

Le droit au travail est un bon exemple des différentes positions en Europe. Certains pays l’acceptent, d’autres le refusent pour protéger leurs marchés. On peut estimer que les demandeurs d’asile doivent y avoir accès le plus vite possible : si les procédures durent, on ne peut leur refuser de travailler – mais le mieux serait d’accélérer le traitement des dossiers-.

Le travail évite l’exclusion. Au contraire il favorise l’intégration et une réinsertion plus aisée en cas de retour au pays.

Au niveau européen Caritas Europa est active en particulier au sujet des conditions minimum d’accueil des demandeurs d’asile, de la réunification des familles et du trafic. Avec six autres organisations chrétiennes dont la Commission des épiscopats de la Communauté européenne elle a publié il y a un an un texte sur l’accueil ; on peut y lire la jolie phrase suivante : « Une personne qui exerce son droit de rechercher de meilleures conditions de vie ne devrait pas être considérée comme un criminel pour ce seul mot. »

Jean Paul II, Journée mondiale du migrant, 1998 :

« Pour le chrétien, l'accueil et la solidarité envers l'étranger ne constituent pas seulement un devoir humain d'hospitalité, mais une exigence précise qui dérive de la fidélité même à l'enseignement du Christ. Pour le croyant, s'occuper des migrants signifie s'engager pour assurer à ses frères et sœurs venus de loin une place au sein de chaque communauté

(…) Le fait que l'action apostolique en faveur des migrants se déroule parfois dans la méfiance, voire même l'hostilité, ne peut jamais devenir une raison pour renoncer à l'engagement de la solidarité et de la promotion humaine. L'affirmation exigeante de Jésus : "J'étais un étranger et vous m'avez accueilli" (Mt 25, 35) conserve toute sa vigueur, quelle que soit la circonstance, et interpelle les consciences de ceux qui entendent suivre ses traces. Pour le croyant, accueillir l'autre n'est pas seulement un geste de philanthropie ou une attention naturelle à l'égard de son semblable. Cela représente beaucoup plus, car en chaque être humain il sait qu'il rencontre le Christ, qui attend d'être aimé et servi dans ses frères, en particulier chez les plus pauvres et les plus indigents. »