Luxembourg
JOURNEE SOCIALE
16 mars 2002, Ettelbruck.
L’engagement chrétien dans le domaine socio-caritatif

Comment cultiver ses motivations chrétiennes dans l'action sociale? Intervention de Denis Viénot, Président de Caritas Europa

Pour cultiver il faut de la terre et du temps.
Cultiver ses motivations se fait dans la durée et sur quelque chose,
- sur ses motivations de départ, générosité, émotion face à la pauvreté qui ont pu pousser certains à s'engager dans le social,
- sur des lectures, des études, des recherches personnelles gratuites ou universitaires
- sur des découvertes ou des chocs lors de rencontres, de visites, de voyages. Il y a parfois des chocs curieux: mon premier vrai contact avec le tiers monde, c'était en Inde, et lors de la visite en touriste des quais de Bénarès, avec ces foules, ces bûchers de crémation j'ai ressenti un choc face à cette immense pauvreté; mais quelques années plus tard, j'ai réalisé que ce que j'avais vu et qui m'avait secoué, c'était en fait de la richesse, car les pauvres n'ont pas les moyens de faire brûler leurs morts sur les quais de Bénarès!

Et pour cultiver ses motivations il faut du temps. A chacun son rythme L'Eglise propose,

- des homélies régulières, des cycles de conférences,
- le sacrement de pénitence ou l'eucharistie,
- des retraites, récollections ou pèlerinages, du catéchisme pour jeunes et adultes.
- Elle propose aussi la participation à des mouvements de réflexion, à des mouvements d'adultes etc.

Vous connaissez cela comme moi. Vous répondez ou non à ces offres. Parfois vous sentez que vos préoccupations face à la pauvreté, la souffrance, ne sont pas vraiment prises en compte là où vous essayez de les exprimer et de les partager.

Alors il faudra faire comme Abraham, il faudra partir, quitter ses habitudes, chercher. Je ne propose pas forcément d'aller se perdre dans le sable, mais de regarder différemment, de faire fonctionner votre créativité, votre imagination.

Voici quelques exemples, non pas pour que vous les suiviez mais pour stimuler votre imagination. Après ces quelques idées, nous regarderons une vidéo qui elle aussi donne des pistes, casse quelques barrières de frontières.

Donc d'abord, quelques exemples qui sortent des sentiers battus, tant en ce qui concernent directement les motivations que parce qu'ils montrent des modes d'action surprenant qui peuvent nous aider à réfléchir ou agir autrement et donc à être motivé autrement:

- Deux délégations du Secours catholique il y a quelques années, pour le financement de pèlerinages à Lourdes. Car les SC y organise depuis très longtemps la participation des personnes en difficulté aux pèlerinages diocésains. Réunions mensuelles à partir de septembre pour ceux qui vont y aller l'été suivant et chacun verse une petite somme pour financer en dix mois le prix du voyage ou une "aide" de 150 euros. Quelle est la solution la plus pédagogique, la plus orientée vers le développement et l'autonomie de la personne.

- De plus en plus le lien se fait entre développement et droits de l'homme. Cf. au Pakistan des groupes de femmes à orientation communautaire, épargne, prêts économiques ( petite mercerie, vache), activités locales comme éclairage de la rue, mais aussi maintenant campagne de Caritas avec tous ces groupes pour la participation aux élections d'octobre prochain.

Cela fait penser à campagne d'advocacy du Secours catholique il y a quelques années pour l'exercice de leur droit de vote par les SDF. Il fallut commencer par l'obtention de la carte d'identité puis ensuite la demande de carte d'électeur. Comment nos actions développent-t-elles la citoyenneté des personnes en difficulté, citoyenneté qui est une des voies d'accès à la vie sociale normale, à une certaine intégration sociale.

On peut aussi noter à propos de cet exemple du Pakistan que les Caritas d'Europe vont souvent soutenir des projets ou programmes de Caritas du Tiers monde. Et ces programmes à l'étranger sont presque toujours beaucoup plus promotionnels que les activités qui sont réalisées en Europe. Voila qui peut nous faire réfléchir et nos motiver pour évoluer.


- Depuis une trentaine d'années des scientifiques réalisent une enquête régulière sur les valeurs en Europe. Alors que certains catholiques se lamentent sur la disparition de l'Eglise ancienne et de la foi de leur enfance perdue, les Européens nous disent clairement qu'ils attendent l'engagement de l'Eglise et de ses membres dans le social et que tant les chrétiens dans le social que les institutions sociales chrétiennes sont l'image idéale de la relation évangélique avec les pauvres et les exclus. Notre responsabilité évangélisatrice devient donc différente. Voyez la foi et les œuvres de l'épître de saint Jacques !

- La parole des pauvres, des personnes en difficulté est certainement notre première source de motivation, de réflexion pour faire évoluer nos programmes et activités.

Lors du cinquantième anniversaire du Secours catholique nous avons d'abord, deux ans avant la célébration, sollicité cette parole partout en France: dans les accueils, les centres sociaux, les activités de soutien scolaire ou de vacances avec les enfants. Je me rappelle une réunion tendue avec des bénévoles d'une ville du sud est de la France qui se plaignaient des comportements agressifs dans une permanence. Je leur demandais alors ce que disaient les accueillis des conditions d'accueil, de l'organisation du local et des horaires, des délais d'attente. Surprise! Jamais on ne les avait écoutés comme des clients. Il parait que depuis les choses ont changé.

Cette volonté de dialogue s'est concrétisé dans la nouvelle ambition du Secours catholique proclamée alors: « S'associer avec les pauvres pour construire une société juste et fraternelle », avec trois axes,

- « Promouvoir, dans un réseau ouvert à tous, la place et la parole des pauvres, par des actes créateurs de dignité, de solidarité et de partage »

- « Agir pour la transformation sociale et la justice à partir de l’échange avec les pauvres, par la réalisation de projets et l’action institutionnelle, au plan local, national, et, au sein du réseau Caritas, au plan international »

- « Vivre, par l’action et la parole des pauvres, la mission reçue en Eglise pour rendre Dieu présent dans la vie des hommes et témoigner de l’ Evangile »

Lors de la célébration elle-même, il y avait l'après midi sept spectacles régionaux de théâtre préparé et joué par des personnes en difficulté, des bénévoles et des salariés du Secours catholique, chacun durant de cinq à six minutes.

Un jour, peu de temps avant, je suis invité un dimanche à Saint Etienne à côté de Lyon, pour participer à une journée de répétition de la région Rhône Alpes. J'entre dans un grand gymnase ou environ 70 personnes sont ai travail par petit groupe; je reconnais quelques salariés et quelques bénévoles, puis je les laisse travailler, je me mets dans un coin pour ne pas déranger. Je me dis que les 60 personnes que je ne connais pas, ce sont des personnes en difficulté et des bénévoles. Je m'amuse à me tendre à moi-même un piège: qui sont les personnes en difficulté et qui sont les bénévoles? Facilement je repère
-quelques femmes et hommes aux physiques marqués par la pauvreté et une vie trop difficile,
-puis je repère quelques bénévoles typés par un collier de perles ou une tenue chic de week end
- j'hésite sur cinq ou six enfants que je finis par classer dans une de mes deux rubriques.
Bon, sur 60, j'ai réussi à identifier sur le principe "l'habit et le physique fait le moine" une petite moitié. Les autres je ne sais vraiment pas. Je n'ai jamais oublié ce petit jeu qui m’a fait souvent réfléchir.

La vidéo que nous allons voir maintenant met en avant cette parole des pauvres qui les met en marche et qui nous motive. Laissons leur donc la parole. Moi j'ai fini. Je vous remercie.