L’Europe sociale avance quand même
La Croix 4 janvier 2001




L'Europe sociale avance à petits pas, mais elle avance. Certes les Etats gardent actuellement leurs compétences propres dans ce domaine. Depuis des années ils harmonisent cependant beaucoup de leurs politiques et de leurs pratiques. Le Comité d'entreprise européen en est un bon exemple qui a fait l'actualité il y a quelques années quand Renault fermait son usine belge de Vilvorde à côté de Bruxelles.

Le récent Sommet de Nice, tant décrié, a permis un pas supplémentaire. L'Agenda social européen y a été approuvé. Il définit des priorités d'actions concrètes pour les cinq prochaines années, en matière d'emploi, de sécurité du travail, de lutte contre l'exclusion et la discrimination, de protection sociale, d'égalité entre les hommes et les femmes, de soutien aux politiques sociales des douze Etats candidats à l'Union européenne, de concertation sur les sujets de pauvreté internationale tant au sein des Nations Unies que dans le cadre de la politique européenne d'aide au développement.

Dans un esprit de coordination les Etats définiront des lignes directrices et des objectifs; ils favoriseront les apports des partenaires sociaux et des ONG. La Commission européenne qui a un rôle de stimulation et de soutien devra élaborer un tableau de bord des avancées.

A Nice les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont pris des engagements concrets en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Chaque Etat présentera aux autres dès 2001 son premier plan national d'action couvrant une période de deux ans et comprenant des indicateurs et des modalités de suivi permettant d'apprécier les progressions. En effet," le retour à une croissance économique soutenue et la perspective prochaine du plein emploi ne signifient pas que spontanément les situations de pauvreté et d'exclusion régressent au sein de l'Union européenne. Ils rendent en revanche encore plus inacceptable leur persistance."

Les plans d'action mettront l'accent sur les garanties minimales de ressources - revenus minimum et prestations sociales -, sur la ségrégation urbaine, sur la lutte contre les discriminations fondées sur le sexe, la race, l'origine ethnique, la religion, le handicap, l'orientation sexuelle ou l'âge, sur l'intégration des étrangers. Les échanges d'informations sur les bonnes pratiques et les succès de certains dynamiseront l'ensemble européen.

Le lien avec la question de l'élargissement est important dans la mesure où les futurs adhérents rentreront un jour dans cette "mécanique". Or ils sont actuellement confrontés à des difficultés spécifiques en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale comme la traite des femmes et des enfants ou la question agricole pour laquelle l'expérience de l'Allemagne de l'Est nourrit les inquiétudes car 50% du cheptel et 75% des emplois agricoles y ont disparu depuis 1989.

Il est satisfaisant pour des organisations comme les Caritas d'Europe de constater que l'Agenda social veut promouvoir la collaboration avec l'ensemble des acteurs locaux, notamment les ONG et les services sociaux.

Concrètement chaque Etat devra négocier et dialoguer avec eux dans le cadre de l'élaboration de son plan national d'action, tout comme le fera de son côté la Commission à Bruxelles. Les ONG et les associations caritatives et sociales qui usent trop souvent d'un regard focalisé sur le local ou le national, devront peu à peu acquérir plus de culture sociale européenne pour, ensemble, coordonner et pousser avec efficacité leurs idées. Il leur faut tenir compte de contextes différents: par exemple, à égalité de situation, le montant du RMI est le même pour tous en France alors qu'en Espagne il existe vingt et un montants différents, un par "autonomie" (région)!

Plus ou moins gestionnaires de services et d'institutions sociales selon les pays, plus ou moins lieux d'action d'un bénévolat engagé, ces acteurs sociaux essentiels sont à la fois capables de témoigner des difficultés des usagers ou de proclamer les souffrances des victimes, avec ces dernières: usagers de services de soins hospitaliers ou à domicile; victimes, telles ces cohortes européennes de femmes seules avec enfants, tels ces millions de travailleurs pauvres ou de chômeurs de longue durée, tels ces étrangers sans droit.

A la volonté d'harmonie progressive des Etats, les associations sociales doivent aujourd'hui répondre par des stratégies concertées tenant compte des réalités de politiques sociales souvent différentes. C'est ainsi que l'Europe sociale et celle de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion avanceront à un rythme accéléré grâce aux engagements conjoints de tous.