Il faut suspendre immédiatement l’embargo !
PAR JOËL THORAVAL ET DENIS VIÉNOT


Il faut suspendre immédiatement les sanctions internationales qui frappent la population irakienne depuis 1990 : les suspendre pour alléger tout de suite les souffrances et pour donner le temps à la négociation internationale de s'engager pour conclure un accord fondé sur la dignité de la personne humaine. Cette négociation commencera le 26 février entre le secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annfln, et le gouvernement irakien.

Demander la suspension est réaliste : jamais les autorités américaines n'accepteraient une annulation rapide des sanctions qu'elles poussent comme une arme politique contre le régime. Le pétrole est une des clés de lecture de la situation irakienne : ce pays en détient les secondes réserves mondiales. L'équilibre du Moyen-Orient entre aussi enjeu, tout comme les menaces récentes de son président tendant à faire craindre des tirs de missiles sur Israël alors que les inspecteurs de l'ONU affirment que l'Irak ne dispose plus d'engins de ce genre capables de voler plus de 150 kilomètres !

Imposées par le Conseil de sécurité des Nations unies dès l'invasion du Koweït, les sanctions se poursuivent depuis des années'en dépit des rapports de responsables des organismes chargés de désarmer l'Irak. Ceux-ci déclarent que l'Irak ne dispose plus de moyens de destruction de masse ; certains qui expriment cependant des doutes sans en faire la démonstration disent aussi que les sanctions sont « contre-productives par rapport au désarmement (...) et que les dommages causés au peuple irakien doivent s'arrêter» (Richard Butler, chef de l'Unscom, l'organisme de vérification des armes, BBC, 4 juin 2000).

Par un mécanisme « Pétrole contre nourriture » mis en place il y a quelques années, l'Irak est autorisé à vendre du pétrole et à acheter, sous contrôle des Nations unies, de la nourriture, des médicaments, des pièces détachées pour ses industries ou moyens de transport, etc. Mais les contrôles sont si stricts que nombreux sont ceux qui pensent que les Etats-Unis et le Royaume-Uni - qui par ailleurs continuent à bombarder l'Irak chaque jour, sans mandat aucun des Nations unies - conduisent par leur veto au sein du comité des sanctions une politique systématique d'appauvrissement de l'Irak.

La théorie du double usage des produits importés - le même objet ou produit peut soigner ou servir pour la guerre, le chlore pour l'eau potable, le cobalt pour un appareil de radiothérapie, etc. - a pour effet d'empêcher l'Irak d'acheter des biens de première nécessité.

Les accords d'importation « en attente » atteignent ainsi plusieurs milliards de dollars. Les avoirs irakiens provenant de la vente du pétrole sont bloqués à la Banque nationale de Paris-Paribas, à New York, et s'y élèvent, selon le ministre de la ' Santé irakien, le Dr Mubarak, à des sommes incroyables du fait des pratiques du comité des sanctions.

La population irakienne est à bout de souffle même si l'Unicef et le Programme alimentaire mondial (PAM) relèvent le bon fonctionnement global des distributions alimentaires générales organisées par le gouvernement de Bagdad.

Le Secours catholique/Caritas France et de nombreuses Cari-tas européennes soutiennent des programmes humanitaires en Irak depuis une dizaine d'années. Leur partenaire local, la Confrérie de la charité, fondée en 1992, est engagé dans tout le pays, au sud, au centre et au nord dans le Kurdistan. Ainsi, par exemple, de 1995 à 2000, 250 000 personnes ont-elles bénéficié régulièrement de ses aides alimentaires ; un nouveau programme concerne aujourd'hui 4 000 enfants malnutris de moins de cinq ans et des mères enceintes ou allaitant ; une installation de traitement des eaux potables est en cours de réfection à Nadjaf, ville sainte chiite de 500 000 habitants et lieu dans le sud de pèlerinages musulmans massifs ; une autre est en travaux près de Mossoul, desservant 50 000 personnes ; dans le Kurdistan, des fermes sont reconstruites, comme trois écoles et trois églises.

De nombreux organismes des Nations unies multiplient les constats alarmistes. L'Unicef démontre que la mortalité infantile a plus que doublé ces dix dernières années. Le chômage atteint 53 %. Les familles vendent leurs biens, meubles, bijoux ou livres pour survivre. Un ancien coordinateur humanitaire des Nations unies en Irak, M. Hans von démissionné de ses fonctions : « Nous sommes en train de détruire un pays tout entier. C'est aussi simple et terrifiant que cela. »

Face à ces drames, et pour compléter l'aide matérielle indispensable, le Secours catholique/Caritas France a envoyé sur place des missions ces dernières années. Une délégation de Caritas Europa - regroupement des 44 pays de la région Europe - en revient avec quatre conclusions :

1. Les sanctions infligent des souffrances immenses à la population irakienne et détruisent le tissu social du pays. Les domaines les plus touchés sont la santé, l'alimentation, la distribution et la qualité de l'eau potable. Les enfants et les personnes âgées ou marginalisées sont les premières victimes.

2. L'Irak, jadis un pays riche, a été sciemment « développé ». Une crise humanitaire y a été créée.

3. Les sanctions sont en contravention avec la charte des Nations unies et de multiples conventions internationales, au moins dans l'esprit, car il ne suffit pas qu'elles aient été décidées et poursuivies par le Conseil de sécurité pour qu'elles soient justes. Les sanctions, pendant plus de dix ans, ont porté atteinte à des millions de civils !

4. Face à la crise humanitaire, les sanctions ne sont pas justifiables. Et la délégation de Caritas Europa plaide pour la suspension immédiate de cet embargo.

Certains pensent que le régime irakien est le premier coupable et qu'il faut donc maintenir les sanctions pour le punir. Outre le fait bien connu que les sanctions ont presque toujours été inefficaces dans l'histoire des Nations unies, il ne faut pas ici tout confondre ni se laisser abuser par un raisonnement pervers. Dennis Halliday, assistant du secrétaire général des Nations unies et lui aussi ancien coordinateur humanitaire des Nations unies en Irak - il a également démissionné -, déclarait le 15 février 1999 devant les étudiants de l'université de Washington, à Seattle : « Le fait que nous ne puissions pas communiquer avec lui (le président Sa-dam Hussein), et que le dialogue avec lui ne progresse pas, ne nous permet pas, ne nous donne pas le pouvoir de tuer les enfants d'Irak. C'est aussi simple que cela. Et comme vous, vous et moi ensemble nous ne voulons pas être tenus responsables de-à défaut d'un mot plus adapté -ce qui est aujourd'hui un génocide en Irak. »

La France s'honore d'une vision humaine de la situation, bien résumée par son ministre des Affaires étrangères. Hubert (les sanctions) sont cruelles car elles punissent exclusivement le peuple irakien et les plus faibles. Elles sont inefficaces parce qu'elles ne touchent pas le régime, qui n 'est pas encouragé à coopérer, et elles sont dangereuses car elles (...) accentuent la désintégration de la société » (Reuter, 2 août 2000).

Le pape Jean-Paul II déclarait, lui, en 1998, devant le corps diplomatique : « J'en appelle aux consciences de ceux qui, en Irak et ailleurs, placent les considérations politiques, économiques ou stratégiques avant le bien fondamental de la population, et je leur demande de faire preuve de compassion. Les faibles et les innocents ne doivent pas payer pour des erreurs dont ils ne sont pas responsables. »

La négociation à venir, les futurs débats au sein du Conseil de sécurité, la présidence de l'Union européenne par la Suède, pays ouvert à ce type de médiation, voilà autant d'occasions à saisir pour construire une position européenne en profitant de la présence parmi les membres du Conseil de sécurité, outre les pays permanents européens, France, Royaume-Uni et Russie, de l'Irlande, de la Norvège et de l'Ukraine.

Dire cela pour le Secours catholique/Caritas France et Caritas Europa, c'est être cohérent avec un soutien de longue haleine au peuple irakien.



HISTOIRE Publication du premier volet d'une nouvelle interprétation