Caritas Europa
Audition publique.
L'Irak et la communauté internationale

"Un peuple sacrifié". Les sanctions contre l'Irak.

PARLEMENT EUROPEEN.
Commission des affaires étrangères, des droits de l'homme, de la sécurité commune et de la politique de défense.

lundi 27 février 2001.
Présentation de Denis Viénot, Président de Caritas Europa.


Aujourd'hui est un jour d'espoir car, comme le savez, des négociations internationales s'engagent entre le Secrétaire Générale des Nations Unies et l'Irak.
Une délégation de Caritas Europa a été invite a visiter ce pays par la Confrérie de la Charité, partenaire Caritas en Irak. La force de nos constants vient du travail réaliser sur le terrain par cet organisme irakien. Notre collaboration délimite aussi nos analyses.

La recommandation de Caritas Europa suite à cette visite est qu'il faut suspendre immédiatement les sanctions internationales qui frappent la population irakienne depuis 1990. Telle est la recommandation développée dans un récent rapport de Caritas Europa que les services de votre Commission ont eu l'amabilité de vous transmettre de notre part. Juste un mot pour préciser que Caritas Europa regroupe des organisations de 44 pays européens actives dans les domaines du social et de l'humanitaire, dans leurs propres pays et à l'étranger. Elles s'appellent le plus souvent "Caritas" avec quelques exceptions, Secours catholique en France, Cafod en Angleterre et au Pays de Galles, SCIAF en Ecosse, Trocaire en Irlande ou Cordaid aux Pays Bas. Beaucoup d'entre elles soutiennent depuis des années des programmes en Irak, via leur partenaire irakien, la Confrérie de la Charité. Ces actions visenl à soutenir dans toutes les régions du pays des personnes victimes des sanctions internationales, tel un important programme de nourriture d'enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition grave.
Donc suspendre immédiatement les sanctions pour alléger tout de suite ces souffrances Suspendre pour donner le temps à la négociation internationale de s'engager et de se conclure par un accord fondé sur la dignité de la personne humaine et prenant en compte les préoccupation légitimes de la communauté internationale.

Demander la suspension est réaliste: jamais les autorités américaines n'accepteraient une annulation rapide des sanctions qu'elles poussent comme une arme politique pour isolé k régime.
Le pétrole est une des clés de lecture de la situation irakienne : ce pays en détient les secondes réserves mondiales. Il est étrange que cet aspect de la question irakienne soit autant sous valorisé dans les déclarations des responsables politiques et les analyses. Mais l'équilibre du Moyen Orient entre aussi en jeu, tout comme les menaces récentes du Président Irakien tendant à faire craindre des tirs de missiles sur Israël alors que les anciens inspecteurs de l'ONU affirment que l'Irak ne dispose plus actuellement d'engins de ce genre capables de voler plus de 150km!

Imposées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies dès l'invasion du Koweït, les sanctions se poursuivent depuis des années en dépit des rapports de responsables des organismes chargés de désarmer l'Irak. Ceux -ci déclarent qu'après leurs liquidations d'armes et de produits toxiques et leurs contrôles, l'Irak ne dispose plus de moyens de destruction de masse; certains qui expriment cependant des doutes sans en faire la démonstration disent aussi que les sanctions sont " contre productives par rapport au désarmement (...) et que les dommages causés au peuple iraquien doivent s'arrêter " (Richard Butler, chef de Unscom, l'organisme de vérification des armes, BBC, 4 juin 2000). Des informations inquiétantes sont diffuser actuellement par les services secrets allemands.
Le mécanisme "Pétrole contre nourriture" fonctionne avec des contrôles si stricts que nombreux sont ceux qui pensent que les Etats Unis et le Royaume Uni - qui par ailleurs continuent à surveiller et à bombarder l'Irak régulièrement, sans mandat aucun des Nations Unies- conduisent par leurs veto au sein du Comité des sanctions une politique systématique d'appauvrissement de l'Irak. La théorie du double usage des produits importés - le même objel ou produit peut soigner ou servir pour la guerre, le chlore pour l'eau potable, le cobalt pour un appareil de radiothérapie etc- a pour effet d'empêcher l'Irak d'acheter des biens de première nécessité.
Les accords d'importation "en attente" atteignent ainsi plus de trois milliards de dollars. Les avoirs irakiens provenant de la vente du pétrole sont bloqués dans un compte séquestre à la Banque Nationale de Paris - Paribas, New York et s'y élèvent donc selon le Ministre de la Santé irakien, le Dr Umaid Mubarak, à des sommes astronomiques du fait des pratiques du Comité des sanctions. Lorsque nous avons rencontré récemment Mr. Lamy, nous lui avons suggéré de faire procéder à une évaluation des pratiques de ce Comité, puisqu'il s'agit bien d'opérations commerciales.
Selon les chiffres au 31 décembre dernier du Bureau des Nations unies pour le programme irakien, les contrats en attente les plus volumineux concernent, dans l'ordre, l'électricité, l'agriculture, les télécommunications et le transport, les pièces détachées pour le pétrole, le transport de la nourriture, la santé. Il y aurait ainsi 222 millions de dollars de contrats classifiés "santé" en attente! Et contrairement aux décisions prises en 1999 (résolution 1284), l'Irak n'a toujours pas pu obtenir d'argent liquide, mais une délégation des Nations Unies va engager des discussions à ce propos le 12 mars à Bagdad.
On peut ajuste titre critiquer certaines pratiques du Gouvernement irakien, comme vient de le faire le Secrétaire Général des Nations Unies qui lui demande des clarifications sur les ressources très limitées consacrées aux soins de santé et à la nutrition des enfants. On peul aussi s'étonner avec M. Koffi Annan dans son récent rapport que 85% environ des contrats en attente aient un caractère strictement humanitaire.

La délégation de Caritas Europa, grâce a des visites avec les travailleurs sociaux de la Confrérie de la Charité pu constater de visu de nombreux problèmes, par exemple dans le domaine médical. A Mossoul, dans un hôpital modeste, les médecins disent combien il es1 difficile de se retrouver dans la situation de simples surveillants face à tous ces enfants, mères et pères. C'est difficile pour un médecin de devoir mettre deux, voire trois enfants prématurés dans un seul incubateur. Il est dur aussi pour les médecins et les soignants de diagnostiquei des insuffisances rénales chez de plus en plus d'enfants sans pouvoir intervenir. Dans le centre de radiothérapie et de médecine nucléaire à Bagdad, la situation est aussi triste. Un plateau médical avec des appareils de pointe des années 80: la bombe au cobalt, un appareil de radiothérapie pour les cancers, ne fonctionne pas à cause de la non-disponibilité de quelques grammes de cobalt, par peur que ce produit radioactif dit à double usage puisse être utilisé par les forces armées. Trois accélérateurs linéaires à usage médical du même genre onl été cannibalisés pour en faire fonctionner un autre, parce que à une première époque les pièces de rechange n'étaient pas fournies à cause de l'embargo, et par la suite elles ne sont plus disponibles sur le marché.

La population irakienne est à bout de souffle même si l'UNICEF et le Programme alimentaire mondial (PAM) relèvent le bon fonctionnement global des distributions alimentaires générales organisées par le Gouvernement de Bagdad. De nombreux organismes des Nations Unies multiplient les constats alarmistes. L'UNICEF démontre que la mortalité infantile a plus que doublé ces dix dernières années. Le chômage atteint 53%. Les familles vendent leurs biens, meubles, bijoux, livres etc. pour survivre. La délégation de Caritas Europa tire quatre conclusions de la situation actuelle:

1. Les sanctions infligent des souffrances immenses à la population irakienne et détruisent le tissu social du pays. Les domaines les plus touchés sont la santé, l'alimentation, la distribution et la qualité de l'eau potable. Les enfants et les personnes âgées ou marginalisées sont les crémières victimes. L'UNICEF carie de la mort de 500 000 enfants!
2. L'Irak, jadis un pays riche, a été et est sciemment "dé-développé". Une crise humanitaire y a été créée.
3. Les sanctions sont en contravention avec la Charte des Nations Unies et de multiples conventions internationales, au moins dans l'esprit: pendant plus de dix ans elles ont porté atteinte à des millions de civils!
4. Face à la crise humanitaire, les sanctions ne sont pas justifiables.
En résume sur le plan humanitaire les sanctions sont catastrophiques, sur le plan politique elles sont inefficaces, sur le plan légal elles sont contestables, sur le plan moral elles sont intolérables.

Certains pensent que le régime irakien est le premier coupable et qu'il faut donc maintenir les sanctions pour le punir. Outre le fait bien connu que les sanctions ont presque toujours été inefficaces dans l'histoire des Nations Unies, il ne faut pas ici tout confondre ni se laisser abuser par un raisonnement pervers. Dennis Halliday, Assistant du Secrétaire Général des Nations Unies et lui aussi ancien Coordinateur humanitaire des Nations unies en Irak - il a également démissionné - déclarait le 15 février 1999 devant les étudiants de l'Université de Washington, à Seattle: " Le fait que nous ne puissions pas communiquer avec lui (le Président Sadam Hussein), et que le dialogue avec lui ne progresse pas, ne nous permet pas, ne nous donne pas le pouvoir de tuer les enfants d'Irak. C'est aussi simple que cela. Et comme vous, vous et moi ensemble, nous ne voulons pas être tenus responsables de - à défaut d'un mot plus adapté- ce qui est aujourd'hui un génocide en Irak. "
Depuis deux ans la situation ne fait qu'empirer ; les rapports de l'UNICEF sont les premiers à en témoigner.

Votre Commission peut jouer un rôle important et stimuler la réflexion des Etats européens pour que face aux souffrances du peuple irakien les Gouvernements européens et l'Union européenne puissent contribuer à construire une politique juste. Les sanctions doivent être suspendues dans l'attente de leur levée totale. Dire cela poui Caritas Europa, c'est être cohérent avec un soutien de longue haleine au peuple irakien, c'est être cohérent avec l'esprit de la valeur centrale de notre Charte européenne des droits fondamentaux, le respect de la personne humaine.

Denis Viénot, Président, Caritas Europa / 27.02.2001.