CARITAS EUROPA
Paris, le 21 février 2000

Union des Conférences européennes des Supérieurs/es majeurs/es
Vaalbeck, 26 févier 2000

Intervention de Denis Viénot
Président de Caritas Europa.
LES DEFIS SOCIAUX EUROPÉENS

En introduction à ce temps sur les défis sociaux européens, je voudrais d’abord mentionner trois citations symboliques de ce thème. D’abord les « Lineamenta » préparatoires du dernier Synode des Evêques d’Europe : « Un devoir propre à l’Europe est de rechercher le sens spirituel de son processus social et politique. » Ensuite, le Message final de ce Synode : « L’Eglise se concentre de plus en plus sur sa mission spirituelle et (…) elle s’emploie à vivre le primat de l’évangélisation aussi dans ses rapports avec la réalité sociale et politique. » Enfin le Tchèque Vaclav Havel qui écrivait le 29 avril dernier à propos de la crise du Kosovo : « Lorsqu’on maltraite une personne, quelle qu’elle soit, c’est comme si on nous maltraitait nous-même. C’est un principe de base relevant d’une solidarité humaine qui dépasse les frontières des Etats et des régions. »

Ces trois citations mettent en avant les principes et les valeurs qui animent la vision de l’engagement social au delà des frontières nationales européennes: la dignité de la personne, le lien entre la spiritualité et l’action, quelle soit concrète et immédiate, quelle soit de plus long terme visant à la transformation des structures injustes de nos sociétés.

En complément, voici l’histoire de trois rencontres :

- En juillet dernier je suis à l’ouest du Kosovo ; la paroisse est la seule à avoir accepté de prendre en charge un camp de 1500 tziganes ; lors de la visite que nous rendons à ces gens nous découvrons par hasard sur un bébé en train de mourir dans les bras de sa jeune mère ; il n’y a pas de médecin. Personne ne peut rien faire. Nous rendons ensuite visite à la représentante de la Caritas hollandaise ; elle est médecin et a un adjoint, médecin kosovar albanais. Il était resté courageusement à l’hôpital pendant toute la crise, avec d’autres médecins et infirmières kosovars et serbes. Nous lui expliquons le drame encours et il nous répond: « Il n’est pas question que j’aille prendre soin de ce bébé. S’il mourrait devant moi avant même que j’ai commencé à l’ausculter, je serais accusé de sa mort : je suis albanais, il est gitan.» Mais il a fait le nécessaire pour qu’un médecin étranger aille voir ce bébé. Je ne connais pas la suite de l’histoire.

- Au Luxembourg, la Caritas a mis en place un atelier de travail pour personnes adultes en difficulté. Il s’agit d’une blanchisserie qui est essentiellement sous-traitante pour des maisons de retraite. Vingt personnes y travaillent, le plus souvent en contrepartie du revenu minimum officiel qu’elles perçoivent. Lorsque je visitais cette petite entreprise, j’ai appris dès mon arrivée qu’elle me serait présentée par l’un des travailleurs qui l’avait fermement exigé du personnel d’encadrement. C’était pour lui une question d’honneur. Je suis devenu grâce à lui en vingt minutes « spécialiste » d’un métier qui m’était jusqu’alors totalement inconnu !

- En République tchèque, près d’Olomouc, en décembre dernier, je visite avec le Directeur de la Caritas diocésaine une maison de retraite. Elle a été créée par l’équipe locale de bénévoles Caritas : sa responsable - dentiste de la petite ville et grande adepte de ski de fond - nous explique les différentes phases de la réalisation du projet, la création de deux maisons de ce type dans la région, pour faire face aux besoins criants.

Ces trois exemples sont en quelque sorte un résumé très rapide des questions sociales en Europe : des populations particulières fragiles, des minorités marginalisées, des politiques visant l’insertion. Ils sont aussi un résumé des questions de pauvreté. Comment lutter contre la pauvreté dans la grande Europe ?

Je tracerai d’abord un panorama de la pauvreté dans cette région. Face à cela l’acquis communautaire apporte des réponses ainsi que la vision et les pratiques des ONG. En conclusion je vous proposerai 10 défis.

I. Panorama de la pauvreté en Europe : disparités.

Il faut parler au minimum de trois cercles, l’Union européenne et ses 15 membres, les 13 pays candidats et les pays ni adhérents ni candidats.
Mais l’Islande, la Norvège et la Suisse sont à situer dans le premier groupe.
Parmi les pays candidats six sont déjà en négociation : Chypre, l’Estonie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovénie. Six autres engagent des négociations en mars 2000 : la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie la Roumanie, la Slovaquie et Malte. La Turquie est en attente.

Les pays non-adhérents comprennent principalement la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Bosnie, la Croatie, la Yougoslavie, l’Albanie, la Macédoine. Il y a des Caritas dans tous ces pays sauf en Azerbaïdjan.

Un phénomène est commun à l’ensemble des pays européens : la mondialisation creuse des inégalités au sein de chaque pays, en plus de l’augmentation des inégalités entre les pays. Je ne traiterai pas du tout de la question de la pauvreté dans les pays du Sud. A l’intérieur d’un pays les personnes qui sont formées et capables de s’adapter aux évolutions bénéficient de la compétition, les autres voient leurs revenus baisser relativement, surtout celles qui sont dans les services, le petit commerce ou l’éducation, comme le relève Pierre-Noël Giraud (« L’inégalité du monde », Gallimard, 1996)

Dans les anciens pays communistes une coupure s’est créée entre les zones économiques actives et les régions agricoles ou en voie de déclin industriel. Les investissements étrangers se concentrent chez les candidats à l’Union européenne, et principalement en Pologne, en Hongrie et en République tchèque. « Les autres pays se voient marginalisés, accumulant les obstacles sur la voie des privatisations, le désintérêt des investisseurs étrangers et la confusion des pouvoirs politiques et managériaux. » (« Une nouvelle Europe centrale », CFDT, La Découverte, 1998, p.141).

Là, le travail au noir a joué et joue un rôle d’amortisseur. Les Etats perdent des recettes fiscales mais acceptent qu’existent ainsi des revenus complémentaires, pour les retraites si faibles par exemple. Le rôle de la famille est fortement affirmé : elle demeure en Europe centrale et de l’Est un facteur de stabilité économique, sociale et politique : c’est le cas via l’économie familiale en milieu rural ou via le logement lorsque la politique de l’habitat est déficiente.

La Russie est l’un des cas extrêmes. Certes le pays n’est pas dans le chaos. La vie y est organisée, même si elle n’est pas bien organisée. Les populations vivent dans un univers relativement ordonné où l’autorité est présente et les principaux services assurés même médiocrement : les trains partent à l’heure, les écoles fonctionnent en dépit des difficultés, les retraites misérables sont à peu près payées. Les campagnes vivent en marge : la gestion villageoise continue d’être organisée autour de kolkhozes rebaptisés « entreprises. »

Interrogés sur l’importance qu’ils attachent aux principaux droits les Russes répondent : droit de vote à 8 %, droit à l’information à 9 %, droit à l’instruction gratuite à 68 %, droit à la Sécurité sociale et aide aux personnes âgées à 68 %, droit à un travail bien rémunéré à 53 %. 23 % seulement se disent attachés au droit de propriété. La méfiance envers les gouvernants est générale. Le flou règne.

Depuis un an les prix de tous les produits ont augmenté officiellement de 40 % et officieusement de 80 %. Depuis 1990 la Russie subit un processus de paupérisation. Le Produit intérieur brut a diminué de 40 % en 10 ans. L’inflation a été de 150 % en 1998 et la crise atteint surtout les plus pauvres.

Paradoxalement cette crise a eu un effet positif car elle a obligé au redémarrage de la production industrielle en rendant les importations trop chères.

Environ 580 000 enfants sont enregistrés comme « orphelins sociaux », c’est à dire que les parents sont vivants mais incapables de prendre soin d’eux.

Parmi le million de détenus russes, il y a 260.000 enfants et adolescents, 30.000 en détention préventive, 20.000 dans des colonies ; 200.000 sont placés temporairement dans des centres d’isolement et 10.000 dans des écoles spéciales.

De 1990 à 1997 le nombre des délits commis par des adolescents a augmenté de 25 %.
Près de 3 millions d’enfants seraient à la rue. Certains ont fuit les violences familiales. La campagne en faveur de la privatisation des logements a eu des conséquences sur les enfants : elle a incité certains parents à vendre leur appartement sans se soucier de l’endroit où vivraient leurs enfants.

Au-delà de la Russie, en Roumanie 34 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté contre 20 % il y a trois ans. Si en Russie, selon l’Unicef, 27 % des enfants vivent dans une famille pauvre, au Royaume Uni et en Italie c’est 21 %, en Irlande 15 %, en Pologne, 14 %, en Espagne 13 %, en Allemagne et en Hongrie 12 %, en France 10 %, aux Pays Bas 8 %, en Suisse 6 %, en Finlande 3 %. Mais il faut faire attention à ces chiffres car une famille pauvre finlandaise ne vit pas dans les mêmes conditions qu’une famille pauvre russe : ces chiffres comparent les riches et les pauvres dans un pays donné. Cependant ils montrent bien un aspect de la gravité de la situation.

Ainsi les pays de l’ancien bloc communiste ont vu leur production chuter de 40 % en 10 ans : en Moldavie, en Ukraine ou en Géorgie, c’est 75 %. 26 millions d’emplois ont été perdus, 13 % du niveau initial. Les salaires réels ont souvent diminué de 50 %. Conséquences directes : augmentation des suicides, multiplication de l’alcoolisme des jeunes par sept en Russie ; explosion de l’abandon des enfants : plus 45 % en Roumanie, Russie et Lettonie, et plus 75 % en Estonie.

La comparaison de quelques chiffres montre que les candidats à l’adhésion à l’Union européenne sont derrière les plus pauvres de l’Union au sein de laquelle les disparités sont fortes.

- PIB par personne en standard de pouvoir d’achat :
- Union européenne : 18 000
- Danemark 20 600
- Grèce 12 300
- Slovénie 13 000
- Lettonie 5 100

Une autre manière de présenter les choses est de dire qu’en pourcentage de la moyenne des 15, le PIB par personne est de 40 % en Pologne, de 23 % en Bulgarie mais de 60 % en République tchèque.

- Espérance de vie à la naissance des garçons :
- Union européenne 74 ans
- Hollande 75 ans
- Portugal 71 ans
- Slovénie 71 ans
- Roumanie 65 ans

- Espérance de vie à la naissance des filles :
- Union européenne 80 ans
- Espagne 82 ans
- Irlande 79 ans
- Rép. Tchèque 77 ans
- Bulgarie 74 ans

- Taux de chômage :
- Union européenne, 1998 11 %
- Luxembourg, 1998 3 %
- Espagne, 1998 19 %
- Bulgarie, 1997 15 %

Mais de nombreux pays candidats font mieux que l’Union :
République tchèque 4 %, Estonie 10 % ou sont au même niveau moyen, Pologne et Slovaquie 11 %

Au sein de l’Union elle-même les disparités sont fortes entre les systèmes de protection sociale. Les transferts sociaux y représentent 30 % des revenus des ménages.

Selon les estimations on y compte entre 50 et 70 millions de pauvres, 18 millions de chômeurs soit moins de 11 % de la population active, mais ce pourcentage est en train de diminuer. La moitié des chômeurs sont au chômage depuis plus de un an.

La protection sociale correspond en moyenne à 28 % du produit intérieur brut ; Irlande et Grèce 20 %, Pays Bas, Belgique, France 30 %, Suède 36 %.

La protection sociale se répartit globalement ainsi: vieillesse 42 %, santé 22 %, chômage 8 %.
Elle est globalement financée à 65 % par des cotisations des employeurs (40 %) et des bénéficiaires (25 %), et le reste par l’impôt. Deux grands systèmes cohabitent : financement majoritaire par les cotisations, au moins les 2/3, France, Allemagne, Autriche, Benelux ; financement majoritaire par l’impôt, Royaume Uni 60 %, Danemark 75 %.

Les mentalités sont différentes selon les pays. Ainsi à propos de la pauvreté, elle est vue comme une question marginale en Allemagne, centrale en France ; au Royaume Uni les pauvres sont culpabilisés de devoir être assistés.

Les niveaux des prestations sont différents ( en parité de pouvoir d’achat) :

- Vieillesse :
- Union européenne 40
- Irlande 20
- Italie 54

- Chômage :
- Union européenne 9
- Italie 2
- Belgique 15

- Logement :
- Union européenne 1,2
- Autriche 0,3
- France 3

Le revenu minimum existe dans 13 pays ; il n’existe pas en Italie et en Grèce. La prestation varie de 1 à 2 entre le Portugal et la Finlande, pour une famille de deux enfants. Après la Finlande elle est la plus forte au Luxembourg, au Danemark et aux Pays Bas ; et elle est faible en Irlande, en Allemagne ou en France, avant dernière du classement.

Globalement le nombre des bénéficiaires a augmenté depuis une dizaine d’années du fait du chômage et des ruptures familiales et sociales : éclatement de la famille, migration forcée, absence de logement, surendettement, emprisonnement. Deux catégories sont sur-représentées, les personnes seules majoritairement des hommes, et les femmes seules avec enfants.

Le revenu minimum est un bon exemple de la nécessité d’une plus forte politique de lutte contre la pauvreté. Le modèle social européen est trop souvent idéalisé : il permet certes de ramener de 30% à 10% le nombre de familles pauvres. Est-ce suffisant ?

D’autres éléments manifestent la disparité entre les pays :

Population étrangère ou née à l’étranger :
- 2% du total : Portugal, Espagne, Italie
- 4% du total : Royaume Uni, Pays Bas
- 6% du total, France
- 9% du total, Allemagne, Autriche, Belgique
Taux de scolarisation des 16-18 ans :
- Belgique 95%
- Grèce, Portugal 69%

Médecins pour 100.000 habitants :
- Italie 570
- Royaume Uni 75
ou encore, nombre de voitures particulières pour 1.000 habitants : Italie 571, Irlande 272 (Union européenne : 453)

La France vient de mettre en place une couverture maladie universelle qui donne accès à l’assurance maladie à 150 000 personnes qui en étaient exclues et permet à 6 millions de personnes de bénéficier d’une assurance maladie complémentaire gratuite. C’est un exemple des dispositifs particuliers existants dans les différents pays.

Cela explique, compte tenu des efforts consentis, les différences en parité de pouvoir d’achat des prestations sociales par personne entre les 15 que l’on peut classer en deux groupes en allant du plus fort au plus faible :

- 4.915 = Union européenne

- > 4.915 : Luxembourg, Danemark, Allemagne, Suède, Autriche, Belgique, Pays Bas, France, Finlande

- < 4915 Grande Bretagne, Italie, Espagne, Irlande, Grèce, Portugal.

La pauvreté relative (elle concerne la population dont le revenu est inférieur de 60 % au revenu médian de chaque pays ; le revenu médian est celui qui fait que 50 % sont au-dessus et 50 % au-dessous) concerne 18 % des Européens des 15, 24 % des Portugais, 23 % des Grecs, 16 % des Français, 9 % des Danois. La pauvreté est la plus forte chez les plus de 65 ans et chez les moins de 24 ans.

Il est clair qu’en Europe au sens large, la situation sociale est principalement déterminée par la situation de l’emploi. Le chômage est le pourvoyeur principal de la pauvreté.

La Présidence portugaise en cours veut engager des perspectives nouvelles face à ces disparités et aux effets du chômage. Le prochain sommet de Lisbonne, dans trois semaines, abordera la question de la stratégie pour l’emploi et contre l’exclusion sociale.

La croissance économique et le recul en cours du chômage ne provoquent pas une diminution de l’exclusion sociale fortement liée à la précarité de l’emploi. C’est le fameux phénomène des « pauvres qui travaillent », des « working poors » que les Caritas suisse et française par exemple dénoncent ces dernières années.

53 % des emplois créés en Europe des 15 le sont via des contrats à durée limitée. Le taux global d’emplois précaire est de 15 %.

Caritas Europa et les Caritas de 15 sont en train de s’adresser aux responsables européens et nationaux à ce propos en demandant par exemple aux Etats membres « de définir des dispositions de protection sociale assurant aux personnes qui doivent accepter ce type d’emploi, une protection sociale suffisante pour elles et leurs familles. »

Il est de plus indispensable de développer des politiques de formation aux nouveaux métiers : dans moins de 10 ans la moitié des emplois sera générée par des entreprises très engagées dans les technologies de l’information.

II. L’acquis communautaire dans les différents domaines sociaux.

L’Union européenne a été construite et se construit autour de la circulation des capitaux, des biens, des services et des personnes. Dans le domaine social, ce sont les travailleurs qui ont d’abord été au centre des préoccupations, dans les traités de Rome, de Maastricht et d’Amsterdam. La circulation libre des travailleurs dans l’Union est régie par de nombreux règlements visant à ce qu’il n’y ait pas d’obstacle administratif.

Ces personnes qui circulent doivent bénéficier d’une protection sociale : toute personne qui travaille dans un Etat différent du sien a droit à la même protection sociale que les ressortissants de cet Etat. Cela concerne la santé, les retraites qui pourront être librement transférées, les allocations familiales, le chômage etc.

La protection des travailleurs sur le lieu de travail fait l’objet de 25 directives, dans les domaines de la santé, de la sécurité ; cela concerne par exemple des normes relatives à l’amiante, au bruit.

L’élaboration de ces règles s’est faite avec l’accord large du patronat et des syndicats. En plus des motivations habituelles relatives au respect normal des personnes, la prise en mains de ces questions par l’Union est bien vue car cela égalise les conditions de concurrence dans les différents pays. Et ainsi le « code du travail européen » est sous bien des aspects meilleur que les codes nationaux.

Dans les domaines de la formation, de la reconversion, des jeunes en difficulté ou des chômeurs de longue durée, les Fonds structurels européens interviennent. Il s’agit de budgets tout à fait considérables. Ainsi, le budget total de l’Union pour les sept années à venir, 2000- 2006, s’élève-t-il à 645 milliards d’euros. La Politique agricole commune représente 300 milliards, les Fonds structurels 195 milliards. Leurs missions sociales sont fortes et ils contribuent à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Ils se répartissent entre les régions en difficulté pour environ 135 milliards, les zones particulières industrielles ou rurales en difficulté et le Fonds social lui-même pour des montants proches. Les grands bénéficiaires de ces fonds sont l’Italie, la Grèce, le Portugal et l’Irlande.

L’égalité des hommes et des femmes est aussi un cheval de bataille de l’Union. Six directives depuis le Traité de Rome sont venues édicter des règles pour l’accès à l’emploi, l’égalité salariale, l’égalité pour la Sécurité sociale, la protection des femmes enceintes au travail. L’Union a fait la promotion de ce sujet et a obligé les Etats à agir. Elle doit d’ailleurs rester très vigilante.

Dans le domaine du droit du travail, outre de nombreuses réglementations relatives aux licenciements collectifs, aux faillites et aux cessations d’activité, des Comités d’entreprise européens sont maintenant mis en place dans les entreprises de plus de mille salariés, ayant deux sièges ou plus dans deux pays européens différents où 150 personnes au moins travaillent. 2.000 entreprises sont concernées mais il n’y a pour l’instant que 1.200 comités. Ceux-ci doivent se réunir au moins une fois par an et entendre un rapport sur l’emploi et les intentions de l’entreprise.

D’autres règles ont été élaborées par exemple à propos du travail des enfants qui est interdit avant l’âge légal de la fin de scolarité obligatoire dans le pays ; cette astuce de présentation a permis d’obtenir l’accord du Portugal où cet âge est de 14 ans. Il y des exceptions strictes concernant les spectacles et la publicité.

L’Union a aussi précisé des règles relatives à la durée du travail, au repos et au travail de nuit. Curieusement les Eglises sont dispensées du respect des règles relatives à la durée du travail : cela vient des pressions allemandes car dans ce pays et selon sa constitution les Eglises, la police et les pompiers sont hors normes communes.

Il faut enfin ajouter une importante mesure insérée dans le Traité d’Amsterdam : chaque Etat doit préparer chaque année un rapport sur l’emploi. Le Conseil peut donner un avis sur les pratiques des différents membres. C’est un instrument de pression redouté et donc efficace.

En face de cet acquis, des défis communautaires :

La mise à jour permanente des réglementations est indispensable. De plus la plupart des éléments de l’acquis communautaire social datent de 1974-1994. Par exemple en matière d’égalité des hommes et des femmes, il risquerait d’y avoir une régression si l’attention n’était pas vigilante.

Le maintien d’un minimum de solidarité dans les Etats membres. Qu’il y ait des différences est normal, car tous ces sujets ont fait l’objet de luttes depuis une centaine d’années dans chaque pays; les contextes sont différents, les mentalités aussi. A l’époque actuelle du reflux des idées à propos du rôle de l’Etat, la vigilance de l’Union «transnationale» est bien venue. Il faut espérer que la nouvelle Commission acceptera d’être interventionniste, ce qui pourrait être le cas en ces domaines. Il faudra par exemple développer la convergence entre les régimes de Sécurité sociale ou en application de l’article 13 du Traité d’Amsterdam poursuivre la lutte contre les discriminations ethniques.

Dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, le nombre des projets pilotes conduits par les Etats augmente. Il sera nécessaire de convaincre la Commission de l’utilité du rôle des associations. Il faudra veiller à quatre populations à risque :les jeunes en difficulté, les familles monoparentales, les chômeurs de longue durée, les personnes âgées mais l’Union n’est pas compétente dans de dernier cas : l’Union est fondée maintenant sur un traité d’Amsterdam qui est un peu trop un traité pour les populations actives.

Le financement de l’arrivée des nouveaux pays adhérents va être particulièrement délicat. Aucun de ces pays n’a un système de protection sociale comparable à ceux des quinze ; partout les salaires sont plus bas que dans l’Union ; les restructurations industrielles et agricoles seront dramatiques. Et personne ne veut dire la vérité. Les représentants des pays adhérents disent que tout ira bien, or tout le monde sait que c’est faux. Les Etats membres disent que l’Union va aider. Or pourra-t-on financer pour 28 Etats ce que l’on fait à quinze ? La Politique agricole coûte trop cher ; il faudrait déjà une réforme pour les quinze ! Les bénéficiaires des Fonds structurels ne veulent pas voir les aides qu’ils reçoivent diminuer au profit des adhérents. En un mot c’est un peu la langue de bois : les uns disent que tout ira bien mais savent pertinemment que c’est faux ; les autres disent qu’ils sont prêts à aider, mais ne veulent pas réformer l’existant ou payer plus! Pour rester optimiste, la seule solution est de dire que la période de transition sera complexe… Il n’est donc pas étonnant que le nombre des indécis face à l’adhésion augmente dans les pays concernés : les Polonais favorables étaient 88 % en 1997 et 66 % en 1999. Seule la Hongrie reste favorable : 68 %. La montée des inégalités sociales explique le phénomène. Les opposants se trouvent parmi les perdants de la transition : personnes à faibles revenus, travailleurs manuels, agriculteurs.

Le développement des coopérations intergouvernementales peut aussi être un danger. Il s’agit de politiques qui ne sont mises en œuvre que par seulement une partie des Etats membres. C’est un peu un délitement du travail à quinze. Certes on peut dire que cela permet de faire avancer un dossier dans lequel certains ne veulent pour l’instant s’engager. C’est le cas de l’euro qui ne concerne que onze pays; de la défense qui ne se fera certainement pas à quinze; de Schengen qui concerne la circulation des étrangers; les cas de la recherche et du Tiers Monde via le Fonds européen de développement sont un peu différents mais posent la même question car si la gestion est communautaire, les contributions financières des Etats sont, elles, volontaires. Ces coopérations partielles sont un peu une atteinte à la valeur fondamentale de la construction ensemble de l’Union. Dans le domaine social, elles ne sont pas répandues – il y a eu quelques cas par exemple avec la Grande Bretagne- mais les difficultés à venir et les interrogations sur le rôle de l’Etat sont des menaces potentielles: quand on commence à faire des exceptions on ne sait jamais où cela conduit.

Ceci dit l’actualité en cours à propos de l’Autriche, de son gouvernement à participation de l’extrême droite et de la réaction des autres pays de l’Union, montre que les membres tiennent fortement à des valeurs et à des principes: on a toujours défendu dans les discours et les pratiques communautaires les valeurs fondamentales de dignité et de respect de l’autre. C’est peut être une barrière aux dérives tant politiques comme dans le cas autrichien, qu’économiques face au risque de transformer l’Union en une simple grande zone d’échanges commerciaux.

III. Vision et pratiques des ONG et des Caritas

Le Réseau européen des associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, EAPN, European anti-powerty network, vient de réaliser une enquête sur

les ONG dans 14 pays d’Europe centrale et orientale. 41 ONG ont été analysées : les organisations religieuses et charitables représentent la moitié ; les organisations d’éducation, de formation, de défense des droits de l’homme représentent 20% ; celles orientées vers le développement culturel, la jeunesse, les centres communautaires, 17% ; les autres concernent les femmes principalement.

Ces ONG sont nées à des dates différentes : la Caritas Slovaquie existait dans les diocèses dès 1927, mais des Croix Rouges sont encore plus anciennes. La plupart ont été créées ou recréées après 1989. On trouve souvent des organisations catholiques, protestantes ou adventistes.

Les domaines d’action privilégiés sont dans l’ordre: le travail social 16 %, la formation 13 %, le développement local, l’éducation, les soins aux enfants, la santé, le sport et la culture, les distributions alimentaires, l’aide à la recherche d’emploi, les conseils juridiques.

Les groupes-cibles de l’action sont très bien répartis, en trois volets : les enfants et les jeunes d’abord ; les adultes, les familles, les handicapés, les femmes, les personnes âgées, les chômeurs, ensuite ; enfin les familles mono-parentales et les malades.

On peut noter en matière de partenariat et de financement l’importance des liens entre Eglises et l’importance des financements publics, du monde de l’entreprise et des syndicats.

Les financements publics sont les plus forts en Lituanie, Hongrie, République tchèque et Slovaquie. Les pays de l’Ouest les plus souvent mentionnés en matière d’aide financière sont l’Allemagne d’abord, la Hollande, la France, les USA ; parfois certaines réponses à l’enquête mentionnent « tous les pays de l’Union européenne. »

Les préoccupations de ces ONG font ressortir d’intéressants constats en matière de pauvreté :

- les femmes et principalement les femmes seules

- les enfants et les jeunes

- les personnes âgées

- les chômeurs, les personnes en crise sociale, les vulnérables, les handicapés. Ce sont les mots mêmes des réponses ; le vocabulaire est révélateur.

- La volonté de pousser les autorités à mettre en place une politique sociale visant mieux les familles (Pologne, Hongrie, Ukraine), les migrants ( Hongrie, Slovénie, Ukraine), les handicapés (Roumanie, Slovénie, Ukraine, Estonie, Slovaquie). La question des tziganes est présente.

- Le lien est parfois fait entre l’allègement de la pauvreté et la construction d’une société démocratique. Le partenariat avec l’Ouest est vu comme indispensable pour cela.

- On a globalement le sentiment d’une approche assez traditionnelle de la lutte contre la pauvreté, d’une approche individuelle, caritative, face à une pauvreté ressentie comme nouvelle et croissante suite à la chute du communisme. Chômage, personnes sans domicile, drogue et alcoolisme se répandent. La question tzigane monte. On parle de divisions au sein de la société. La crise des réfugiés et des déplacés est forte dans certains pays comme la Russie ou la Géorgie.

- La réponse des ONG a été et est très importante pour pallier les difficultés matérielles et spirituelles : distributions alimentaires, logement, éducation et conseil, advocacy et lobbying, auto-développement communautaire parfois, création de systèmes de coopération institutionnelle inter-ONG par exemple.

- Partout les réactions passives des Etats sont critiquées sauf en Estonie et en Slovaquie, mais on sent des évolutions positives chez les pays candidats, sous la pression de l’Union européenne et de sa société civile. Trois aspects sont significatifs : amélioration des relations entre les ONG et les autorités, soutien juridique et financier, accès à des processus de consultation et de décision.

En conclusion de cette enquête :

- La pauvreté et les problèmes sociaux se sont partout aggravés, des problèmes nouveaux ont surgi, et c’est la chute du communisme qui est vue comme la cause.

- Le souffle démocratique et libéral a permis la création d’ONG qui ont rempli les vides laissés par le retrait de l’Etat totalitaire. Cette réponse a été appréciée par les gouvernements qui reconnaissent le rôle des ONG et acceptent d’être en relations avec elles.

- Un réel danger d’exclusion régionale menace des pays de l’Europe orientale non concernés par l’adhésion. Notre région subit un processus de diversification intense depuis quelques années. Il ne faut plus tenir un discours global et général à propos des ex-pays communistes. Les situations diversifiées engendrent des évolutions sociales divergentes.

Du côté des Caritas d’Europe présentent dans 44 pays, les sujets communs forts concernent la politique sociale et les migrations.

Dans ce dernier domaine historique pour Caritas, quatre thèmes dominent : les standards d’accueil des demandeurs d’asile, la protection temporaire en cas d’afflux massif, la réunification des familles et le trafic des femmes.

Les conclusions du sommet de Tampere d’octobre 1999 sont positives. La volonté de travailler « à la mise en place d’un régime d’asile commun fondé sur l’application intégrale de la Convention de Genève et d’assurer ainsi que nul ne sera renvoyé là où il risque à nouveau d’être persécuté » est une bonne chose, tout comme la solidarité entre les Etats à propos de la future protection temporaire. On peut aussi noter la lutte contre l’immigration clandestine et l’intégration de l’acquis de Schengen dans l’Union.

En matière de politique sociale les réflexions s’orientent particulièrement vers la responsabilité et le rôle des Etats. Les différences existantes au sein de l’Union comme en Europe tout entière posent question. Les services publics et l’intérêt général doivent conduire la politique et pas uniquement le libre échange. L’enseignement social de l’Eglise aide à réfléchir et à proposer des réformes. On ne peut pas vouloir la dignité de la personne humaine sans l’articuler avec le bien commun. Le concept de subsidiarité doit être vu de façon positive et pas comme un outil de désengagement de l’autorité supérieure.

C’est dans cet esprit que lors de la réforme des Fonds structurels de l’Union européenne, Caritas Europa insistait fin 1998 sur la prise en compte du chômage de longue durée parmi les indicateurs déterminant les zones en difficulté. De plus les projets qui y sont financés doivent tenir compte de ces personnes et de nouveaux secteurs porteurs d’emploi, tels que les services aux entreprises et aux particuliers – secteur familial classique, familles mono-parentales, personnes âgées – ainsi que les services sociaux, l’environnement, la culture ou les loisirs.

Le Comité des régions de l’Union dans ses priorités politiques 1998-2002 déclare : « L’expérience a montré que plus les acteurs locaux et régionaux prennent leur part de responsabilités, plus ils s’impliquent et plus ils sont motivés, plus il est possible d’utiliser ces fonds (structurels) de manière efficace. » C’est dans le même esprit que Caritas Europa écrivait aux responsables européens pour demander l’implication des associations agissant sur le terrain pour l’attribution des fonds structurels.

L’engagement du réseau Caritas en Europe est massif en matière sociale et médicale au sens le plus large.

En Allemagne où l’action sociale est l’un des piliers de l’Etat social, la Deutscher Caritasverband regroupe 27 associations diocésaines, des milliers d’associations locales et paroissiales, 260 congrégations religieuses et 19 associations spécialisées, au total plus de 400.000 collaborateurs salariés et de très nombreux bénévoles. L’action va aux soins, à l’assistance, à l’éducation, à la formation par exemple via plus de 700 centres de formation aux professions sociales.

En Belgique, en Italie, en Espagne, en Pologne, en République tchèque, en Roumanie, en Russie, et dans de multiples autres pays, la Caritas gère des établissements sociaux et médicaux. En France elle en a créé de nombreux sans en conserver la gestion directe, sauf exceptions.

Dans de nombreux cas cohabitent des réseaux d’équipes de bénévoles. Tous les domaines de l’action sociale et de la lutte contre la pauvreté sont concernés, des sans domicile aux chômeurs, des enfants aux personnes âgées, des migrants et réfugiés aux populations marginalisées comme les tziganes, des handicapés aux malades du Sida, des maisons de soins palliatifs aux centres de remise au travail, des hôpitaux aux centres sociaux de jour pour femmes seules.

Un grand programme est très généralisé à l’Ouest comme à l’Est : les soins à domicile médicaux et sociaux. A l’Est les activités sont très nombreuses vers les « orphelins sociaux », avec une visée éducative, comme en Russie ou en Roumanie.

Presque partout l’action directe s’accompagne d’information, de démarches de plaidoyer vers les autorités publiques.

Les Caritas n’hésitent pas à s’engager dans des domaines délicats. Ainsi la Caritas diocésaine d’Olomouc en République tchèque lance-t-elle actuellement un programme appelé « Ouvrir les portes à l’éducation des tziganes » dont j’ai visité récemment les prémices. Les Tziganes sont environ 25.000 dans ce diocèse.

Ces populations martyrisées à l’époque nazie souffrent aujourd’hui d’une marginalisation prononcée. Leur sédentarisation forcée et les problèmes scolaires pendant la période communiste ont fait passer le taux d’activité de 90 % au début des années 50 à 30 % voire 10 % dans certaines régions aujourd’hui. La structure familiale traditionnelle s’est effondrée tout comme le lien des enfants avec leur culture, leur langue, leurs coutumes. Un des fondements dominants de la marginalisation est la sous-éducation des enfants : 75% des enfants ne sont pas admis dans les écoles ordinaires. A l’âge de 15 ans, 25% seulement ont suivi l’école primaire. Intégrer ces populations dans la société tchèque passe par l’éducation.

Avec le soutien de Caritas Autriche et peut être de l’Union européenne, le projet vise à créer des centres communautaires, à créer des jardins d’enfants, du soutien scolaire, à développer des activités culturelles, etc. Il faut noter que de nombreux responsables du projet sont tziganes. Ce type de projet n’est en rien isolé. On en trouve par exemple en Roumanie ou en Slovaquie, et sous diverses formes dans presque tous les pays européens.

Les Caritas d’Europe sont un des membres de l’Eglise en action dans le champ social et parfois médical. Selon les pays et leurs histoires, les relations avec les Etats sont bien différentes. L’engagement social de l’Eglise que mettent en œuvre les Caritas, comme d’autres organisations catholiques d’ailleurs, se développe sur des terrains différents, hostiles, favorables voire constitutionnels, ou indifférents. L’Eglise polonaise, l’Eglise russe ou finlandaise n’ont pas les mêmes rapports avec la société : il en est de même entre l’Allemagne, l’Espagne ou la Grèce ou la Turquie.

C’est donc dans des contextes différents que se vit par exemple l’exercice concret du principe de subsidiarité.

Le réseau des Caritas d’Europe est un lieu fort de collaboration entre organismes d’Eglise vivant en solidarité. Le soutien financier des membres de l’Ouest à ceux du Centre et de l'Est est important. La volonté de construire ensemble une politique de communication vers les opinions publiques ou une politique de plaidoyer manifeste une Eglise européenne en actes. C’est un défi pour les Episcopats de soutenir leurs Caritas, souvent actrices aux marges de l’Eglise officielle par leurs relations avec les plus démunis, par leurs relations concrètes avec les autorités politiques et sociales, par la place en leur sein des laïcs et particulièrement des femmes, par des collaborations œcuméniques multiples.


Dix défis

En matière de modernisation de la protection sociale le Conseil des Ministres de l’Union européenne a approuvé des orientations en novembre 1999 qui sont importantes pour les 15, pour les pays candidats d’ailleurs évoqués dans le texte, et par contamination positive pour d’autres pays européens :

- le développement économique et le développement social doivent aller de pair, mais la protection sociale relève de la compétence de chaque Etat.

- Le dialogue entre les Etats et la coopération doivent permettre d’examiner l’avenir de la protection sociale au niveau européen ; cela doit aller de pair avec la stratégie pour l’emploi. La coopération doit être renforcée.

- Quatre objectifs généraux sont approuvés :

• Rendre le travail plus avantageux et fournir un revenu sûr. « Les régimes fiscaux et les systèmes de prestations doivent rendre le travail plus avantageux pour les chômeurs (…) La protection sociale ne doit jamais entraver la vie économique par des obstacles au travail, à l’enseignement, à la formation, à la mobilité, à la création d’emplois ou d’entreprises. » On évoque aussi le revenu minimum.

• Garantir des retraites sûres et des régimes de retraite stables. Ce sera difficile dans certains pays des 15 mais encore plus pour les pays candidats.

• Promouvoir l’intégration sociale. C’est la question de la lutte contre l’exclusion : garantir des filets de sécurité efficaces, revenus et logements par exemple ; développer des mesures de prévention.

• Garantir un niveau élevé et durable de protection de la santé : accès aux soins pour tous, soins de longue durée pour les personnes âgées.

Face à ces orientations et à partir de l’expérience et de la pratique des Caritas en Europe tout entière, de Caritas Europa, à partir de nos collaborations avec la COMECE, avec des organismes protestants et orthodoxes, avec des réseaux d’ONG et les autorités publiques tant locales, nationales que communautaires, voici 10 défis liés à la lutte contre la pauvreté et aux questions sociales globales :

1. Informer et expliquer le processus d’élargissement de l’Union européenne aux pays candidats.

Malgré les difficultés à venir l’adhésion sera globalement positive. Des mesures d’accompagnement seront nécessaires. Les premières adhésions pourraient intervenir début 2003, si la volonté politique de tous les 15 existe. Les gouvernements locaux et l’Union doivent informer, être clairs, sortir du flou sur les délais, les contraintes, les avantages et les inconvénients. Il faut veiller à informer les citoyens de l’Ets comme ceux de l’Ouest. « L’Europe se construit en préservant les différences et les richesses des cultures ; il est préférable d’être dedans où l’on a son mot à dire et où l’on peut agir, que dehors sans moyen d’action.» (Europe Infos, janvier 2000.

L’Eglise en Europe a toute sa place dans ce travail pédagogique.

2. Privilégier des groupes cibles

Les jeunes, les chômeurs de longue durée, les femmes, les familles, les personnes âgées, les minorités ethniques.

3. Privilégier l’emploi sans exclusive

L’emploi est la grande perspective de l’Union et c’est justice. La pratique montre qu’en dépit de tous les efforts certains restent en marge, que le travail ne libère pas à tout coup de la pauvreté. Les revenus minima, la formation, la garantie de normes sociales élevées doivent permettre une protection contre la pauvreté.

4. Favoriser le développement urbain

L’Union est la région la plus urbanisée au monde. Des activités sociales en milieu urbain doivent être privilégiées, via entre autres les fonds structurels afin de développer des emplois durables et l’innovation sociale.

5. Accroître le rôle des collectivités locales et des associations

Proche du terrain et des gens, elles sont les lieux adaptés à des politiques de lutte contre la pauvreté, particulièrement à des approches et à des actions intégrées.

6. Elargir la compétence de l’Union à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, à l’intégration des migrants.

C’est ainsi que tous les résidents de l’Union européenne accèderont aux droits fondamentaux. Il ne suffit pas de préparer une belle charte, comme c’est le cas actuellement. Faut-il encore se donner les moyens de son application aux plus pauvres.

7. Soutenir les pays qui cherchent à développer des politiques d’intégration des étrangers.

Cela concerne particulièrement les pays de l’Europe central et orientale, comme le relève le Conseil de l’Europe.

8. Favoriser systématiquement les projets basés sur la participation réelle et active des bénéficiaires.

Dans toute l’Europe trop de projets restent à un niveau d’assistance utile. Il convient systématiquement de promouvoir les capacités des bénéficiaires et des plus démunis, dès la conception des projets afin qu’ils en soient les vrais et premiers acteurs.

9. Elaborer un code éthique.

Il serait à incorporer dans les législations nationales et ferait référence aux valeurs fondamentales et aux droits de l’homme, particulièrement au droit au développement de tout homme et de tout l’homme. La Charte de droits fondamentaux pourrait être une modalité pratique pour aller dans ce sens.

10. Consolider le modèle européen dans un cadre global.

« Ce modèle repose sur le respect des droits de l’homme, un Etat social garant de la solidarité, la participation, la citoyenneté, l’articulation libre des intérêts particuliers, la garantie des droits sociaux… »(Une nouvelle Europe centrale, CFDT, La Découverte, 1998).

L’élargissement de l’Europe signifie que l’on veut installer ce modèle dans toute l’Europe. Il est construit sur un trépied : Pouvoirs Publics, patronats, syndicats. Il convient d’y intégrer d’autres forces sociales associatives et représentatives, contribuant-elles aussi à l’intérêt général, des associations de consommateurs aux ONG et services sociaux privés par exemple. Les Eglises y ont leur part active.

On devra de plus veiller à une vraie solidarité avec les pays non-membres et non-candidats.

Ces dix défis constituent un large champ d’action pour tous les niveaux d’acteurs, de la personne individuelle, du citoyen, jusqu’aux autorités nationales et européennes.

Face à la diversification, aux différenciations des réalités sociales dans la grande Europe, seul l’exercice concret de deux démocraties permettra de faire face aux enjeux à venir : la démocratie politique fondée sur la participation de tous selon des modalités propres à chaque pays, mais selon des valeurs communes ; la démocratie économique si souvent oubliée tout comme les droits économiques et sociaux de la Déclaration universelle des droits de l’homme !

Même s’ils ne le savent pas les Européens sont nombreux à pouvoir organiser le contrôle de leurs entreprises : sans en être tous les actionnaires directs, ils le sont souvent via les mécanismes de retraites, obligatoires ou complémentaires. Il y a là un pouvoir en jachère.

C’est d’autant plus important que le traité européen donne pour objectif premier à l’Union de promouvoir le progrès économique et social.

La réflexion et l’action éthiques à l’égard des choix économiques des entreprises sont aussi des moyens de lutter contre la pauvreté.

Denis Viénot