Faire passer la vie avant la dette

Diocèse d’Avignon
5 février 2000

Dans le monde,

- Sur les six milliards d’habitants de la planète, trois milliards vivent avec moins de 2 dollars par jour ; dans quinze ans 4 milliards d’habitants sur huit seront dans cette situation.

- Diminution de la croissance des PVD depuis 4 ans : de 4,8 % à 1,9 %.

- En Ouganda, l'Etat dépense un montant égal à six fois son budget de la santé pour le remboursement de sa dette externe.

- Le Pérou consacre 17 % de son budget au remboursement de sa dette externe qui correspond à 30 % de ses exportations. Bien vu par le FMI dont il suit malheureusement les "conseils", la moitié de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté. Mgr Luis Bambaren, Secrétaire Général de la Conférence épiscopale et ancien Président des Caritas d'Amérique latine et des Caraïbes explique : "Nous proposons une véritable alternative. L'idée consiste à convertir la dette péruvienne publique et privée, qui s'élève à 30 milliards de dollars, en investissement social pour le pays, afin que les couches les plus pauvres puissent, elles aussi, accéder à une éducation, un service de santé, un emploi, une alimentation, un logement et un environnement dignes de ce nom. Notre objectif est la promotion et la défense du développement intégral de la personne humaine."

Ce que dit Mgr Bambaren est l'essentiel. Nous allons retrouver ses thèmes et termes tout au long de cet exposé.

Enorme problème de la dette dans le monde : point de la situation puis actions actuelles dont dans l'Eglise.

1. QU'EST-CE QUE LA DETTE INTERNATIONALE ?

1.1. Histoire: les quatre coups de tonnerre

1.1.1. L'or et le dollar

A la suite de la deuxième guerre mondiale l'Europe est dévastée. Trois actions sont à noter :

- la conférence de Bretton Woods en 1944 créée le système financier international basé sur le dollar "aussi bon que l'or" : le dollar peut s'échanger contre de l'or détenu par les USA. Le FMI est le garant du système de régulation des politiques financières et monétaires entre les Etats : stabilité des changes et coopération internationale. La Banque mondiale et les banques régionales de développement financent le développement en empruntant à des taux privilégiés (elles ont une quasi garantie étatique) et en re-prêtant un tout petit peu plus cher et l'AID prête ou donne aux Etats les plus pauvres.

- Le plan Marshall permet la reconstruction par des dons et des prêts.

- La dette de l'Allemagne est annulée à concurrence de 50 % en 1953 afin que le poids des remboursements de sa dette corresponde à moins de 5 % de ses exportations.

Pendant les années 60-70 les déficits commerciaux et publics américains, résultants aussi des investissements à l'étranger et des effets de la course aux armements et de la guerre du Vietnam, sont financés par le dollar (les réserves d'or sont là pour garantir...) ; de ce fait les dollars en circulation détenus par des non-résidants américains augmentent, donc création d’un marché d'euro-dollars, de prêts en dollars par les banques et les Etats (dont prêts commerciaux, obligations) les emprunteurs étant des collectivités publiques des pays riches et des grandes entreprises (de Renault à EDF ou l'EDF d'Afrique du sud ou d'Allemagne etc.

Les réserves américaines d'or deviennent trop faibles par rapport au montant des dollars en circulation, donc PREMIER COUP DE TONERRE : le Président Nixon décide unilatéralement en août 1971 que le dollar ne sera plus convertible, plus échangeable en or : c'est la fin brutale de Bretton-Woods, la fin des taux de change fixes.

De ce fait le dollar chute :

- pertes pour ceux qui en détiennent, dont des Etats parmi lesquels des pays exportateurs du Sud ;

- pertes pour les exportateurs payés en dollars, soit l'immense majorité, dont les PVD gros exportateurs de matières premières. Seuls les pays de l'Opep obtiennent une augmentation compensatoire des prix.

1.1.2. Le pétrole et le dollar

Suite à la guerre du Kippour, les pays de l'Opep, en lien avec les compagnies pétrolières internationales, réussissent en 1973 à augmenter le prix du pétrole de 400 % donc à le multiplier par quatre. DEUXIEME COUP DE TONERRE. De ce fait les dollars en circulation augmentent encore et les pétro-dollars viennent accroître les euro-devises : elles passent de 150 milliards de dollars en 1971 à 2.200 milliards de dollars en 1983.

Les banques doivent absolument recycler ces dépôts : à leurs clients traditionnels de crédits internationaux variés, elles ajoutent des PVD. Compte tenu des énormes stocks disponibles de dollars les taux d'intérêt sont faibles. A l'époque 1975-1979 le taux d'intérêt réel est d'environ 0,5 % (taux nominal moins inflation.

De 1976 à 1983 les PVD empruntent, d'abord pas trop cher puis très cher, 304 milliards de dollars pour :

- financer des déficits commerciaux créés en partie par l'augmentation du prix du pétrole qu'ils achètent ;

- rembourser des prêts des années 60-70, prêts à long terme à intérêts relativement modestes ;

- financer des projets de prestige, des achats d'armes et la corruption (il ne faut jamais oublier lorsqu'on parle de dette et d'annulation que les dettes de certains pays sont propres et que celles d'autres sont sales voire très sales : la famille Suharto en Indonésie a accumulé 40 milliards de dollars ; les placements de Mobutu à l'étranger atteignaient l'équivalent de la dette extérieure de son pays ; et ce n'est que la partie visible de l'iceberg) ;

- et financer pour une part trop modeste des projets de développement capables de générer des revenus pour les remboursements (noter que certains projets utiles génèrent des revenus de "second degré" : leurs effets positifs de croissance sont à long terme, tels l'enseignement, la santé et même les routes et les barrages, à la différence d'une raffinerie de pétrole, d’une usine d'engrais ou d’une cimenterie ; il faut donc veiller aux modalités de remboursement selon l'objet du crédit. Dans l'euphorie de l'époque cela ne s'est pas toujours fait).

La révolution iranienne de 1979 entraîne un doublement du prix du pétrole ce qui conduit les USA à mettre en place une politique monétariste dramatique pour contrôler l'inflation et défendre le dollar : ces deux événements constituent ensemble le TROISIEME COUP DE TONERRE.

Les taux d'intérêt explosent : en 1981 les taux à court terme atteignent 21 % sur les marchés américain, européen et internationaux.

La récession de 81-82 entraîne la diminution des exportations des PVD, en dollars : entre 1980-1992 le pouvoir d'achat des pays d'Afrique subsaharienne diminue de 80 milliards de dollars malgré une augmentation de 50 % en volume des biens exportés. Chacun de nous en tant que consommateur a bénéficié des produits bon marché en provenance des pays endettés. Sans être directement responsables nous sommes un maillon de la chaîne. Est-ce un péché collectif, comme dirait Jean Paul II ?

Et les taux d'intérêt réel des prêts souvent consentis à taux variables passent en 80-84 à 13% : le transfert net Nord-Sud s'inverse, ce sont les PVD qui versent chaque année aux pays riches plus que ce qu'ils en reçoivent. Et le mécanisme cumulatif, la machine infernale fonctionne : ils doivent s'endetter pour rembourser les crédits.

En 1982, QUATRIEME COUP DE TONERRE : le Mexique annonce qu'il ne remboursera plus ses dettes. Trente pays en voie de développement représentant plus de la moitié de la dette publique du Tiers-monde ne peuvent plus assurer leurs engagements.

Les banques sont dans une situation délicate : en 82 les neuf principales banques américaines détenaient sur les PVD des créances d'un montant de plus de deux fois supérieur à leurs fonds propres. Toutes les banques du monde engagent des négociations avec les débiteurs, cherchent à se débarrasser de leurs créances, les font reprendre en partie par les Etats et les institutions internationales (elles perdent environ 40-50 % que leurs Etats financent en bonne partie via des mécanismes comptables et fiscaux; ce sont les contribuables des pays riches qui payent : si nous sommes contre l'annulation des dettes, il faut savoir que nous sommes chacun déjà passés à la caisse, sans débat clair et démocratique. Il y a dans les campagnes actuelles d'annulation quelque chose de plus transparent, vu du côté des populations des pays développés).

Quoiqu'il en soit la répartition de la dette internationale des PVD change alors : les dettes bilatérales et multilatérales (publiques) augmentent et les dettes commerciales diminuent.

La communauté internationale évolue alors et s'organise : plan Baker en 1985 avec les plans d'ajustement structurels si graves et le plan Brady en 1989.

Les plans d'ajustement structurels fonctionnent sur le principe de la carotte et du bâton. La carotte ce sont des annulations et des moratoires. Le bâton, des mesures fortes. Ils sont négociés entre les organisations internationales et les pays en difficulté. Ils visent à améliorer les équilibres économiques par une réduction de l'inflation et l'équilibre de la balance des paiements et à favoriser la croissance et la productivité tout cela dans un esprit économique libéral parfois excessif.

Concrètement cela va consister à augmenter les impôts pour équilibrer le budget, à supprimer les contrôles sur les prix, à diminuer les dépenses publiques et très souvent les crédits sociaux comme l'éducation et la santé, à enlever des dépenses de l'Etat les subventions par exemple aux produits de première nécessité, à supprimer des postes de fonctionnaires dont l'armée, à privatiser des entreprises publiques, à diminuer les importations et à augmenter les exportations, à diminuer les salaires ou encore à supprimer des dépenses somptuaires.

Il n’y a pas que de mauvaises mesures mais ces plans sont souvent brutaux et générateurs d'une austérité qui frappe les plus pauvres en premier lieu. C'est en ce sens qu'ils ont fait et font l'objet de critiques légitimes. Que l’on se rappelle les émeutes de la faim et du pain d'il y a quelques années. Ces plans aggravent souvent la situation déjà dramatique créée pour les plus pauvres par l'endettement. Des études montrent de plus qu'ils n'ont pas, globalement, amélioré l'endettement : l'endettement, en pourcentage du PNB, des pays qui ont eu recours aux aides financières liées aux PAS a augmenté en 15 ans environ (80-95) de 82 à 154 % alors que pour ceux qui n'y ont pas eu recours il est passé de 56 à 76 %.

Le plan Brady de 1989 est très intéressant à analyser car il part du principe que certaines dettes extérieures sont impossibles à rembourser, l'allègement y est accepté via des annulations, des rééchelonnements. Il est essentiel de s'en souvenir.

Le plan Brady concernait prioritairement des pays qui pouvaient obtenir des prêts commerciaux, pas les plus pauvres. Il montre qu'il est possible de trouver des solutions en s'organisant ; il a mis en place des conversions de dettes en obligations échangeables et des rééchelonnements, des mécanismes de rachats de leurs propres dettes fortement décotées par les pays sur le marché secondaire quitte à leur fournir les moyens financiers pour ce faire (le perdant est celui qui a prêté ou a acheté la créance à un cours plus élevé, mais, on l'a vu, les banques et les entreprises, parfois même les particuliers peuvent faire jouer des mécanismes fiscaux qui "allègent" la charge : provisions constituées en franchise d'impôt, déduction fiscales des pertes etc.).

C'est de cette époque que datent les mécanismes de rachats de dettes par des ONG profitant de la décote sur le marché : swaps de dettes, c'est à dire échanges d'une dette extérieure contre un paiement intérieur en monnaie locale (avec "commission" prélevée par l'Etat) afin de financer des projets économiques et sociaux (cf. par exemple Mexique, Madagascar ou Colombie pour des rachats de terres).

Tout cela a préparé les esprits aux idées de renégociations de masse et d'annulations importantes.

1.2. La situation actuelle :

la fin du tabou de l'annulation partielle et de la renégociation qui deviennent acceptées comme des "principes" économiques justes.

1.2.1. L'évolution de la prise de conscience

En 1996 la dette des pays à bas revenus s'élève à 540 milliards de dollars; celle de l'ensemble des pays du Tiers-Monde et des pays pauvres d'Europe ou d'ailleurs, comme la Yougoslavie, l'Ukraine, la Russie, la Turquie, le Mexique, l'Afrique du Sud ou le Liban, forme un total de 2.171 milliards de dollars( ). Cette dette était de 570 milliards de dollars en 1980, de 1.100 milliards en 1986, de 1.500 milliards en 1992.

Les 2.100 milliards de dollars de dette des pays du Tiers-Monde et des pays e transition représentent 150 % des exportations ; en 1990 c'était 162 %; 88 % en 1980. Sur ces 2.100 milliards, 1.865 concernent les pays en voie de développement.

La dette de l'Amérique latine exprimée en dollars est près de trois fois plus élevée que celle de l'Afrique subsaharienne ; le poids est plus fort sur cette dernière car ses exportations sont plus faibles.

La conscience de la nécessité de l'annulation et de la renégociation progresse : les chefs d'Etats du G7 en ont posé des principes par des “ protocoles ” fixant le pourcentage de la dette non remboursable des Pays Pauvres Lourdement Endettés : Toronto en 1988 à 33 %, Londres en 1990 à 50 %, Naples en 1994 à 67 %, Lyon en 1996 à 80 %. Cela s’explique car on réalise que la crise n’est pas une crise de liquidité, mais une crise de solvabilité : il était inutile de tenter d’obtenir des remboursements de pays incapables de répondre à leurs engagements. De plus le poids économique de ces pays est marginal et le montant total de leurs dettes modeste en pourcentage des dettes mondiales.

De 1988 à 1996, 25 pays en ont profité pour un total de 71 milliards de dollars : Argentine, Brésil, Philippines, Mexique, etc. Il faut noter que cela ne concerne pas les pays les plus pauvres (même s'il y a eu par ailleurs quelques autres annulations plus politiques : le Canada a annulé ses créances envers Haïti à l'époque du Président Aristide, par exemple ; et les dettes de la Pologne et de l'Egypte ont été annulées à concurrence de 50 % en 1991 ; d'autres annulations ont eu lieu pour des PMA suite à l'accord de Toronto ratifié en 1990 ; la France, depuis 1989 a annulé 55 milliards de FF, en Afrique bien sûr : cela correspond à la moitié de l’annulation totale des dettes bilatérales).

En 1996 le FMI et la Banque mondiale ont mis en place l’Initiative pour les Pays Pauvres Lourdement Endettés (PPLE). En effet les plans d'ajustement structurel (PAS) conçus par le plan Baker avaient trop d'effets pervers.

Viser particulièrement les pays pauvres très endettés est pertinent car selon le PNUD ils sont dans une situation plus grave que les autres PVD : des indicateurs y montrent une mortalité infantile plus élevée, plus de maladies, moins d'alphabétisation, plus de malnutrition. La dette se paie cher et pas seulement par le manque d'écoles, d'hôpitaux ou de routes.

Noter cependant que les trois pays les plus opposés à toute annulation étaient les USA, le Japon et l'Allemagne ce qui est ironique pour cette dernière : ses dettes extérieures ont été annulées en partie deux fois, à la suite de chacune de deux guerres mondiales.

1.2.2. L'initiative PPLE (IPPLE)

Depuis une quinzaine d'années des mécanismes d'allègement et de renégociation de la dette existent. Ils sont le plus souvent nés en situation de crises financières graves et pressantes.

En 1996, l'initiative PPLE

voit le jour dans un climat permettant plus de sérénité. Elle concerne 41 pays qui avaient bénéficié pour beaucoup d'entre eux d'un total de 6 milliards d'annulation de 89 à 93.

Cette initiative concerne des pays majoritairement d'Afrique subsaharienne dont le Mali, le Burkina Faso, ou aussi la Bolivie, le Honduras, le Vietnam etc. Dans ces pays le PIB par habitant est inférieur à 1000$.

Le total de leurs dettes s'élève à 170 milliards de dollars dont 32 à la France. Leurs dettes considérées comme non remboursables représentent 100 milliards de dollars dont 14 à la France. Cela fait environ 1 400 FF par Français.

Le pourcentage des dettes extérieures par rapport au PNB varie de 51 % pour le Burkina Faso à 379 % pour le Mozambique. Noter que l'on peut être riche et endetté, ce que chacun de nous sait (tout est fonction de la capacité de remboursement) ; ainsi ces pourcentages sont d'environ 55 % pour la France, 60 % pour les USA et l'Allemagne et de 87 % pour le Japon.

Des pays très pauvres ne sont pas dans les 41 car il y a d'autres critères dont l'historique des négociations sur leurs dettes, avec la communauté internationales : Haïti (% PNB 34 %), le Bangladesh (58 %), le Pérou (49 %), par exemple.

L'idée est de ramener la dette du pays concerné par l'initiative à un niveau dit "viable", celui où le pays est en mesure de faire face à ses remboursements et cela en plus ou moins 6 ans (actuellement pour les PPLE les dettes bilatérales représentent 56 % du total, les multilatérales 28 % et les commerciales 16 %).

La viabilité ou la tolérabilité tient en fait compte de plusieurs critères :

- ratio service de la dette/exportations : 20-25 % ou plus,

- ratio valeur nette actualisée de la dette/exportations : 200-250 % ou plus,

- ratio valeur nette actualisée de la dette/rentrées fiscales : 280 % ou plus,

- ratio rentrées fiscales/PIB : environ 20 %,

- ratio exportations/PIB : environ 40 %.

La procédure prévoit des plans d'ajustement structurel approuvés par le FMI et la Banque mondiale mais des plans souples et moins violents que les précédents. L'allègement est lui aussi souple et plus rapide si les critères négociés sont respectés et si les réformes économiques progressent bien.

Après trois ans de réformes positives le Club de Paris (pour les dettes publiques) peut aller jusqu'à 67 % d'annulation des dettes rentrant dans le mécanisme (date de décision). Et les autres créanciers (pays non OCDE et les banques, Club de Londres) sont censés faire de même.

Si au bout de trois ans le niveau de dette viable n'est pas atteint, une seconde période de trois ans peut s'ouvrir et si à l'échéance les résultats sont positifs l'annulation peut aller jusqu'à 80 %, et c'est la fin du processus.

10 pays seulement ont bénéficié de l'initiative PPLE jusqu’en 1999: Bolivie, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Ethiopie, Guinée-Bisau, Guyana, Mali, Mauritanie, Mozambique et Ouganda.

Le coût de l'IPPLE est d'environ 7,4 milliards de dollars en valeur nette actualisée : le FMI pour 0,8 milliard, la Banque mondiale pour 1,6 milliard, les autres institutions internationales pour 1,8 milliard, le reste à la charge des autres créanciers bilatéraux et commerciaux.

Les récentes crises asiatique, russe, brésilienne, montrent qu'une défaillance du système bancaire international étoufferait l'économie mondiale. La réflexion sur la dette est donc à inscrire dans un contexte global : si la crise russe est bien une crise de la dette- décision unilatérale de ce pays en août 1988 d'un moratoire-, la crise asiatique n'est pas une crise de la dette mais une crise de la confiance, une crise qui résulte d'un hiatus entre les prévisions et les réalités de croissance et qui se transforme ensuite en crise financière.

Michel Camdessus, Directeur du FMI, déclarait : « Les pays pauvres ont souvent été trompés par des conseils de banquiers respectables parfois plus intéressés par la rentabilité de leurs prêts et par les perspectives à moyen terme que par le niveau de la dette existante ».

A titre de comparaison la loi sur l’exclusion en France de 1998 manifeste le même genre d’idées dans le domaine des annulations de dettes.

L’évolution des mentalités est générale. Elle prévoit dans la procédure de surendettement un étalement des remboursement passant de 5 à 8 ans, une annulation possible des dettes par le Juge, un “ reste à vivre ” égal au RMI pour une personne seule et au RMI plus 50 % pour deux personnes et plus.

2. UNE APPROCHE ETHIQUE DE LA DETTE

2.1. Les fondements chrétiens

2.1.1. Le Christ et le Jubilé

- Lévitique, 25 : "Vous déclarerez sainte la cinquantième année et vous proclamerez dans le pays la libération de tous les habitants; ce sera pour vous un jubilé...Vous ne sèmerez pas, vous ne moissonnerez pas ce qui aura repoussé tout seul... En cette année de jubilé chacun de vous retournera dans sa propriété... Si ton frère a des dettes à ton égard et qu'il se vende à toi, tu ne l'asservira pas à une tâche d'esclave ; il sera ton serviteur jusqu'à l'année du jubilé; alors il sortira de chez toi avec ses enfants et il sera affranchi de ton autorité."

- Le Jubilé même s'il n'a pas été mis concrètement en œuvre par le peuple juif proclame que la redistribution demandée est le rétablissement de la richesse de ceux que l'exploitation et la cupidité ont dépouillés. Le Jubilé est une loi.

Il n’est pas du registre de la générosité. Il s’agit d’annuler la dette, l’esclavage des juifs, les contrats fonciers. Le retour à zéro est une libération. L’économie est suspendue à la prédominance de la fraternité. Dieu seul est propriétaire ; lui seul est le père du frère. Dieu fait le lien entre les frères dans un rapport paternel. Annuler la dette c’est harmoniser des liens fraternels et se lier à Dieu.

Le Christ, dans une vision à la fois plus spirituelle et pratique, s'y réfère (Luc, 4) lorsque, citant puis commentant Ysaïe, il dit avoir été envoyé pour une année de grâce du Seigneur et pour « porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance, rendre la liberté aux opprimés ». Mais plus loin le texte dit : « Tous, dans la synagogue, furent remplis de colère lorsqu’ils entendirent ces mots. Ils se levèrent, l’entraînèrent hors de la ville et le menèrent au sommet de la colline sur laquelle leur ville était bâtie, afin de le précipiter dans le vide. Mais il passa au milieu d’eux et s’en alla. »

Jésus annonce un nouveau Jubilé, urgent, pour tous - pas pour les seuls Juifs -. Le Jubilé est un instrument d’inclusion, de réintroduction des exclus dans la communauté.

- C'est à ce message de l'Evangile que se réfère Jean Paul II, dans sa présentation de la démarche vers l'an 2000. A la suite du texte du Conseil pontifical Justice et Paix de 1987 ("Au service de la communauté humaine, une approche éthique de l'endettement international"), il écrit : "Les chrétiens devront se faire la voix de tous les pauvres du monde en proposant que le Jubilé soit un moment favorable pour penser, entre autres, à une réduction importante, sinon à un effacement total de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations." 2.1.2. La dette dans un cadre catholique

L'enseignement social se fonde sur quelques principes qui sont tout à fait reliés à la question de la dette et du triptyque classique, charité- solidarité- justice.

- Par la dignité de la personne humaine, est affirmé le caractère sacré de tout homme. C'est le critère de base pour juger tout système politique, économique, social, culturel ou religieux. Tout homme est appelé à participer à la création. La dette contribuant à la pauvreté, lutter contre elle fait partie du projet du chrétien.

- Chacun a des droits et des devoirs ; tel est également le cas des Etats dans leurs politiques extérieures.

- Le bien commun et la solidarité sont des valeurs à promouvoir. C'est la détermination ferme de travailler pour l'intérêt général, pour le bien de tous, “ car nous sommes vraiment responsables de chacun ”. (Sollicitudo Rei Socialis).

L'Eglise analyse la dette comme un facteur d'érosion du bien commun, donc elle appelle les gouvernements, les institutions internationales et les peuples à trouver des solutions.

- L'option préférentielle pour les pauvres plaide pour que les plus faibles reçoivent plus d'attention. En les soutenant, elle renforce l'ensemble de la communauté car l'exclusion, la marginalisation d'une personne ou d’un peuple est un affaiblissement de l'humanité toute entière.

- A propos de la dette elle-même, selon la doctrine catholique le prêt d'argent est moralement légitime si le prêteur et l'emprunteur respectent des conditions essentielles de justice.

Dans l'introduction du document de Justice et Paix de 1987, le Cardinal Etchegaray écrit que :

- le service de la dette ne peut se faire par l'asphyxie d'un pays

- aucun gouvernement ne peut exiger de sa population des privations incompatibles avec la dignité humaine

- une éthique de solidarité internationale doit se développer

- les pays riches doivent reconnaître leurs torts.

Noter que lors des montages des opérations d'échanges de dettes par les ONG, il y a eu des débats forts, même au sein du réseau Caritas : faut-il utiliser habilement la dette pour la transformer en outil de financement (on achète sur le marché secondaire international une créance à 40 % de sa valeur et on obtient 80-90 % en monnaie locale pour des projets sociaux, de développement ou de santé par exemple).

Ou faut-il s'interdire de "toucher" à la dette qui est parfois "sale" et ainsi rester propre?

En conclusion de ces remarques fondamentales, on peut dire que sur le plan éthique, il y a trois aspects :

1) La dette appauvrit ; il faut l’annuler car elle est injuste pour les pauvres, car elle diminue leur liberté, leur autonomie. La dette bloque le développement à long terme.

2) Les responsables sont nombreux. Il est immoral que ceux qui remboursent n’en aient pas profité.

3) Le rapport de force est inégal pour les plus pauvres. Même si tout le monde était honnête l’inégalité pèsent sur eux.

C’est donc la relation qui importe : un commerce plus juste, la coopération, des rapports non aliénants.

2.2. L'actualité

2.2.1. Dans l'Eglise

Caritas Internationalis et CIDSE ont publié au printemps 1998 un document qui a été présenté lors de deux conférences de presse, l'une à Rome et l'autre à New York : "Faire passer la vie avant la dette."

Ce texte présente une analyse de la situation et fait cinq propositions :

1. Annuler les dettes impayables des PPLE. La dette de l'Allemagne avait été annulée pour ramener le ratio service de la dette/exportations à 5 %, or les créanciers actuels ne le font qu'à partir de 20-25 %.

2. Améliorer l'initiative PPLE :

* Raccourcir les délais, assouplir les critères d'éligibilité.

* Redéfinir la notion de viabilité de la dette trop basée sur les revenus. Il faudrait tenir compte du développement humain : calculer les capacités de remboursement d’un pays après déduction du coût des dépenses sociales indispensables : santé, éducation, par exemple (à titre de comparaison l'Union européenne aussi se laisse dominer par le financier au détriment de l'économique et du social : la limite de 3 % du déficit public pour les candidats à l'adhésion et en particulier ceux de l'Europe centrale y fait régner un danger sur l'éducation, le social etc.)

* Augmenter l'allègement de la dette et respect par les pays de l'OCDE des 0,7 % du PNB à l'APD (cf. Déclaration de Copenhague, 1975). Tous les pays sont en retard : moyenne OCDE = 0,22 % (0,33 % en 1997 !) ; France = 0,45 % avec les TOM (environ 0,10 %), Canada = 0,36 %, Allemagne = 0,28 %, Grande Bretagne = 0,26 %, USA = 0,08 %. Plus que de faire de nouvelles promesses, il faut tenir celles qui ont déjà été faites.

* Aménager les mécanismes de date butoir en les adaptant aux réalités de chaque pays (dette, instabilité économique, catastrophe naturelle, guerre civile par exemple).

* Démocratiser le processus de négociation chez les débiteurs en associant la société civile, souvent plus active et présente que les forces politiques au sens strict.

3. Subordonner l'annulation de la dette à un investissement dans le développement humain. Les économies réalisées en termes de devises étrangères doivent être investies, localement en monnaie locale, dans des projets sociaux et de vrai développement.

Caritas Internationalis et CIDSE ont publié début 1999 un document insistant sur la nécessité de créer des fonds de contrepartie : l’économie réalisée par le débiteur est placée dans un fonds en monnaie locale, utilisée à des projets de développement et gérée ensemble par le débiteur et les créanciers (cf. Suisse, Italie).

4. Veiller à ce que les décisions relatives à l'allègement soient prises dans la transparence, ce qui concerne les Etats tant créanciers que débiteurs : information des Parlements, de l'opinion et de la société civile, de la communauté internationale etc.

5. Revoir le système de relations financières internationales de manière à instaurer un processus équitable entre les créanciers et les débiteurs. On peut imaginer une procédure internationale de faillite ou d'insolvabilité, avec une Cour internationale neutre, lieu de médiation et d'élaboration d'une solution juste pour les deux parties.

Cela concerne également la lutte contre la corruption. Celle-ci n’est pas seulement une cause de la pauvreté ; elle en est un effet. En matière de lutte contre la corruption, trois axes de travail doivent être engagés : recrutement normal et rémunération correcte des fonctionnaires, transparence de la gestion politique et financière, action dans les pays riches auprès des corrupteurs comme le souhaite l’OCDE.

L'Eglise de France a publié deux documents à l'occasion l'un de l'année de la Charité et l'autre du Jubilé et de la dette.

En novembre 1998 le Conseil national de la solidarité insiste dans "L'urgence de la charité" sur l'action auprès de l'opinion publique à propos de la dette.

Le même Conseil et La Commission Justice et Paix ont publiés en décembre 1998, "Pour célébrer le jubilé 2000, libérer les pauvres du poids de la dette". Trois points essentiels y sont développés :

- Annuler les dettes non remboursables des PPLE, soit 100 milliards de dollars : "Ce n'est jamais que quatre fois le déficit du Crédit Lyonnais que la France a pu assumer toute seule."

- Négocier de nouvelles règles de financement international.

- Augmenter les aides publiques au développement.

2.2.2. Les collaborations entre les chrétiens et l'ensemble de la société civile aux plans mondial et français

La campagne Jubilé 2000 est née en Grande Bretagne. Lancée en 1990 elle y rassemble 90 associations, syndicats et entreprises. Elle vise principalement l'annulation de la dette des PPLE. 70 000 personnes avaient constitué une chaîne humaine lors du sommet mondial du G8 à Birmingham en mai 1998; cela avait obligé Tony Blair à s'engager.

Cette campagne a fonctionné dans presque tous les pays du monde via la collecte de signatures d'une pétition demandant l'annulation de la dette des PPLE. Dix sept millions de signatures ont été collectées dont 550 000 en France. C’est la plus importante pétition jamais organisée en termes de nombre de signatures collectées. Ainsi au Mali par exemple 25 organisations ont-elles formé un collectif qui a déjà diffusé 10 000 textes. Le Conseil œcuménique des Eglises est associé à la démarche. En Italie la Campagne a eu une forte dimension éducative et pastorale. Les actions de plaidoyer de l’Eglise sont fortes. Une collecte est organisée pour les conversions de dette. En Suisse les ONG collaborent de près avec le gouvernement. Aux Philippines la Caritas et les évêques travaillent ensemble. En Bolivie l’Eglise a mené une campagne télévisée. Au Brésil un “tribunal de la dette” s’esr tenu en avril 1999.

Une manifestation a eu lieu lors du sommet de G8 à Cologne en Allemagne le samedi 19 juin dernier : remise des pétitions et chaîne humaine afin de faire pression sur les Etats, le FMI et la Banque mondiale.

Cette campagne est animée en France par un collectif national regroupant une vingtaine d'Ong fondatrices chrétiennes et laïques qui en appellent de nombreuses autres. Le CCFD en assure le secrétariat. Autour du Conseil national de la solidarité les organisations catholiques assurent en plus une animation particulière des communautés chrétiennes; le Secours catholique assure le secrétariat de ce sous-groupe.

Il y a encore du travail de conviction à faire : selon le Baromètre de la Solidarité du CCFD en 1999, 20 % des Français veulent l’annulation, 30 % la refusent absolument (dont 33 % des catholiques).

La campagne française "Les pays pauvres ont déjà trop payé, Pour l'an 2000, annulons la dette" insiste également sur quelques propositions complémentaires importantes :

- procédure internationale d'insolvabilité ;

- cour d'arbitrage internationale qui interviendrait en cas de difficulté pour juger des responsabilités des uns et des autres; manifestement la création de la Cour Pénale Internationale l'été 1998 donne des idées à quelques uns; elle constitue un réel progrès du droit international (certains plaident plus pour une sorte de Conseil de sécurité économique doté de ressources propres et d'une meilleure représentativité) ;

- lutte contre la corruption ;

- réforme des institutions financières, car il n'y aura jamais d'équilibre sans contrepoids mutuel; ces institutions doivent être revues pour qu'elles agissent en faveur d'un développement durable. A ce propos, un groupe d’ONG française comme le Secours catholique et le CRID on mis en place un collectif pour lancer une campagne spécifique sur les IFI et l’étude des pratiques du FMI en matière de crédits (« facilités ») « pour la réduction de la pauvreté et la croissance », en lien avec les PAS.

En résumé, il y a 6 impératifs catégoriques :

- Alléger la dette

- Ne pas alléger toutes les dettes. Distinguer à l’aide de critères.

- L’allègement doit profiter aux hommes et aux femmes, aux peuples. Il faut le vérifier.

- L’allègement va de pair avec la recherche d’un ordre économique international.

- Dénoncer la corruption, partout, chez nous aussi. Il n’y a pas de corrompu sans corrupteur.

- Les investissements dans la coopération et le développement ne doivent pas diminuer.

2.2.3. Le point après les décisions de Cologne, juin 1999, les Assemblées de Washington, septembre 1999, et les décisions en cours.

Pour comprendre la situation présente il faut analyser ensemble Cologne et les réunions du FMI et de Banque mondiale.

A Cologne, en matière de dette, deux grandes décisions ont été prises :

- Une réduction de dette plus importante, plus large et plus rapide concernant les dettes publiques, 90%: 34 pays concernés sur les 42, les 41 auxquels le Malawi avait été ajouté ; un allègement de 70 milliards de dollars soit trois fois plus qu’en 1996 ; un délai de mise en œuvre variable mais diminuant de 6 à 3 ans environ.

- Cette initiative se base sur un cadre renforcé de réduction de la pauvreté et reste liée à des programmes d’ajustement structurel, à des critères de « bonne gouvernance » mais aussi à la réduction de la pauvreté.

Il en résulte que :

- seule la moitié de la dette totale des PPLE sera annulée , car on ne prend en compte que les dettes contractées avant les négociations qui ont eu lieu dans le passé.

- le service de la dette de ces pays ne disparaitra pas mais va baisser fortement. Pour le Mozambique, par exemple, ses échéances annuelles vont passer de 600 millions de dollars (qu’il ne payait que partiellement) à 70 en 2000-2003 ; en 1994 il consacrait au service de la dette 45% de son budget, et ce sera 10% en 2005 et 5% en 2010. Pour l’ensemble des pays, le service de la dette va diminuer de 60% par rapport à celui de la période 1993-1998 ; il ne représentera plus que 8-9% de leurs exportations.

- le coût pour la France serait d’environ 52 milliards de francs répartis de 2001 à 2003, compte tenu de l’annonce de M.Sauter le 22 janvier à Tokyo. Le Ministre a en effet annoncé des annulations nouvelles à 100% pour des créances commerciales. Au total cela correspond à des annulations de 57% des dettes des PPLE envers la France qui s’élèvent à environ 90 milliards de FF.

A Washington les Etats, le FMI et la Banque mondiale ont traité du financement des ces opérations.

Les pays créanciers doivent annuler bilatéralement des prêts et trouver des financements multilatéraux pour alléger les prêts consentis par la Banque mondiale, le FMI et les Banques régionales de développement.

Il faut reconnaître que le processus a été globalement positif malgré quelques acrobaties au sujet des ventres d’or du FMI. Ainsi le Fonds pour les PPLE doit s’élever à 2,8 milliards de dollars et il atteint maintenant 2,5 milliards ; ainsi la Banque Mondiale avait-elle besoin de 5 milliards de dollars et elle devrait les obtenir.

Sur quinze ans l’annulation des 70 milliards de dollars de dette en valeur nominale représentera un effort de 27,5 milliards de dollars.

Actualité récente :

La dette des pays en développement et en transition atteint actuellement 2 500 milliards de dollars ; elle est à 57% privée, à 27% due à des Etats et à 15% à des institutions internationales. La dette des PPLE est de 250 milliards de dollars et la part long terme de 170 milliards : la moitié est due à des Etats, 35% à des institutions internationales et 15% aux banques privées.

- Quelques pays viennent de se prononcer pour des annulations à 100% des créances commerciales: la Grande Bretagne, les USA, le Canada, l’Allemagne, la France lorsque le Président de la République a adressé dernièrement ses vœux au Corps diplomatique.

- L’IPPLE concerne 34 pays et on espère traiter les 3/4 en 2000. Mais une question reste délicate, celle de la conditionnalité des annulations : le lien par exemple avec les PAS, avec la lutte contre la pauvreté, et là tout le monde se défausse vers le FMI.

- Le Congrès des USA a bloqué toutes les initiatives américaines à cause de la question du « partage du fardeau » c’est le point de savoir qui supporte la charge des annulations des dettes multilatérales, à la Banque mondiale et au FMI. Des pays comme la France ont prêté beaucoup en bilatéral depuis des années et plus récemment ont annulé d’importantes dettes bilatérales ; ils disent que les autres doivent supporter une charge plus forte qu’eux pour les annulations de dettes multilatérales.

D’ailleurs la France proteste actuellement à Bruxelles car le FED vient d’affecter 1 milliard d’euros pour des annulations de dettes à la Banque mondiale ; or le FED est alimenté par des contributions volontaires et la France est la plus généreuse avec environ le quart des dons. La décision du FED revient donc à une dépense de la France de 250 millions d’euros. La France ne veut pas payer deux fois ; des annulations bilatérales et via le FED des multilatérales. Il faut savoir que concrètement une annulation de dette se retrouve dans le budget de l’Etat comme un don d’APD. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la France promet des annulations et les réalise pratiquement à chaque échéance de prêt pour étaler les dépenses dans le temps, chaque année, ce qui est logique et de bonne gestion. La France vient de promettre 7 milliards de dollars d’annulations.

- Globalement les décisions vont dans le bon sens, depuis quelques mois malgré des difficultés finalement pas trop anormales. La mobilisation des opinions publiques y est certainement pour quelque chose. Il est d’ailleurs amusant de remarquer que suite à la démission de M.Strauss Kahn, Bercy a un peu traîné et que Matignon a relancé la machine. Les représentants des ONG françaises ont rencontré le 25 janvier le Conseiller de M.Jospin ; la discussion a été très ouverte. Un des souci du Gouvernement est le lien entre toutes ces dépenses d’annulation et le respect des critères de Maastricht.

CONCLUSION


Au delà de la question de la dette, les prises de conscience des années récentes débouchent sur une action accrue en faveur de la lutte contre la pauvreté. Le FMI et la Banque mondiale vont coopérer plus, même si le FMI restera seul juge de l’allègement de la dette. Une plus grande attention sera portée au développement social. Le Président de la Banque mondiale a déclaré : « L’allègement de la dette n’est que le début de la solution, car il ne peut à lui seul résoudre le problème de la pauvreté. Nous avons un mécanisme pour aller de l’avant qui a l’avantage de faire appel aux rôles des gouvernements et de la société civile des pays concernés.

L’histoire des ces dernières années manifeste que ces deux organismes ont une culture macro-économique telle que leurs nouvelles évolutions devront être scrupuleusement observées. Les difficultés rencontrées par la construction de nouveaux mécanismes financiers internationaux illustrent leurs résistances.

Le 23 septembre 1999, le Pape Jean Paul II recevait les responsables de la campagne Jubilé 2000. Il leur déclarait : « La loi du profit ne peut pas s’appliquer-elle toute seule à ce qui est essentiel dans le combat contre la faim, la maladie, la pauvreté. L’annulation de la dette n’est bien sur qu’un des éléments de la plus grande tache consistant à combattre la pauvreté et à procurer aux citoyens des pays pauvres une place pleine et entière au banquet de la vie. (...) Les avantages résultant de l’annulation de la dette doivent atteindre les plus pauvres. (...) L’annulation est urgente. (...) Ce sont les pauvres qui paient le prix de l’indécision et des délais.
L’idée est reprise dans le Message final du Synode européen d’octobre 1999.

Quelques thèmes d’action s’imposent :

- Poursuivre la demande d’annulation totale de la dette dans certains cas et plaider pour des délais de négociation plus courts. Il faudra en particulier revoir la question des dettes multilatérales.

- Réclamer la création d’une Cour internationale d’arbitrage.

- Surveiller de près l’évolution de l’aide publique au développement: certains craignent que les annulations de dette soient compensées par sa diminution.

- Mettre en place des fonds de contrepartie. La Commission Coopération - Développement vient de mettre en place un groupe de travail à ce propos. C’est positif.

- Poursuivre le partenariat avec les pays endettés :la Campagne Dette vient de créer un « Comité consultatif des partenaires » pour harmoniser les analyses et les actions d’interpellation des pouvoirs publics nationaux et internationaux.

Quatre actions concrètes sont possibles,
car les Ong veulent poursuivre la discussion avec les responsables politiques : suites de Cologne ; utilisation des fonds ; transparence.

- Projet des Ong françaises le 19 de chaque mois d’alerter le gouvernement français et de rencontrer les élus locaux, les députés et les sénateurs par exemple, et leur demander de suivre de près l’évolution de l’aide publique au développement et l’annulation des créances lors de l’examen et du vote du budget de l’Etat.

- On envisage aussi une action forte le 19 juin 2000, date anniversaire de Cologne.

- Egalement une campagne de pétitions à l’occasion du prochain sommet du G7 au Japon, à Okinawa. C’est la Caritas anglaise qui en a pris l’initiative que le Secours catholique va reprendre en France.

- Réfléchir au partage des richesses, en famille, dans les groupes et les communautés auxquels nous appartenons, paroisse, mouvement etc. Quelles sont nos pratiques ? En quoi l’esprit du Jubilé nous stimule-t-il ?

Denis Viénot