Il faut juger les bourreaux du Timor La Croix 14 octobre 1999


Les exactions dans l’Est Timor ont été nombreuses, d’après les témoignages actuels. Elles sont d’une gravité telle qu’elles pourraient être considérées comme des crimes par les tribunaux. Mais quels tribunaux ?

Les tribunaux indonésiens sont certainement compétents puisque les atrocités ont été commises en territoire encore indonésien. Personne ne peut dire si la justice de ce pays agira pour lancer les procédures : inculpations, arrestations, jugements, exécution des éventuelles condamnations. D’autres possibilités existent, mais beaucoup plus complexes en l’état actuel des mécanismes du droit pénal.

Certains pays pourraient en effet engager des procédures si leurs ressortissants voire leurs résidents ont été victimes des milices de l’Est Timor . Encore faudrait-il qu’ils puissent ensuite se saisir des présumés coupables pour éventuellement les juger. La situation actuelle du Général Pinochet montre bien la complexité des relations entre les états en matière pénale. Quoiqu’il en soit il faut recommander aux massacreurs du Timor et à leurs chefs de ne pas trop voyager à l’étranger.

En 1998 les pays du monde entier ont décidé la création de la Cour pénale internationale. Elle fait suite aux décisions du Conseil de Sécurité des Nations Unies de 1993 et 1994 relatives à la création de tribunaux ad hoc pour la Yougoslavie et le Rwanda, bien connus depuis l’inculpation du Président Milosevic.

Cette Cour n’existera cependant que lorsque soixante pays auront ratifié sa constitution, ce qui devrait nécessiter quelques années.

La nouvelle juridiction pourra alors juger les auteurs de génocides, de crimes contre l’humanité dont les attaques massives contre les civils, les auteurs de crimes de guerre et d’agressions criminelles. Mais il ne semble pas qu’elle pourra juger les actes criminels du Timor de 1999 car le principe de la non-rétroactivité des lois pénales conduira sans doute à ce que laCour ne puisse agir que pour les crimes commis après sa mise en place.

Des voies d’action existent donc actuellement, tribunaux indonésiens et tribunaux étrangers, mais elles sont imparfaites et peu certaines.

C’est la raison pour laquelle de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer la constitution d’un tribunal ad-hoc par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Cette demande est justifiée : seule une telle décision permettra avec certitude d’engager des procédures à l’encontre des principaux responsables, surtout s’il apparaît au cours des enquêtes qu’il y a eu un réelle volonté d’éliminer tout ou partie d’une population entière, s’il y a eu des exécutions sommaires et des actes de torture. De plus pouvoir engager des procédures contre les hauts responsables militaires par exemple serait une manière efficace de soutenir les démocrates indonésiens.

La création de ce tribunal spécial est aujourd’hui demandée par la Conférence des évêques de Timor-Est soutenue par le Saint Siège, par de nombreuses Caritas d’Europe, par Caritas Internationalis, par des Ong comme Pax Romana. Le Parlement européen vient également de prendre un délibération allant dans le même sens, appuyant la demande de Mme Mary Robinson, Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme.

Ce mouvement général s’inscrit dans l’évolution des mentalités de ces dernières années, marquées par la meilleure connaissance que nous avons de ce qui se passe d’horrible dans le monde. De plus les réflexions sur la souveraineté des états tendent à mettre en avant le droit d’ingérence : lors de l’ouverture de l’Assemblée Générale des Nations Unies, le Secrétaire Général vient de prononcer un discours allant dans ce sens.

Il paraît donc légitime d’envisager de juger les criminels présumés de Timor-Est. Mais l’actualité plus ou moins récente pose aussi la question d’autres actions juridiques envers d’autres responsables éventuels. Que l’on songe au Soudan, à l’Angola, aux drames d’Amérique latine ou d’Asie même si la distinction est souvent délicate entre faits de guerre et crimes de guerre. La morale et les victimes ont besoin du passage par la sanction. La réconciliation ne peut être que le résultat d’un processus partant de la vérité, passant par la justice et conduisant au pardon. Telle est la voie à parcourir pour que l’avenir soit viable au Timor comme dans tant de régions du monde. Dans l’attente de la mise en place de la Cour pénale internationale, il est donc nécessaire de créer un tribunal ad-hoc pour le Timor, comme ceux de Yougoslavie et du Rwanda.