Construire une Europe plus humaine
La Croix 8 juillet 1999

Les 49 Caritas d'Europe insistent régulièrement sur les défis économiques et sociaux auxquels sont confrontés tous les pays européens, les quinze de l'Union Européenne et les autres. Elles relèvent les inégalités sociales croissantes, le nombre en augmentation des personnes touchées par la pauvreté, le chômage qui constitue l'un des principaux problèmes sociaux.

Dans les pays de l'Union différents modèles de protection sociale cohabitent, articulés autour de deux systèmes : un financement à partir de l'activité salariée via des prélèvements sur les salaires et des charges patronales, ou un financement majoritaire par l'impôt complété par des régimes plus ou moins facultatifs. ("Alternatives économiques", n°41, 1999).

Un rapport de janvier dernier de la Commission Européenne analyse les mécanismes de revenus minimum existant dans treize pays, l'Italie et la Grèce n'ayant pas mis en place de tels systèmes. Partout ces revenus minimum accompagnés des aides qui leurs sont reliées - allocations familiales, aides au logement, etc. - sont d'ultimes filets de protection sociale s'adressant aux plus pauvres pour tenter de couvrir leurs besoins essentiels sans exiger d'eux des cotisations préalables.

Mais la générosité et la justice sociale sont fort fluctuantes. Certes les comparaisons sont délicates en ces matières. Elles ont cependant l'avantage d'être faites “ en parité de pouvoir d'achat ”, c'est à dire en éliminant les différences de niveau de prix entre les pays.

Ainsi une famille monoparentale avec deux enfants apparaît-elle globalement mieux soutenue, dans l’ordre, en Finlande, au Luxembourg, au Danemark, aux Pays Bas, et moins bien au Portugal, en France -avant dernière de la générosité-, en Irlande ou en Allemagne. L'écart varie de un à un peu plus de deux entre les situations extrêmes, celles du Portugal et de la Finlande.

Tout comme l'étonnement est grand au sein de certains pays à propos de la faiblesse des montants perçus par les bénéficiaires du revenu minimum, il convient ici de s'interroger sur les fortes disparités entre les aides attribuées selon les pays.

De plus le nombre des bénéficiaires a augmenté depuis une dizaine d'années du fait du chômage et des ruptures familiales ou sociales : éclatement de la famille, migration forcée, absence de logement, surendettement, emprisonnement. Deux catégories sont sur-représentées : les personnes seules, majoritairement des hommes, et les femmes seules avec enfants.

Et une proportion significative de ces bénéficiaires travaille, la moitié en Suède, 13 % en France, 7 % en Allemagne, mais il s'agit d'emplois précaires souvent à temps partiel. A la sortie du système l’activité stable est modeste : 27 % en France, 15 % au Danemark, 13 % en Espagne.

Ces constats manifestent l'urgence d'une volonté plus forte de lutte contre la pauvreté et l'exclusion qui ne figure ni dans les vraies priorités actuelles de l'Union Européenne ni dans celles de certains de ses membres. Le modèle social européen est trop souvent idéalisé : il permet certes de ramener de 30 % à 10 % le nombre des familles pauvres. Est-ce suffisant ?

Or le traité de Maastricht insiste sur la nécessité d'un “ niveau d'emploi et de protection sociale élevé ”. Mais l'approche privilégiée de la lutte contre la pauvreté par les effets positifs du développement économique global ne tient pas suffisamment compte des Européens les plus marginalisés. La Charte sociale européenne n'y change pas encore grand chose.

Le chemin est encore long pour aller vers une Europe plus sociale et plus humaine, d'autant que la situation chez ses nouveaux adhérents potentiels y est encore plus délicate. L'élargissement indispensable du projet européen à la dimension sociale par, entre autres aspects, plus de compétences de l'Union en ces matières, serait significatif d'une évolution de l'approche économique et libérale alors que tant d'Européens sont laissés à la marge du modèle “ Euro ”.