Tout est à reconstruire au Kosovo
La Croix 3 août 1999


Des soldats italiens gardent un campement de tziganes à l'entrée de Dakovica, autrement également appelée Gjakovë, ville située dans l'Ouest du Kosovo près de la frontière albanaise. Leur action de prévention s'exerce dans des conditions difficiles. Sous un soleil brûlant deux énormes chars et une quinzaine d'hommes abrités derrière des sacs de sable assurent la sécurité de 1 500 personnes dont de nombreux enfants.

Les tensions sont fortes dans toute la région et particulièrement envers ces Tziganes accusés d'avoir été des collaborateurs ou des supplétifs des Serbes qui ont massacré à tour de bras et incendié des milliers de maisons en ville et surtout dans les villages des environs.

La peur est partagée à un tel point qu'un médecin albanais musulman refusera de venir porter secours à un bébé mourant dans le campement tzigane de crainte d'être accusé de la mort de cet enfant si celle-ci survenait. Mais ce même médecin fera son devoir en trouvant un confrère étranger pour intervenir. Homme courageux il est resté à son poste à l'hôpital de la ville au plus fort de la crise récente, avec une trentaine de médecins albanais musulmans et deux collègues serbes.

Un peu plus au sud un homme albanais musulman d'une quarantaine d'années raconte l'horreur qu'il a vécue, terré trois semaines dans un trou étroit protégé par une tôle. Il se trouvait dans l'arrière cour de sa ferme occupée puis dévastée et incendiée par des Serbes ; il ne sortait discrètement qu'au milieu de la nuit pour chercher un peu d'eau et de nourriture. Il rejette avec rage l'idée d'une vie ensemble avec toutes les populations de l'ancien Kosovo, Serbes orthodoxes et Tziganes particulièrement.

Tout le monde sait aujourd'hui que des maisons serbes brûlent chaque nuit au Kosovo ; et selon l'ONU au moins 70 000 maisons d'Albanais musulmans ont été détruites par les Serbes et leurs alliés ces derniers mois particulièrement. L'estimation de la totalité des morts et des violences ne sera jamais complète, ni celle des destructions du matériel agricole par exemple. Ces dernières et les mines disposées par les Serbes entravent les récoltes en cours qui ne devraient atteindre en 1999 que 20% de la normale.

Les soldats italiens, comme ceux des autres armées engagées sur place, et ce médecin sont les signes tangibles d'un espoir nécessitant les efforts de tous pour sortir du cercle de violences et de répressions dramatiquement justifiées par des références incessantes aux passés. Tout est à construire ou à reconstruire au Kosovo, les maisons et les cœurs, le fonctionnement démocratique et les relations humaines.

C'est la tâche à laquelle doivent se consacrer d'abord les Kosovars de toutes races et religions et ensuite les pays étrangers, leurs Etats, leurs collectivités territoriales, leurs mouvements les plus divers, leurs entreprises et leurs ONG. La naïveté n'est pas de mise : il ne servira à rien de prononcer des formules incantatoires à l'égard des bons et des méchants ; ce serait à la fois trop simple et faux, même s'il ne faudra pas oublier la terreur qui a régné depuis dix ans d'abord du fait des exactions du régime de Belgrade puis de celles de l'Armée de libération du Kosovo, la fameuse guérilla UCK. Elle refuse de donner, ou ne peut pas donner par faute d'informations disponibles, des indications sur les mines qu'elle a installées.

D'importants programmes non discriminatoires de distributions alimentaires et de produits nécessaires à la vie courante, équipements ménagers par exemple, ont lieu ainsi que le début des reconstructions des maisons, la relance du système scolaire pour la rentrée de septembre, et la remise en place d'un réseau de santé auquel l'Organisation Mondiale de la Santé, l'OMS, s'est attelée avec efficacité semble-t-il. Par ailleurs la nouvelle Administration que met en place l'ONU sous la direction de M.Kouchner veut créer des Conseils administratifs et politiques intégrants les différentes composantes de la société afin de commencer à préparer l'avenir.

L'esprit de toutes ces actions est de viser dès maintenant et sans naïveté à la promotion d'un esprit de réconciliation. Toutes les parties intéressées savent que cela sera très long; certains, sous le choc des horreurs, crient que cela sera impossible. La responsabilité de tous, au Kosovo et à l'étranger est de tout faire pour que cela s'engage.