Un cri de désespoir des chômeurs et des précaires
Nombreux sont ceux qui connaissent l'alternance d'une activité rémunérée en dessous du seuil de pauvreté et des mécanismes d'indemnisation fortement dégressifs

Les actuelles manifestations de chômeurs frappent par la nature de la revendication élémentaire pour un revenu d'existence, soit une allocation de fin de droits ou un minimum social. Cela échappe à toute récupération idéologique. Nous sommes dans le registre de la lutte pour la survie. C'est plus un cri de révolte qu'une revendication structurée et élaborée par des états-majors. Les témoignages des chômeurs en lutte sont dénués de fioritures : « Si nous n'avons pas grand-chose à gagner, nous n'avons plus rien à perdre!»
La dégressivité des allocations de chômage, alliée à l'augmentation continue, depuis presque deux ans, du nombre de chômeurs de longue durée (1166100 en novembre 1997) pose aux chômeurs et à leurs familles d'insurmontables problèmes de solvabilité, il existe une corrélation évidente entre ce constat et l'augmentation des situations de surendettement, et plus simplement d'impayés de loyers, d'eau, de gaz, d'électricité, de transport.

Dans ce contexte, la réforme des fonds sociaux des Assedic, entrée en vigueur en octobre dernier, a fait déborder le vase! C'est un peu comme si les Assedic s'étaient, adressés aux chômeurs en leur disant : « Ce n'est pas parce que vous êtes faiblement indemnisés que vous avez des difficultés, c'est parce que vous ne savez pas bien gérer votre budget avec le peu d'argent que l'on vous donne. »

En renvoyant l'attribution des aides matérielles sur les fonds de solidarité logement, les fonds d'impayés EDF-GDF, les syndicats de transports, voire des associations caritatives, les Assedic ont banalisé la situation du chômeur, le coupant un peu plus des liens ténus qui le rattachaient au monde du travail. Par ailleurs, les structures spécialisées au niveau local n'apportent qu'une aide partielle alors que les fonds sociaux étaient généralement plus généreux dans les situations critiques.

De plus, la suppression de l'aidé aux chômeurs créateurs ou repreneurs, d'entreprises (Accre), sous forme d'aide en capital de départ, a étouffé pour beaucoup l'espérance de créer leur emploi par leur propre activité. Les mesures d'économies de charges sociales qui l'ont remplacée se révèlent 'beaucoup moins efficaces. Les travailleurs précaires (contrats à durée déterminée, intérimaires, contrats emploi-solidarité) ne sont pas dans le système de l'assurance-chômage. Cependant, leur situation matérielle est comparable à celle des chômeurs faiblement indemnisés. Aujourd'hui, même le travail -précaire- ne protège plus de la pauvreté. Nombreux sont ceux qui connaissent l'alternance et la double précarité d'une activité rémunérée en dessous du seuil de pauvreté et des mécanismes d'indemnisation fortement dégressifs, il est urgent que tous, à commencer par les partenaires sociaux, entendent ce cri de désespoir des chômeurs et des précaires.

En 1996, 442 000 chômeurs ont été reçus dans les accueils du Secours catholique, soit près de 15 % des chômeurs inscrits à l'Agence nationale pour l'emploi. La quasi-totalité d'entre eux percevaient moins de 4 000 francs par mois (ils sont en France 1400 000 chômeurs dans ce cas). Soutenir et accompagner les projets individuels, briser le mur de la solitude et du silence, le Secours catholique et les associations s'y emploient. Donner à tous ceux qui sont privés d'un emploi stable les moyens de vivre décemment et non de survivre dans la misère, voilà un défi à relever par le gouvernement et les partenaires sociaux. Cela passe par la remise à plat du système d'indemnisation de l'assurance-chômage, par la réévaluation des minima sociaux et le développement de la solidarité.

Les partenaires sociaux semblent aujourd'hui davantage agités et perturbés par la perspective des 35 heures. La réussite de ce passage dépendra du nombre d'emplois qu'il permettra de créer, traduisant concrètement l'idée de partage. De plus en plus, l'efficacité des politiques sociales et la cohésion de la société seront fonction de l'effort de solidarité que nous nous imposerons à nous-mêmes : prélèvement sur la richesse, sur les ressources, redistribution équitable et partage de la marchandise la plus rare en cette fin de millénaire : le travail.

Denis Vienot est secrétaire général du Secours catholique.