« Grain de sel » est une rubrique mensuelle du journal Messages
tenue par Denis Viénot durant la période 1991 à 1998.


Réconciliation et développement

Face à la violence, la réconciliation devient un champ d'action. Les conflits ethniques, les tensions religieuses ou les volontés de domination sont au cœur des violences, des guerres, des guérillas, des révoltes et des exactions.
La réconciliation n'est pas un discours théorique mais le projet de faire vivre et travailler ensemble ceux que presque tout semble opposer. La naïveté n'est pas de mise : il n'y a pas de réconciliation sans au préalable vérité et justice.
Au Mexique, des communautés indigènes ont été spoliées de leurs terres. Les agresseurs ne respectent pas la législation agraire et restent impunis, voire soutenus par l'armée. Le pouvoir judiciaire est en cause. Il n'y aura pas de développement sans rétablissement des droits.
En Inde, pays d'hindouisme et de culture ancienne, un processus de décentralisation politique a permis l'émergence politique de villageois de basses castes autrefois opprimés ou exclus. Ils ont été élus dans des conseils municipaux. Leur citoyenneté conquise dans la dignité contribue à leur développement et réhumanise les communautés tout entières.
Souvent celles-ci agissent ensemble contre le fléau de la pauvreté et pour ne pas tomber dans le piège du fondamentalisme hindou montant. L'organisation communautaire devient un moyen de dialogue : « Hindou, chrétien, musulman ou sikh en situation de pauvreté, nous sommes tous égaux. Il faut se rassembler et agir ensemble. »
Au Sud Liban, la tension reste vive : accrochages et bombardements sporadiques. La Caritas y poursuit un travail de reconstruction et de développement économique et spirituel. Un dispensaire mobile circule dans les villages où se réinstallent les déplacés. Deux valises chapelles viennent d'être remises au vicaire général pour les prêtres qui desservent des villages encore à demi-dévastés où les églises sont en ruines.
Dans l'Ancien Testament, "aimer son prochain comme soi-même" signifie faire l'expérience de la solidarité de clan au sein de la famille ou de la nation, mais com¬porte un certain sentiment d'hostilité envers celui qui est extérieur au groupe. Le Christ renverse cette proposition pour établir une solidarité intégrale de tous les hommes : tous sont appelés à constituer un seul peuple.

Planter de I'espoir

Plus de distribution systématique, organiser des achats alimentaires responsables. Tel est I’axe de travail de nombreuses équipes locales du Secours Catholique. Le phénomène engagé il y a plusieurs années se répand comme une traînée de poudre.
Epicerie sociale à Compiègne, Jardins fleuris en Mayenne, Muscade à limoges, Marché des familles en Gironde et à Grenoble, Boutique familiale à Saint-Malo, cours d'économie familiale à Laval ou à Lyon, groupement d'alimentation familiale à Sallanches, à Montpellier ou à Angers : quelques exemples fondés sur Ie principe de la gestion améliorée de budgets modestes. Cela passe par des achats groupés, donc moins chers, par du temps à se former à la gestion d'un budget, par la réflexion sur I'utilisation des économies réalisées soit pour I' achat de matériel électroménager en évitant les pièges des crédits pas chers, soit pour Ie remboursement des dettes. Souvent ces nouveaux lieux deviennent des points de rencontre, de dialogue et d'amitié.
Les collaborations sont fréquentes avec d'autres associa¬tions visant également I'action éducative plus que simplement distributive. Des conseillères en économie sociale et familiale sont associées comme des communes voire des Directions départementales de I'action sociale.
Des milliers de familles sont ainsi concernées et associées. Elles prennent peu à peu en mains leurs budgets. Avec Ie soutien de bénévoles, elles deviennent responsables ; elles se forment, parfois au calcul ou à la comptabilité pour gérer I'activité. Partout la convivialité se développe. Comme le dit une chanson brésilienne, quand on rêve seul ce n'est qu'un rêve, mais quand on rêve ensemble c'est Ie début de la réalité.

Le pétrole du Soudan

Une compagnie pétrolière canadienne va exploiter le pétrole du sud-Soudan. Arakisinternational, c’est son nom, a signé un accord avec le gouvernement arabe et islamiste de Khartoum pour construire en trente mois un oléoduc du Sud du pays jusqu’à la mer Rouge. Cela a pu se faire grâce à la complicité de deux chefs dissidents de la guérilla africaine, animiste et chrétienne du Sud, sans doute manipulés par le gouvernement du Soudan. John Garang, le leader de l'Armée de libération du peuple soudanais (Spla) a critiqué l'accord qui, selon lui, fournirait des devises au Nord et permettrait le financement de la guerre. Il a averti de son intention d'attaquer les installations pétrolières.
Le gouvernement de Khartoum a-t-il donné des ga¬ranties ? Avec l'aide de quels soutiens étrangers? On imagine mal de lourds investissements alors que l'in¬sécurité règne.
Une fois de plus tout est ambigu au Soudan où la guerre fait rage. Combien d'années faudra-t-il at¬tendre pour que des négociations de paix s'engagent?
Les délégations du Secours Catholique ont été mo¬trices dans une récente campagne d'information et de prières organisée avec l'Acat, le Ccfd, la Cimade et Pax Christi (voir Messages de décembre page 25). Elles ont écrit aux députés et sénateurs de leurs dépar¬tements et ont reçu 80 réponses dont seize faisaient part de la décision des parlementaires de poser une question écrite au ministre des Affaires étrangères.
En avril prochain, ces délégations relanceront leur campagne pour que le Soudan ne soit pas oublié. L'important soutien financier du Secours Catholique et des Caritas aux populations de ce pays doit s'accompagner de la construction de solutions d'avenir.

L’avenir du Nil

Dans trente ans la population du bassin du Nil aura doublé. Il y aura 600 millions d'habitants dans dix pays, du Zaïre ou de l'Ethiopie jusqu'à l'Egypte Or le Nil, quoique le plus long fleuve du monde, a un débit relativement faible et de plus en diminution régulière : 40 % de moins en un siècle. Certains pensent qu’il s'agit d'un phénomène cyclique normal, d'autres affirment qu il s'agit du résultat d'évolutions climatiques irréversibles.
Le journal le Courrier édité par l'Union européenne, dé¬crit dans son numéro de janvier-février 1997 la pression qui sera exercée sur cette ressource naturelle.
Plus d'habitants, c'est d'abord plus d'eau pour la consommation humaine directe. C'est aussi un déboisement accru qui réduit la capacité des terres à retenir l'eau. C'est enfin plus d'irrigation, vitale pour le développement agri¬cole, et plus de besoins industriels.
Des travaux d'infrastructures seront indispensables particulièrement au Sud Soudan où la moitié de l'eau qui arrive d'Ouganda et du Zaïre se perd dans d'immenses marais. La construction d'un canal y a été arrêtée par la guerre ci¬vile en 1984. De plus, certains écologistes critiquent ces projets qu'ils considèrent comme dangereux.
Différents traités ont déjà été signés pour l'organisation globale de la ressource hydraulique de cette vaste région. Le temps presse. Or, Il s'agit d'une zone de tensions politiques et de conflits armés, tant près des grands lacs africains que face à l'intégrisme au gouvernement du Soudan.
Comme l'écrit le Courrier, « le retard à faire face à la réalité menace la prospérité même des générations futures. II y a nécessité d'une coopération intensive entre les pays riverains du Nil... avant qu il ne soit trop tard».
Bel exemple d'un combat à mener pour l'eau qui concerne toute notre planète.