Le risque d'en rester à l'idée
SAMEDI 3 MAI 1997
LA CROIX

Axes : la fraternité, l'option préférentielle pour les pauvres, l'équité


L'attitude de clémence partielle de la justice française envers une jeune mère de Niort qui vole par nécessité pour nourrir ses enfants est-elle un acte de solidarité? La non-assistance internationale aux réfugiés rwandais, sorte de nouveaux SDF internationaux, est-elle un acte de non-solidarité? La réponse est positive dans les deux cas.

Le concept juridique de solidarité naît au XVIIe siècle pour souligner l'unité des créanciers face à un débiteur (Petit Dictionnaire de la charité, Secours catholique, Des clée de Brouwer, 1996).

La solidarité est aujourd'hui une vertu morale pour une organisation de la société. Elle vise à l'intégration de tous. Elle organise un lien indissociable entre charité et justice. Plus largement, la solidarité vise la promotion des relations entre les personnes et particulièrement avec celles qui sont pauvres, exclues, marginalisées. La solidarité veut implicitement un ordre plus juste et plus fraternel.

La campagne électorale qui s'engage en France fait surgir de tous bords le désir de mise en œuvre de projets de société dont les contenus ne sont guère explicités, comme si l'incantation suffisait.

La solidarité court le risque de rester un concept, une valeur dont la mise en œuvre concrète compte moins que son évocation. L'absence de moyens financiers significatifs pour la défunte — pour l'instant ? -loi de cohésion sociale en est un signe. Que dire de la solidarité bafouée par les futurs arrêtés antimendicité que prépare l'arrivée des touristes de l'été ?

Or, les Français mettent la lutte contre l'exclusion, donc le développement de la solidarité réelle, en second rang de leurs préoccupations, comme le démontrait un sondage Sofrès réalisé en septembre dernier pour La Croix et le Secours catholique. Le fait que le combat contre le chômage arrive en tête corrobore l'existence d'une crise sociale profonde.

L'enjeu est l'articulation entre la solidarité individuelle et la solidarité de société. L'amélioration de l'emploi touche chacun. Qui n'est pas concerné personnellement ou à travers ses proches ? La solidarité intra-familiale se développe : financièrement elle correspond à 60 % du montant des prestations distribuées par les caisses d'allocations familiales.

La solidarité, « c'est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun. C'est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que nous sommes tous vraiment responsables de tous » (Jean-Paul II, Sollicitude rei socialis, n° 38). L'action de solidarité met donc en œuvre des actions structurelles dont le but est de rendre chaque personne, chaque citoyen, plus capable de création et de partage. Une société s'appauvrit en marginalisant des hommes et des femmes rendus incapables de participer à son développement. Les intérêts collectif et individuel sont solidaires : l'économie rejoint la morale, n en est de même dans les relations internationales, particulièrement avec les milliards d'habitants des pays pauvres.

Face au risque d'une solidarité théorique, face à l'enjeu de solidarités de niveaux différents à combiner, il n'y a pas de solution unique à mettre en œuvre. Trois axes inspireront les orientations d'action concrète : la fraternité, l'option préférentielle pour les pauvres, l'équité.

Les Africains évoquent souvent « l'Église famille » qui s'engage à considérer tout homme comme un frère : accueil de chacun, respect de sa dignité, prise en compte de ses besoins matériels. C'est une façon concrète de vouloir le bien commun. La société tout entière peut y adhérer pour que chacun ait une place. C'est ainsi que des politiques d'éducation et de prévention collaborent à l'équilibre général et que des règles économiques internationales permettront la justice entre le fort et le faible.

Mais l'exercice de la solidarité nécessite une attention particulière à l'égard du plus pauvre. L'option préférentielle pour les pauvres trace le choix d'une solidarité, priorité contre Pégoïsme ; elle est une ouverture à la relation de proximité et à l'action contre les causes de la misère.

L'équité veut une égalité différentielle qui tienne compte de la position relative de chaque personne. Sur ce principe, les élèves de familles modestes perçoivent des bourses, pas les autres. L'équité met donc en œuvre des politiques de discrimination positives. Mais toute la question est celle des critères et du consensus social à construire.

Cela ne peut se faire que dans un esprit de tolérance consistant à croire que cha¬cun a des potentiels qui peuvent être mis au service de la construction d'une société juste et fraternelle, associant tous les hommes quels qu'ils soient.


Denis Viénot
Secrétaire général du Secours catholique