SECOURS CATHOLIQUE

DV/CL - 364
Paris, le 18 novembre 1991
LE SECRETAIRE GENERAL
Droit d'asile, « sans-papiers »... Quelle politique d'immigration ?

Semaines Sociales de France 22 novembre 1997


Introduction :

Le thème de notre carrefour se termine sur un joli point d'interrogation : « Quelle politique de l'immigration ? »

S'agit-il de celle que nous avons ou de celle que nous voulons pour notre pays 1 J'avoue avoir plus ou moins contribué à l'ambiguïté alors qu'avec les responsables des Semaines Sociales je souhaitais que l'on traite du droit d'asile et des sans-papiers. Mais c'était le 20 mai dernier, 6 jours avant le premier tour des élections législatives. Depuis lors sont intervenus plusieurs événements importants concernant notre sujet : d'abord la circulaire du 24 juin sur le ré-examen des situations, puis le rapport de Patrick Weil, cet été, traitant de l'application du « droit du sol pour l'attribution de la nationalité française » et de propositions relatives à « une politique de l'immigration juste et efficace » ; ensuite deux projets de loi, l'un relatif à la nationalité, présenté par Mme Guigou, l'autre relatif à « l'entrée et au séjour des étrangers en France et à l'asile », présenté par Mr Chevènement.

Les questions de l'asile politique et de la situation des sans-papiers permettent de bien poser le débat par leurs caractères exemplaires et symboliques, par l'éclairage qu'elles apportent sur les valeurs fondamentales. S'il en est une qui est centrale pour nous, ici, ce doit être le respect de la dignité de la personne humaine. S'y rattachent les droits de cette personne.

Nous allons centrer notre échange sur la France. N'oublions cependant pas que ce sont les pays du Sud qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés, et de loin. N'oublions pas que s'y trouvent également l'essentiel des 30 millions de déplacés, ces personnes déracinées au sein de leur propre pays, dont 15 % seulement bénéficient d'une protection internationale. Pensez au million de Soudanais du Sud déplacés au Nord dans des conditions dramatiques !

Pour alimenter notre débat, voici quelques éléments significatifs et non exhaustifs, relatifs à la situation en France.

I. Le droit d'asile

L'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) est un établissement public français sous tutelle du Ministère des Affaires Etrangères qui est chargé de statuer sur l'attribution du statut de réfugié. Il existe une Commission des Recours des Réfugiés (CRR).

En fonction d'une jurisprudence du Conseil d'Etat, ces deux entités apph'que -*/ de façon restrictive la Convention de Genève de 1951 relative au statut du réfugié malgré les recommandations du Haut Commissariat aux Réfugiés. La France ne tient compte que des persécutions perpétrées ou volontairement tolérées par l'Etat et refuse de considérer les situations dans lesquelles les agents de persécution sont des groupes armés d'opposition, des guérillas, en un mot d'autres personnes que les représentants de l'Etat. Cette attitude ne correspond en rien aux réalités humaines et politiques du monde de 1997.

Le sujet est mis en avant depuis des années par la Pastorale des Migrants, le Secours Catholique, la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme et d'autres organismes reconnus.

Le rapport Weil, puis le projet de loi du Ministère de l'Intérieur, ne sont pas clairs à ce propos. Ils donnent l'impression de vouloir étendre le champ concerné aux « combattants de la liberté » sans définir réellement ce concept constitutionnel. Mais les persécutés par des groupes armés ne sont pas forcément des « combattants pour la liberté », plutôt des victimes qui ne savent pas toujours pourquoi ils sont menacés.

Il faudrait être plus clair en précisant dans la loi que le statut de réfugié est accessible à toute personne persécutée, quel que soit l'auteur des persécutions. Cela pourrait par exemple concerner des Algériens menacés nommément de mort par les islamistes.

Une pratique actuellement discrétionnaire trouve place dans le projet de loi : c'est l'asile territorial, pouvant être accordé par le Ministre de l'Intérieur à un étranger non reconnu comme réfugié en France et qui serait exposé à des risques réels pour sa sécurité s'il était renvoyé dans son pays. Il s'agit de la légalisation positive d'une pratique confidentielle et assez modeste. C'est un palliatif : actuellement les intéressés ont une autorisation provisoire de séjour qui pourra être renouvelée ; mais elle ne donne pas droit directement au travail ni accès aux droits sociaux. La nouvelle loi attribuera une carte de séjour d'un an. Mais le délai pour obtenir ce statut sera-t-il aussi long, sans accès au travail ou aux prestations sociales ? Cette notion d'asile territorial, plutôt que de remplacer à bon compte le statut de réfugié, devrait s'appliquer lors d'un afflux massif de demandeurs qui ont besoin de protection, le temps nécessaire pour qu'une solution plus permanente soit envisagée (cas de guerre en ex-Yougoslavie par exemple).

II. Le regroupement familial

Cela fait partie des sujets à propos desquels un certain nombre d'organisations chrétiennes viennent d'écrire aux parlementaires : CIMADE, ACAT, Pastorale des Migrants, CCFD, Secours Catholique, etc.

Le principe est qu'un étranger résidant régulièrement en France doit pouvoir y faire venir sa famille sous réserve du respect de quelques conditions. Le projet de loi de Mr Chevènement va dans le bon sens, celui d'un certain assouplissement des critères, mais il devrait aller plus loin. Il n'est pas certain qu'il faille aller aussi loin que la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme qui propose tout simplement la suppression de la procédure administrative de regroupement familial car selon elle il devrait être de droit pour la famille de tout étranger en situation régulière.

Voilà un point qui pourra alimenter notre discussion de tout à l'heure.

Il se rapproche de certaines positions radicales comme celles du GISTI par exemple qui prône l'ouverture des frontières. Patrick Weil répond à cela (« Le Monde » du 23.09.97) : « Ce qui est anormal et attentatoire à nos valeurs, c'est que l'Etat de droit affiche des principes qu'il ne respecte pas, que la constitution garantisse l'asile aux combattants de la liberté et que ce ne soit pas effectif,, que l'on prétende garantir le droit de vivre en famille et que dans la pratique ce droit soit entravé. Mais que les Etats contribuent à l'accès aux droits qu'ils affichent, c'est dans leur nature même »

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III. Les sans-papiers

Ces étrangers vivent en France sans document de séjour. Ils sont parfois arrivés grâce à des filières de passage clandestin. Certains sont des déboutés de l'asile restés sur place. D'autres se sont vu notifier un refus de séjour : jeunes entrés hors regroupement familial, touristes restés en France, conjoints entrés illégalement, etc. D'autres encore ont pu vivre en situation régulière puis se voir refuser le renouvellement de leur séjour : étudiants, chômeurs... Certains ont été condamnés pénalement, parfois pour simple défaut de papier avec interdiction de territoire.

Il y a des isolés, présents en France depuis 3, 5 ou 10 ans, ayant rompu toute attache au pays ou craignant des persécutions non reconnues par l'OFPRA ; il y a aussi des étrangers qui ont créé des liens forts ici où vivent en famille.

Les cas sont donc multiples et complexes.

A certaines époques des régularisations ont lieu comme actuellement, ou après les circulaires relatives par exemple aux parents d'enfant français qui n'étaient pas expulsables, ou aux déboutés de l'asile en 1991, qui avaient reçu une réponse très tardive et avaient une insertion professionnelle.

La circulaire du 24 juin 1997 vise une dizaine de situations différentes avec des critères soit précis, soit plus flous selon les catégories. Ainsi le conjoint d'étranger en situation régulière doit-il faire la preuve d'un an de mariage, d'absence de menace à l'ordre public, du séjour régulier de l'autre conjoint, et pour lui soit de 5 ans de séjour en règle ou non soit de la présence en France d'un enfant à charge... Ainsi le mineur de plus de 16 ans et le jeune majeur entrés hors regroupement familial doivent-ils prouver la régularité du séjour des parents, l'absence de menace de l'ordre public et 5 ans de scolarité en école française.

La question des sans-papiers interroge l'accueil et la protection par l'Eglise, ce que le Droit Canon appelait « l'asile dans l'Eglise ».

Il peut y avoir conflit entre la compétence de l'Etat et la vision d'Eglise des Droits de l'Homme,-«et Récemment en France des églises ou des communautés chrétiennes ont accueilli des étrangers victimes de la non-prise en compte de leur droit de vivre en famille.

On admet généralement que divers principes doivent être pris en considération :

- Il s'agit de protéger une personne et pas de faire valoir des revendications politiques.

- Il ne s'agit pas de soustraire une personne à la justice ou à l'administration, mais bien de l'aider à faire prendre en compte sa situation réelle.

- La personne en cause est le centre des réflexions et des actions. Elle doit être informée des risques et limites de l'asile dans l'Eglise.

- Les responsables de l'église doivent contrôler le bien fondé de la demande justifiée uniquement si l'intégrité physique, la vie et la liberté, du réfugié par exemple, est en danger.

- L'asile dans l'Eglise n'est à utiliser qu'en dernier recours.

- Il ne peut être accordé que par les paroisses ou les communautés chrétiennes qui sont alors prêtes à supporter les sanctions prévues par la loi, prêtes à soutenir cette action pendant les semaines, les mois et parfois les années qu'elle supposera.

Sur ce sujet des « sans-papiers » on ne peut accepter que des personnes soient de fait tolérées en France (inexpulsables) mais sans statut et sans possibilité d'avoir des ressources légales pour vivre avec dignité.


De nombreux étrangers ont droit à leur place et donc à toute leur place dans la société française.

Le rapport de Patrick Weil reprend cependant in fine le sujet de la participation de notre pays au développement économique, social voire politique de pays du Sud et l'Est. L'immigration italienne d'avant guerre a disparu ; l'immigration espagnole a disparu. De nombreux chiliens et argentins se sont réinstallés dans leur pays d'origine. Le développement économique et la démocratie - pas forcément à organiser selon les modèles dominants - doivent être encouragés plus fortement. La France y a sa part de responsabilité ; l'Europe aussi qui a par exemple conçu un programme méditerranéen encore balbutiant mais qui reste l'un des principaux intervenants face aux besoins du développement, avec un souci manifeste de collaboration avec les ONG et la société civile.

Pour l'instant les préoccupations de notre carrefour vont être plus locales, plus françaises afin de nous permettre de contribuer aux réflexions en cours sui certains aspects de la politique d'immigration.

Denis VIENOT