LES GRANDES VOIES DE LA SOLIDARITE HUMAINE |
En cette fin du 20ème siècle, le panorama de la situation de notre monde peut apparaître plus sombre que lumineux, inspirant à première vue davantage le pessimisme que l'espérance. Bien loin des "lendemains qui chantent", tant annoncés et espérés, nombreux sont les nuages à l'horizon de notre planète : >Les conflits multiples - guerres de chefs pour la prise du pouvoir, conflits religieux, affrontements ethniques - se caractérisent par leur violence : les civils n'y sont plus des victimes indirectes, mais la cible. Les règles de droit international laborieusement mises au point au cours des siècles pour le respect du droit de la guerre et des droits humanitaires sont bafouées : lors de la 1ère guerre mondiale, 5% des victimes furent des civils. Dans les conflits actuels soumis agrave; l'examen du Conseil de Sécurité, les civils forment 85% des victimes. >La pauvreté et les inégalités ne cessent de croître tant entre pays riches et pays en voie de développement qu'au sein des populations d'un même pays. Comme l'a déclaré le Secrétaire Général des Nations Unies, à l'occasion de l'inauguration de l'année internationale pour l'élimination de la pauvreté de 1996 : Sur les 5,8 milliards d'individus qui peuplent aujourd'hui la terre, "plus d'un milliard 300 millions se débattent pour vivre avec moins d'1 dollar par jour. Ils étaient 300 millions de moins il y a 5 ans". Cette situation n'est pas due à un manque de ressources, mais bien davantage à l'insuffisance de volonté, d'imagination et de solidarité pour mieux répartir aliments, santé, éducation, emplois. Les destructions de l'environnement, par nécessité de survie ou recherche de profit, font peser une réelle menace pour les générations futures : pollution de l'atmosphère, surexploitation des ressources de la mer, dégradation de la forêt tropicale... Si l'on essaie de classer les diverses formes de solidarité :
Ces solidarités viennent du sentiment que tous ont d'appartenir agrave un même corps. Il s'agit d'un corporatisme, du devoir du groupe vis à vis de chacun de ses membres, de l'assurance qu'ils ont de pouvoir se reposer sur le groupe en cas de difficultés. >La solidarité; de l'individu avec lui-même qui est apparue avec le monde libéral, le désir de mettre l'accent sur la dimension individuelle de l'existence. L'individu doit devenir responsable, planifier entre ses moments de richesse et de difficultés financières. C'est l'organisation personnelle d'un système de prévoyance, d'épargne, d'assurance. Le soutien aux initiatives et dynamismes locaux, la collaboration avec la société civile et les ONG. Les Etats ont pris des engagements en référence à ces principes dont : l'élimination de la pauvreté, l'intégration sociale, le développement prioritaire Afrique et PMA, l'égalité Hommes et Femmes, l'augmentation des ressources pour les politiques sociales, l'augmentation de la coopération internationale.
Des succès existent. Le rapport des Nations Unis précédemment cité indique que la pauvreté a reculé plus vite ces cinq dernières années qu'au cours des cinq siècles derniers et que « au total à la fin du XXème siècle, quelques 4 milliards d'individus sur 5,8 auront vu leurs conditions de vie s'améliorer de manière substantielle et quelques 5 milliards auront accès à une éducation de base et à des soins de santé élémentaires ». La France elle est passée de 1996 à 1997 du 7ème au 2d rang selon l'indicateur de développement humain derrière le Canada et devant la Norvège, l'Islande et les Etats Unis. La solidarité revêt toutes ces formes. Elles doivent coexister, même si elles sont en conflit les unes avec les autres. Ces formes sont complémentaires et en tension dans leur pluralité. Elles ont toutes des particularités irremplaçables. Cela vient du fait que l'homme est à la fois individu et membre d'un groupe social. Elles ont chacune leur dynamisme propre, s'enrichissent mutuellement. Il faut donc veiller au respect de cette solidarité plurielle. La solidarité est aujourd'hui une vertu morale pour une organisation de la société. Elle vise à l'intégration de tous. Elle organise un lien indissociable entre charité et justice. Plus largement, la solidarité vise la promotion des relations entre les personnes et particulièrement avec celles qui sont pauvres, exclues, marginalisées. La solidarité veut implicitement un ordre plus juste et fraternel. La solidarité risque de rester un concept, une valeur dont la mise en oeuvre concrète compte moins que son évocation. Que dire par exemple de la solidarité bafouée par les futurs arrêtés anti-mendicité que prépare l'arrivée des touristes de l'été ? Or, comme le démontrait un sondage SOFRES réalisé en septembre dernier pour La Croix et le Secours Catholique, les Français mettent la lutte contre l'exclusion, donc le développement de la solidarité réelle, au second rang de toutes leurs préoccupations, juste après le chômage. L'enjeu est l'articulation entre la solidarité individuelle et la solidarité de société. Face au risque d'une solidarité théorique, face à l'enjeu de solidarités de niveaux différents à combiner, il n'y a pas de solution unique à mettre en oeuvre. Mgr Rodhain, fondateur du Secours Catholique, disait : "J'ai horreur de cette expression : faire la charité, je veux bien que l'on dise : faire du bruit, faire du volume, mais la charité n'est pas un objet à distribuer, c'est une vie... Alors dites vivre la charité". Le mot SOLIDARITE est moins nourri de spiritualité que le mot charité. Nous sommes plus que jamais confrontés à la question de la solidarité, de la promotion de la personne pauvre. Nous ne pouvons imaginer la construction d'une société juste et fraternelle sans nous associer avec les personnes en difficulté. Nous avons besoin d'agir ensemble pour réussir notre défi commun et ainsi contribuer à libérer les pauvres qui sont enchaînés et emprisonnés par la pauvreté et l'exclusion. Nous pouvons briser ces chaînes si nous le voulons et si nous sommes plus nombreux. Au Bangladesh, nous rencontrons un groupe d'enfants dans un village, lors de la visite d'une école créée par leurs familles. J'ai demandé à une jeune fille de 15 ans : "Comment pensez-vous que vous et vos amis pouvez changer votre vie ?" Un petit moment de réflexion et, avec un sourire, cette jeune est allée chercher un bâton. Elle me le donne et me demande de le casser. Je le fais. Rien d'extraordinaire ! Elle s'en va de nouveau, revient avec une dizaine de bâtons et me demande de les casser ensemble. C'était difficile. Avec le même sourire, elle me répond que "c'est comme cela que nous allons réussir notre pari. Ensemble et unis, nous nous en sortirons, et moi je veux être infirmière". Face au risque d'une solidarité théorique, face à l'enjeu de solidarités de niveaux différents à combiner, il n'y a pas de solution unique à mettre en oeuvre. Trois axes inspireront les orientations d'action concrète : la fraternité, l'option préférentielle pour les pauvres, l'équité. Les Africains évoquent souvent « l'Eglise famille » qui s'engage à considérer toult homme comme un frère : accueil de chacun, respect de sa dignité, prise en compte de ses besoins matériels. C'est une façon concrète de vouloir le bien commun. La société tout entière peut y adhérer pour que chacun ait une place. C'est ainsi que des politiques d'éducation et de prévention collaborent à l'équilibre général el que des règles économiques internationales permettront la justice entre le fort et le faible. Mais l'exercice de la solidarité nécessite une attention particulière à l'égard du plus pauvre. L'option préférentielle pour les pauvres trace le choix d'une solidarité, priorité contre l'égoïsme ; elle est une ouverture à la relation de proximité et à l'action contre les causes de la misère. Elle veut mettre en oeuvre le principe de destination universelle des biens de la terre. L'équité veut une égalité différentielle qui tienne compte de la position relative de chaque personne. Sur ce principe, les élèves de familles modestes perçoivent des bourses, pas les autres. L'équité met donc en oeuvre des politiques de discrimination positive. Mais toute la question est celle des critères et du consensus social à construire. Cela ne peut se faire que dans un esprit de tolérance consistant à croire que chacun a des potentiels qui peuvent être mis au service de la construction d'une société juste et fraternelle, associant tous les hommes quels qu'ils soient. Denis VIENOT Secrétaire Général du Secours Catholique |