« Grain de sel » est une rubrique mensuelle du journal Messages tenue par Denis Viénot durant la période 1991 à 1998.


Vérité et pardon

Comment construire la paix? À plusieurs années d'intervalle et à des milliers de kilomètres de distance, la même question se pose. Chili et Rwanda 1989 - 1995.

Des crimes ont été commis sous la dictature du Général Pinochet. Des crimes ont été commis par les rivaux rwandais. Mgr Contreras, ancien président de la Conférence épiscopale chilienne expliquait qu'il faut la vérité sur les exactions avant que le pardon puisse s'engager. La justice chilienne a partiellement conduit ce processus qui a mené à la pacification actuelle grâce aussi à la régulation par la démocratie.

Il doit en être de même aujourd'hui au Rwanda. La réconciliation - qui n'est pas encore la paix - passe nécessairement par la lumière sur les crimes. L'ancienne guérilla maintenant au pouvoir en a commis dès ses attaques de 1990. L'ancien régime en a commis. Son armée et ses milices locales en ont commis depuis avril 1994. Aujourd'hui même si la situation semble plus calme, la peur continue à régner. Le nouveau régime a besoin d'aides de l'étranger pour s'organiser. Le Tribunal international mis en place par l'Onu pourra contribuer à la vérité. La justice rwandaise aussi, qui ne doit pas accepter les emprisonnements sans jugements raisonnablement rapides. Eluder le passage par la vérité, c'est inévitablement nourrir les germes d'un nouveau processus de violence. La vérité permettra le pardon. Le pardon permettra la réconciliation, puis la paix.

La parole et le silence

Le Secours Catholique communique par nécessité évangélique, soit par la parole, soit par le silence. Les deux sont indispensables.
La parole et sa vérité se fondent sur les actes de tous ces hommes et de toutes ces femmes qui partagent avec les plus repoussés de notre planète sur leurs échanges, leurs relations, leurs projets construits ensemble.
Le silence tient au secret des cœurs et des regards lorsqu'ils se rencontrent.
La parole sera témoignage pour tous ceux qui voudront la partager à leur tour. Le silence sera prière pour tous ceux qui y sentiront l'infini du don.
La communication du Secours Catholique est donc un mélange de visible et d'invisible, de trompettes et de sentiments effleurés. Elle est à l'image d'un réseau parfois rayonnant et médiatisé, parfois enfoui mais actif. L'éclat d'un champ de blé au soleil n'existe pas sans le travail de la terre.

Caritas ou l’art de mettre au travail

La Caritas de la ville de Mexico est l’illustration de cette capacité à faire travailler ensemble des personnes de tous les bords.
Un chef d’entreprise y pilote 12 promoteurs qui organisent des groupes d’épargne et de crédit dans un énorme bidonville. Avec eux, un ancien banquier ingénieur de formation, une économiste, un animateur d’unions des paysans. Soixante-dix groupes rassemblent près de 2000 personnes qui épargnent et peu à peu demandent des crédits pour engager des activités productives : vente de vêtements, de chaussures, de fruits et légumes, de pâtisserie, de cosmétiques, de lingerie, mercerie, épicerie, boucherie, atelier de réparation de bicyclettes...Ces activités améliorent peu à peu les conditions materielles des familles et déboucheront sur la formation d’unions de crédit.

La réunion d’un groupe commence par l’enregistrement de l’épargne hebdomadaire et le remboursement des prêts de chacun des 25 ou 30 membres, en majorité des femmes. La trésorière note et la secrétaire inscrit les chiffres sur un grand tableau visible par tous. Vient ensuite l’étude des cas particuliers de ceux qui ne remboursent plus les prêts et n’osent pas venir. Dans la plupart des cas une petite délégation est nommée pour aller négocier à domicile et faire le point car les mauvais payeurs mettent en péril l’équilibre de tout le groupe. Enfin, on traite des demandes de prêts. La décision se prend par un vote organisé par la présidente. Tout cela en une heure –la promotrice y veille- car le temps est précieux pour ces personnes dures au travail dans un contexte où la survie est si difficile.

Autre exemple d’un travail collectif : la mise en place d’un mécanisme de rachat de la dette publique mexicaine pour financer des projets sociaux et de développement, directement ou via un regroupement d’associations. Une réunion pour préparer les opérations à venir rassemble deux prêtres, un sociologue, un avocat, un spécialiste de l’habitat, un économiste, un banquier, un expert comptable, un ingénieur en hydraulique, un fonctionnaire.

Mélange de bénévoles et de salariés, de pauvres et de riches. Chacun à sa façon contribue à l’ensemble.