Carte blanche à DENIS VIÉNOT
Exclure l'exclusion


Il ne suffit pas d'assister les marginaux et les exclus, il faut leur donner un emploi afin qu'ils retrouvent leur dignité

Deux personnes rencontrées la même semaine. Une jeune femme de vingt ans environ fait la manche à côté de la caisse d'un parking proche des Champs-Elysées. A Paris depuis un mois, elle ne trouve pas le travail dont elle rêvait. Elle peut se loger à l'hôtel pour 100 francs par nuit. Accroupie dans le froid, les piécettes des auto­mobilistes sont son avenir.
A Tourcoing, une veuve de quarante-cinq ans a encore à charge cinq de ses huit enfants. En une dizaine d'années, elle a subi le choc du décès de son conjoint, l'isolement et les emplois précaires. Après un contrat emploi solidarité, elle vient de trouver un poste à mi-temps d'aide de cuisine dans une école maternelle. Elle fait partie d'un groupe de femmes qui se retrouvent chaque semaine pour s'entraider.
On ne peut accepter que l'exclusion soit définitive. L'Union européenne analyse, dans un livre blanc récent, les politiques sociales de ses douze membres. Depuis une quarantaine d'années, elles sont d'abord tournées vers l'assistance, elles visent la redistribution monétaire vers des marginaux et des exclus, mais sans inviter vraiment ceux-ci à cheminer vers l'emploi ou l'activité. Pour ne pas en rester là, Bruxelles veut aujourd'hui développer des politiques orientées vers la création d'em­plois, et y invite les Etats européens. Que faisons-nous en France ?

En matière de redistribution, les tabous régnent. Certes, certains commencent à être ébranlés : la contribution sociale généralisée (CSG) per­met de taxer l'ensemble des revenus. La politique des retraites commence à préparer l'avenir. Mais la plupart des allocations familiales sont distribuées à montants identiques, quelles que soient les ressources de la famille, alors qu'il faudrait engager une politique privilégiant délibérément les plus pauvres. Il est d'ailleurs frappant de remarquer que, si, en tête à tête, de nombreux responsables politiques disent qu'il faudrait aller dans ce sens, ils s'empressent de conclure que leurs électeurs ne les suivraient pas.
Mais c'est sur le chapitre du chô­mage et de son indemnisation que nos pratiques sont les plus révélatrices : la confusion règne, en effet, entre problèmes humains et problèmes sociaux. Une personne qui reste quelques mois au chômage, c'est un problème humain, pas un problème social. Au contraire, la situation d'un chômeur de longue durée - plus d'un an - devient, jour après jour, un enjeu social grave. Laquelle de ces deux personnes doit être la plus soutenue, accompagnée, formée, indemnisée ?
Une société qui alloue un minimum de 2 300 F par mois à un RMIste, et s'en donne bonne conscience, reste une société excluante : le RMI, pour une personne seule, correspond à 48 % du Smic. Il faudrait s'engager fortement sur une vraie politique d'insertion... pour laquelle les Conseils généraux ne dépensent pas la totalité de leurs enveloppes. L'insertion visée par le RMI doit être d'abord liée à l'activité et à l'emploi. Or, des "projets d'insertion" d'autre nature ont vu le jour. D'abord, parce que la nécessaire reconstruction person­nelle des bénéficiaires nécessite des actions relatives à leur santé, à la lutte contre l'isolement ou à leur formation, par exemple. Ensuite, parce que le rêve du plein em­ploi s'est évanoui.
Ainsi sont nées de multiples formules palliatives ne procurant que du travail partiel, précaire, sans réel statut social : des contrats emploi solidarité, des entreprises sociales dans le secteur marchand, mais qui ont besoin d'aides publiques. Ces mécanismes concernent environ 30000 postes de travail et permettent à 100000 personnes d'en bénéficier chaque année. Ils ont été conçus à l'origine comme des sas, comme des lieux de transition vers l'emploi régulier. Mais le système fonctionne mal ; les bénéficiaires ne trouvent pas souvent la solution espérée. Il faut cependant maintenir ces formules, voire les développer, mais avoir la volonté de créer de vrais emplois.
On ne le dira jamais assez : l'homme et la femme sont invités par Dieu à sa création. Au chapitre premier de la Genèse, II les invite à dominer la terre ; personne n'est exclu de ce projet. En ce sens, la lutte contre l'exclusion est à la fois une politique juste et morale : une démarche de justice et de charité.