« Grain de sel » est une rubrique mensuelle du journal Messages tenue par Denis Viénot durant la période 1991 à 1998.

Action et sensibilisation

« Le Secours Catholique, c'est 50 % d'action, 50 % de sensibilisation ». Monseigneur Jean Rodhain voyait juste avec cette formule. Sensibiliser, c'est en effet rendre capable de réactions. Il y a en plus du sensible, du délicat dans le mot « sensibiliser ».
Ce 50-50 est une des originalités du Secours Catholique. Nos bénévoles sont des acteurs avec les personnes en difficulté, nos Caritas des acteurs avec les peuples de l'Est et du tiers monde.
C'est à partir de l'action concrète d'aide de court terme et de promotion de long terme que nous voulons sensibiliser.
Sensibiliser le pauvre à ses propres richesses et capacités qui lui permettent de s'en sortir: le plus grand alcoolique est un malade toujours guérissable.
Sensibiliser le bénévole, le donateur à ses potentiels personnels qui lui permettent de contribuer à l'action: le don de temps et le don d'argent sont des portages chaleureux.
Sensibiliser l'opinion publique à ses capacités de réaction: les Français sont pour l'ingérence en Somalie à 82 %, à Sarajevo à 67 % (sondage CSA/La Vie)
Sensibiliser les gouvernants à leurs responsabilités envers les plus exclus: les constats du Secours Catholique ont contribué à la mise en place du Revenu minimum d'insertion.
Sensibiliser les communautés chrétiennes à leurs tâches concrètes d'accueil des pauvres: les équipes du Secours Catholique sont là pour les aider à comprendre les réalités et à s'organiser.
C'est donc bien cette sensibilisation tous azimuts qui est l'une des originalités du Secours Catholique et de ses bénévoles. Car, la sensibilisation n'est pas une fin en soi. Elle est créatrice de prise de conscience et d'action.

Efficacité des ONG

Les ONG (Organisations non gouvernementales) font l'objet d'un long chapitre dans le dernier rapport mondial sur le développement humain publié par le Programme des Nations unies pour le développement. Leur efficacité est louée dans divers domaines d'action, or le soutien des gouvernements est souvent trop modeste Si en Suisse 19,3 % de l'aide de l'Etat au développement sont affectés aux programmes des ONG dans le tiers monde, en France nous en sommes à 0,3 % ! Les Etats-Unis sont à 11 %, la Belgique à 6,6 %, l'Allemagne à 6,5 %, l'Italie à 1,9 %, le Royaume-Uni à 1,3 %.
Le rapport insiste par ailleurs sur l'importance du rôle des ONG dans l'accès au crédit pour les pauvres. De très nombreuses initiatives sont prises ce qui contribue aussi à faire pression sur les gouvernements afin qu'ils modifient leurs politiques et leurs priorités.
De nombreuses Caritas sont engagées dans cette voie consistant à organiser des groupes d'épargne, à en multiplier les effets et à distribuer des crédits d'investissements: ateliers artisanaux, achats de bétail, petits commerces, achats de cyclo-pousse, coopératives rurales. Le Secours Catholique soutient ces programmes en Afrique, en Inde, au Mexique, en Terre sainte, en Egypte. La Caritas du Bangladesh en fait un de ses axes de travail.
Certes ces activités sont des montants modestes par rapport aux crédits totaux distribués dans chaque pays. Mais elles sont essentielles pour les plus défavorisés, exclus des circuits économiques dominants.

La veuve et l’enfant

La Bible raconte l'histoire de la veuve de Sarepta qui reçoit la visite d'Elie. Il lui demande du pain.
Elle n'a rien: une poignée de farine et un petit peu d'huile. Elle se prépare à mourir de faim avec son fils. Sous l'insistance d'Elie, elle cuit du pain et lui donne une petite galette... Et sa cruche de farine, et sa jarre d'huile ne désempliront pas!
Au bord du lac de Tibériade un enfant donne ses 5 pains d'orge et ses 2 petits poissons. Le Christ multiplie ce don qui nourrit 5 000 personnes. Les partages de l'enfant et de la veuve de Sarepta sont chacun l'origine d'une multiplication conduite par Dieu. Le partage doit être efficace. Chacun est responsable de l'efficacité de son partage, de son effet multiplicateur. Le partage développe-t-il ? Fait-il croître la création? Contribue-t-il à améliorer concrètement et durablement la situation des bénéficiaires?
La volonté du Secours Catholique est de construire des actions à effets de levier. Il le fait grâce aux partages de ses donateurs, en y associant le plus grand nombre, per­sonnes aidées elles-mêmes, réseaux des bénévoles en France et des Caritas dans le monde, Pouvoirs publics, médias, car Le monde aura besoin de tout le monde.
Soutenir un enfant dans sa scolarité, c'est construire. Travailler à la réinsertion d'un prisonnier, c'est construire.
Accompagner une famille frappée par le chômage et le désespoir, c'est construire. Soigner les enfants de Tchernobyl, c'est construire. Développer des entreprises artisanales à Mexico, au Cambodge ou en Egypte, c'est construire. Former des femmes en Inde ou au Bénin, c'est construire. Permettre le développement agricole en Centrafrique, au Kurdistan, au Pérou ou en Somalie, c'est construire.
Ces actions sont possibles parce que leurs bénéficiaires eux-mêmes veulent construire leur avenir et celui de leurs concitoyens. Les uns y apportent une poignée de farine et un peu d'huile, les autres 5 pains d'orge ou 2 petits poissons.

L’enfant et la guerre


Depuis dix ans, à cause des guerres, plus d'un million et demi d'enfants ont été tués, quatre millions blessés, douze millions ont perdu leur famille.
L'UNICEF (Fonds des Nations unies pour l'Enfance) publie un rapport accablant. Les populations civiles sont de plus en plus touchées par les 40 guerres actuelles.
Lors de la Première guerre mondiale, 5 % des tués et des blessés étaient des civils. Lors de la Seconde, 50%. La guerre du Vietnam a poussé le pourcentage à 80. C’est devenu habituel.
Cinq millions d'enfants vivent dans des camps de réfugiés. La moitié des réfugiés et des déplacés dans l'ex-Yougoslavie sont des enfants.
Faut-il évoquer les destructions civiles, écoles, hôpitaux, infrastructures qui touchent d'abord les enfants? Faut-il évoquer le récent massacre d'Alichipathana au Sri Lanka? Une soixantaine de villageois musulmans, dont de nombreux enfants, ont été massacrés par les rebelles tamouls. « Un baobab, si l'on s'y prend trop tard, on ne peut plus jamais s'en débarrasser. Il encombre toute la planète. (...) Et si la planète est trop petite, et si les baobabs sont trop nombreux, ils la font éclater. (...) Je n'aime guère prendre le ton d'un moraliste. Mais le danger des baobabs est si peu connu (...) que pour une fois je fais exception à ma réserve. Je dis : Enfants! Faites, attention aux baobabs!» (Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry).

L’homme et la bête

Le même jour, le 6 avril dernier, deux journaux traitaient de nos amis les bêtes. Le Quotidien de Paris mentionnait les 362 797 signatures pour la pétition « Non à la barbarie» lancée par « 30 millions d'amis» demandant l'amélioration des conditions de transport et d'abattage des animaux de boucherie.
Le Monde étudiait en détailles 30 milliards de francs dépensés chaque année par les Français pour leurs animaux de compagnie. Les aliments comptent pour 10 milliards, les frais vétérinaires pour 3 milliards, puis le toilettage, les vêtements, etc. On trouve même près de Provins un hôtel « quatre étoiles» : 1 00 francs la nuit pour un chien, 60 francs pour un chat. Un enterrement au cimetière des chiens d'Asnières coûte environ 3 000 francs.
Il ne s'agit pas de critiquer la joie de vivre de ces animaux: [...]Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce, et toutes les bestioles de la terre selon leur espèce. Et Dieu vit que cela était bon[...] (Livre de la Genèse, chapitre premier). Il est normal et naturel de respecter la vie et la mort des animaux de boucherie et de réagir face aux mauvais traitements subis par tout animal.

Nostalgie

Le journal La Nouvelle République du Centre Ouest publiait le 18 décembre 1992 un article émouvant:
« La dernière tournée de l'épicier ». Et de décrire comment un épicier de campagne, vivant du petit magasin tenu par la femme et des tournées en camionnette du mari, a dû cesser ses activités.
Il n'est plus compétitif en dépit de son rôle si humain depuis des années. Il connaît tout le monde dans la région, rend de multiples petits services.
On parle de crise du monde rural, de désertification des campagnes, d'isolement des personnes âgées, de transports par car qui s'évanouissent.
Comme dit l'épicier en question: « On fait presque de l'aide humanitaire. On fait payer, évidemment, mais on rend beaucoup de services ».
Un collègue reprendra en partie les tournées, mais ce ne sera pas pareil. Un ami s'en va qui a servi plusieurs générations de clients. C'est devenu trop difficile.

Une école amarée

L'école de Boroitali, à deux heures de voiture de Chittagong au Sud du Bangladesh, est toute neuve, entourée de cocotiers et de rizières. A ses pieds se trouvent les deux baraques sommaires de l'ancienne école dévastée le 29 avril 1991 par l'horrible marée cyclonique de près de 7 mètres.
La Caritas Bangladesh a eu l'idée de construire à quelques kilomètres de la côte des écoles en briques. Le rez-de-chaussée n'est qu'une grande salle toute grande ouverte pour que l'eau le traverse sans problème. Le premier étage accueille l'école. 19 sont construites, 23 sont en travaux; au total 49 sont prévues; chacune peut abriter 2 000 personnes. En bord de mer, ce sont de gros abris anticycloniques pour 2 500 personnes qui sont bâtis. Ils servent en temps normal d'école. Ces bunkers sur pilotis de béton armé dominent les rizières. 23 sont finis; 43 sont en construction, au total 142 sont prévus.
Tout le réseau Caritas soutient ce programme de 450 000 places. Le Secours Catholique finance 6 abris et 8 écoles pour l'instant.
Mais les besoins sont immenses. Il faudrait 3 000 abris. On en espère aujourd'hui 2000.
Ecole plus abri, abri plus école: exemple de créativité de la réponse à l'urgence intégrant un projet de développement de long terme.
Mais le plus passionnant, c'est la méthode de travail avec les villages. A Boroitali, village à majorité musulmane, le comité scolaire est, comme partout ailleurs, propriétaire du bâtiment qu'il entretient, maintient en bon état d'accueil. Il est responsable du planning d'utilisation des locaux hors périodes scolaires comme lieux communautaires, en particulier pour les formations mises en place par Caritas dans la région: pêche, reforestation, alphabétisation, promotion féminine, etc. Il planifie l'alerte de la population en cas de nouveau cyclone, en lien avec le Croissant rouge.

Vivons nous dans un monde de fous ?

Récemment, lors de l'émission de Bernard Pivot, Bouillon de culture, un cancérologue, le professeur Israël déclarait refuser l'euthanasie, par respect pour toute vie. Cet athée - c'est ainsi qu'il se définît lui-même – entend souvent les familles lui poser la question de l'arrêt provoqué de la vie. Les malades, eux, le regardent avec espoir. Il sait calmer la trop grande douleur; il voit leurs regards de confiance qui veulent vivre leur vie jusqu'à son terme.
Toute personne est une valeur. La rejeter n'est pas tolérable. Insérer les personnes âgées, ce n'est pas normal c'est naturel. C'est respecter l'homme. Dans une petite ville de France, la cour de récréation de l'école maternelle et la maison de retraite ne sont séparées que par un simple grillage. Les personnes âgées se plaignaient du bruit des jeux des enfants. Les deux directrices se sont concertées: elles ont organisé un spectacle joué par les enfants pour leurs voisins. Pendant les recréations les enfants rendent visite aux personnes âgées. Elles ont gagné de nouveaux petits-enfants. Ils ont gagné des grands-parents supplémentaires.

Vivre

Le Japon a eu l'idée il y a quelques années d'installer à l'étranger certaines de ses personnes âgées. En 2025 les plus de soixante-cinq ans y seront près de 22 %.
Les Japonais ont peur de ces inactifs dont l'espérance de vie est la plus forte au monde.
Alors un projet a été étudié: l'émigration volontaire! Construction de villages en Espagne, en Autriche, en Italie, en France, au Canada et en Australie. Certains pays se déclarent intéressés par le soutien économique que cela leur procurera: le yen fait plaisir. Les intéressés sont eux plus hésitants: beaucoup de questions pratiques, langue, impôts, assurance-maladie. Mais surtout des questions fondamentales: n'est-ce pas à notre pays de veiller sur nous? Pourquoi se couper de nos relations familiales et amicales?